Bernard Tapie : la Cour de discipline budgétaire pourrait être saisie
sommes-nous très différents d'une république bananière ?
Bernard Tapie : la Cour de discipline budgétaire pourrait être saisie
http://www.mediapart.fr/article/offert/d113be9422fb97fdd5a0f7e6cd44aa6fC'est un rebondissement totalement inattendu dans l'affaire Tapie et qui pourrait avoir de lourdes conséquences pour l'Elysée. Selon nos informations, les magistrats financiers de la Cour des comptes qui épluchent le dossier depuis bientôt deux ans sont favorables à ce que la Cour de discipline budgétaire soit saisie, pour sanctionner les fautes graves qui ont été commises dans la gestion des fonds publics.
Dans le même temps, certains des plaignants qui avaient engagé un recours devant la justice contre la ministre des finances, Christine Lagarde, pour abus de pouvoir dans ce même dossier, et qui ont été déboutés, ont décidé de faire appel du jugement. Alors qu'elle semblait définitivement close, et que Bernard Tapie semblait pouvoir profiter sans la moindre crainte des 220 millions d'euros qui sont, en net, rentrés dans sa poche, en règlement du conflit qui l'opposait depuis 1994 au Crédit lyonnais au sujet de la vente du groupe de sports Adidas, l'affaire est repartie de plus belle.
Cette affaire Tapie (résumée par cet édito vidéo ci-contre, mis en ligne le 15 octobre 2008) a connu tellement de rebondissements ces deux dernières années qu'on avait presque oublié que la Cour des comptes s'en était elle-même saisi. C'est Philippe Séguin, à l'époque premier président de la Cour, qui avait annoncé dans une lettre à Marine Le Pen son intention d'étudier l'arbitrage rendu le 7 juillet 2008. La vice-présidente du Front national avait indiqué le 3 septembre 2008 avoir demandé à la Cour des comptes de se saisir du dossier Tapie, estimant que l'arbitrage dans le litige opposant l'ex-homme d'affaires au Crédit lyonnais était «totalement illégal». Selon un communiqué du FN, Philippe Séguin avait alors répondu dans une lettre datée du 10 septembre qu'il examinerait «dès que possible» le dossier et qu'il «exprimera(-it) à cette occasion son appréciation sur les modalités» de la transaction favorable à Bernard Tapie.
Il ajoutait qu'il pourrait alors « décider des suites opportunes, dans le cadre défini par le code des juridictions financières ».
Evoquée par toute la presse – on trouvera ici l'article du Point –, cette saisine de la Cour des comptes était ensuite tombée dans l'oubli. Et ce sont d'autres confrontations qui avaient les mois suivants retenu l'attention : les auditions devant la commission des finances de l'Assemblée nationale ; puis les recours devant le tribunal administratif.
La Cour des comptes valide le chiffre de 220 millions d'euros
La Cour des comptes n'en a pas moins continué à travailler. Tant et si bien que quand le socialiste Didier Migaud a pris les commandes de l'institution, en février 2010, après le décès de Philippe Séguin, ses investigations étaient déjà largement engagées. Selon nos informations, tous les intervenants publics de ce dossier ont été entendus, pour certains d'entre eux plusieurs fois.
Ce fut le cas en particulier de l'ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde et actuel patron du groupe Orange, Stéphane Richard, qui a été entendu le 21 juillet, en présence de son avocat. De nombreux hauts fonctionnaires ont aussi été entendus, de même que les responsables de l'Etablissement public de financement et de restructuration (EPFR), qui est l'actionnaire à 100% du Consortium de réalisations (CDR), lequel CDR a repris en 1995 les actifs douteux de l'ex-Crédit lyonnais. Dans cette confrontation judiciaire face à Bernard Tapie, c'est le CDR qui portait donc les intérêts de l'Etat. Président du CDR au moment de l'affaire, Jean-François Rocchi, promu depuis à la présidence du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), a aussi été entendu.
Selon nos informations, la chambre de la Cour des comptes qui avait en charge cette instruction s'est réunie la semaine dernière et a adopté son rapport. Nous n'avons pas pu en prendre connaissance directement mais, selon de très bonnes sources, il valide les évaluations de Jérôme Cahuzac, le président socialiste de la commission des finances de l'Assemblée nationale : Bernard Tapie, qui a profité le 7 juillet 2008 d'une sentence arbitrale lui allouant 390 millions d'euros de dédommagement, devrait garder en net, pour lui, 220 millions d'euros prélevés sur fonds publics, une fois payés les impôts anciens et nouveaux et les arriérés de cotisations sociales qu'il doit.
Les suites que ce rapport aura sont toutefois encore incertaines. Toujours selon nos informations, les magistrats qui font office de rapporteurs dans cette affaire sont favorables à ce que le dossier soit déféré à la Cour de discipline budgétaire, dont la mission (comme on peut le vérifier ici) est «de sanctionner les actes des agents publics, constituant des fautes lourdes ou des irrégularités, dans la gestion des finances publiques».
Mais cette juridiction administrative qui est présidée par le premier président de la Cour des comptes a des règles très strictes. Ne sont justiciables de la Cour de discipline budgétaire que «les membres des cabinets ministériels, les fonctionnaires et les personnes liées à un organisme soumis au contrôle de la Cour des comptes, dès lors qu'ils ont participé à des actes de gestion». Ceux-ci peuvent être passibles d'amendes ou de la publication du jugement au Journal officiel. Les ministres et les exécutifs locaux, eux, ne sont pas justiciables de cette Cour.
Dans le cas présent, c'est donc Stéphane Richard, l'ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde et actuel patron du groupe Orange, que les magistrats financiers souhaitent traduire devant cette Cour de discipline budgétaire, pour une raison qui semble mineure au regard de la gravité du reste de l'affaire. Il semble en effet que les magistrats aient saisi une lettre écrite par l'ancien directeur de cabinet, qui ne soit pas strictement conforme aux règles encadrant les finances publiques.
Adressée en décembre 2007 au président du CDR, Jean-François Rocchi, ce courrier visait à s'assurer qu'une franchise de 12 millions d'euros serait bien à la charge du CDR ou de la liquidation Tapie et non à la charge de l'Etat. Selon une très bonne source, les rapporteurs pourraient également recommander que Jean-François Rocchi soit, lui aussi, traduit devant la Cour de discipline budgétaire.
Stéphane Richard visé par la procédure
Mais encore faut-il que les rapporteurs, qui ont instruit cette affaire, en convainquent les autres magistrats financiers, qui appartiennent à la même chambre de la Cour qu'eux. Car c'est pour finir par une délibération collective de cette chambre que la décision sera prise prochainement, comme cela se passe toujours dans cette juridiction.
En droit, le premier président de la Cour des comptes ne participe pas à cette délibération – pas plus que le Procureur général auprès de la Cour des comptes, qui n'a donc pas les pouvoirs de bloquer une saisine de la Cour de discipline budgétaire. Mais pour le nouveau patron de la Cour des comptes, le socialiste Didier Migaud, l'affaire n'en va pas moins prendre valeur de test. Il aura là le moyen d'administrer la preuve – c'est du moins ce qu'espèrent beaucoup de ses amis socialistes – que sa nomination par Nicolas Sarkozy n'entame en rien l'indépendance de sa maison.
Les rapporteurs qui souhaitent que les éventuelles irrégularités soient sanctionnées butent sur une autre difficulté. Car s'il s'avérait que Stéphane Richard soit le principal haut fonctionnaire traduit devant cette Cour de discipline budgétaire, de surcroît sur un volet marginal de l'affaire, ce dénouement serait pour le moins paradoxal.
Car l'origine du scandale est maintenant bien connue. C'est Nicolas Sarkozy, épaulé par le secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant (et avec Stéphane Richard comme relais au ministère des finances), qui a piloté en personne ce dossier. Pour être précis, c'est le chef de l'Etat lui-même qui a pris la responsabilité de suspendre la procédure judiciaire ordinaire devant les tribunaux de la République, peu après une décision de la plus haute juridiction française, la Cour de cassation, qui était à l'avantage du CDR et de l'EPFR – en clair de l'Etat –, et défavorable à Bernard Tapie, de sorte qu'une justice privée soit saisie.
Et c'est cette justice privée qui, tournant le dos à la décision de la Cour de cassation, a alloué ce formidable magot de 390 millions d'euros de dédommagement à Bernard Tapie, en règlement du conflit autour de la vente d'Adidas, dont 45 millions au titre du préjudice moral. Une somme sans aucun précédent dans l'histoire judiciaire française qui a légitimement choqué l'opinion.
Mais les institutions de la Ve République sont ainsi : le temps de son mandat, et à des rares exceptions près, le chef de l'Etat n'a pas à rendre compte de ses actes devant la justice.
La ministre des finances, Christine Lagarde, s'est lourdement impliquée dans cette affaire, en obtempérant aux oukases de l'Elysée. Comme elle l'a publiquement reconnu, c'est elle qui a donné des ordres écrits aux hauts fonctionnaires siégeant au sein de l'EPFR pour qu'ils ne s'opposent pas à un arbitrage entre sa filiale, le CDR, et Bernard Tapie : la décision de suspendre le cours de la justice au moment précis où elle tournait à l'avantage de l'Etat, c'est donc elle qui l'a endossée, par sa signature.
C'est elle encore qui a donné des ordres écrits pour que ces mêmes représentants de l'Etat au conseil de l'EPFR ne se prononcent pas en faveur d'un recours en justice, après que la sentence a été rendue. Cette décision de ne pas intenter un recours contre la sentence est d'autant plus scandaleuse que deux des cabinets d'avocats consultés par le ministère des finances avaient recommandé à l'Etat de contester la sentence. Malgré sa responsabilité, la ministre ne peut donc toutefois pas être traduite devant cette Cour.
Il n'empêche ! Si cette Cour devait être saisie, cela rejaillirait nécessairement sur tous les acteurs de ce dossier, à commencer par le premier d'entre eux, Nicolas Sarkozy, à l'origine de l'un des plus grands scandales financiers de la Ve République : l'apport sur fonds publics d'un cadeau de 220 millions d'euros à l'un de ses amis, qui n'aurait sans doute jamais pu prétendre à un tel magot, si le cours de la justice n'avait pas été contrarié. Nicolas Sarkozy apparaîtrait alors coupable, au plan politique sinon juridique.
Au demeurant, ce nouveau front qui s'ouvre dans l'affaire Tapie n'est pas le seul. Plusieurs des plaignants qui avaient engagé des recours devant le tribunal administratif contre Christine Lagarde pour excès de pouvoir, à cause précisément des ordres qu'elle avait donnés aux hauts fonctionnaires de l'EPFR, et qui avaient perdu en première instance, ont décidé de poursuivre leur bataille devant la Cour administrative d'appel.
C'est le cas en particulier de deux avocats, Geneviève Sroussi et Rémi Rouquette, qui ont agi en qualité de contribuables, et du député centriste Charles de Courson, qui s'est joint à leur plainte. On peut consulter ici le mémoire que les conseils du ministère des finances ont rédigé en prévision de cette nouvelle confrontation judiciaire.
Le président du Modem, François Bayrou, qui avait lui même saisi le tribunal administratif (de même que le patron du groupe socialiste à l'Assemblée, Jean-Marc Ayrault), ne compte pas de son côté faire appel mais produira des observations devant cette cour.
Cette relance de l'affaire Tapie, au moment précis où elle semblait se clore définitivement, explique sans doute l'extrême nervosité du pouvoir comme de Bernard Tapie. La nervosité notamment de Christine Lagarde qui a refusé de donner à la commission des finances de l'Assemblée nationale une évaluation du gain net réalisé par Bernard Tapie, malgré les demandes pressantes de son président, le socialiste Jérôme Cahuzac. Jérôme Cahuzac s'est dit choqué de cette fin de non-recevoir, comme il s'en explique dans la vidéo enregistrée à Europe-1, le 27 septembre (le passage concernant l'affaire Tapie est entre 4'51'' et 7'10'').
Et puis, l'extrême nervosité de Bernard Tapie lui-même, qui lundi matin, sur France Inter, s'est montré tel qu'en lui-même : vulgaire à l'extrême, agressif, condescendant, emporté, s'essuyant presque les pieds sur le journaliste qui l'interrogeait, maniant l'insulte et l'injure, bref, violent et excédé, comme la vidéo ci-contre l'atteste. Preuve sans doute qu'il n'est pas encore près, contrairement à ses espérances, de savourer enfin en paix les 220 millions d'euros que Nicolas Sarkozy lui a offerts. En les prélevant dans la poche des contribuables...
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