Les enseignements d'une déroute
Les enseignements d'une déroute
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L'avenir du PS n'est pas dans une alliance entre le centre et une social-démocratie amputée de son aile gauche.
Par Jacques GENEREUX
QUOTIDIEN : lundi 14 mai 2007
Jacques Généreux professeur à Sciences-Po, membre du conseil national du PS.
Dernier ouvrage paru : Pourquoi la droite est dangereuse, Seuil, 2007.
La défaite des socialistes à l'élection présidentielle est
certes moins humiliante que ne le fut celle du 21 avril 2002 ; elle
est néanmoins plus sévère et plus troublante. Comme en 2002, la
gauche est battue dès le premier tour et plus sévèrement, puisque,
toutes tendances confondues, elle recule de 7 points. Cette déroute
est aussi plus troublante, car la présidentielle semblait pour la
gauche plus gagnable qu'en 2002.
L'orientation néolibérale de la droite française a été
lourdement sanctionnée aux élections intermédiaires de 2004, et,
dans une certaine mesure, aussi par le non au référendum de mai
2005. La droite devait assumer un bilan assez affligeant sur tous
les terrains. La candidate socialiste avait donc l'avantage du
challenger qui peut incarner le changement et le rejet d'une
politique de casse sociale vivement contestée par les mouvements
sociaux. L'électorat de gauche, traumatisé par le choc du 21 avril,
était mobilisé et prêt au vote utile socialiste. La jeunesse des
banlieues s'inscrivait massivement sur les listes électorales pour
contrer le ministre de l'Intérieur, qui l'avait insultée. Ce
contexte semblait encore à l'automne stimuler une demande politique
qui inclinait à gauche. Et, du côté de l'offre politique, tout se
présentait au mieux. Au lieu de concurrencer la candidate
socialiste, Christine Taubira et Jean-Pierre Chevènement faisaient
cette fois campagne pour elle. Même la gauche extrême était
désormais disposée au report des voix sans condition pour faire
barrage à Sarkozy.
Comment se peut-il alors qu'une candidate donnée comme une
possible et logique gagnante à l'automne se retrouve en mai à la
tête de la plus grave défaite de la gauche depuis quarante ans ?
Deux diagnostics s'opposent et commandent deux visions d'avenir
pour la gauche. Pour les uns, le curseur de l'opinion française a
viré à droite. Pour les autres, c'est la candidate socialiste qui a
viré à droite, ou nulle part, et privé ainsi la gauche d'une
représentation politique.
Pour les premiers, donc, Nicolas Sarkozy a remporté une victoire
idéologique, face à une gauche qui n'a pas saisi à temps la
«droitisation» des Français et n'a pas opéré la nécessaire
«modernisation» de son discours. L'avenir de la gauche n'est donc
plus à gauche ! Il ne servirait à rien au PS de s'allier encore à
des satellites en voie de disparition ; son avenir est au centre,
dans l'alliance entre un parti social-démocrate et un parti
démocrate-chrétien. Dans sa version brute, ce diagnostic est trop
grossier. Comment une «droitisation» de l'électorat se serait-elle
opérée en quelques mois ?
Certes, la victoire de Sarkozy est celle d'un discours
idéologique qui a revendiqué les valeurs d'une droite néolibérale
et néoconservatrice (travail, famille, patrie, responsabilité
individuelle, effort, mérite, etc.). Dans
la Dissociété (1), j'ai montré comment une culture de
l'individu guerrier, responsable et méritant, tend à s'imposer en
Occident, et comment la droite néolibérale sait l'installer en
stimulant notre penchant narcissique au détriment de notre
aspiration au lien social. Nicolas Sarkozy a su manipuler le
sentiment de dignité que confère aux sans-grade le sentiment d'être
plus méritants que les assistés. Mais sa grande force a été de
marier son idéologie avec un discours répondant exactement aux
attentes de travailleurs exaspérés par les excès et les
insuffisances du capitalisme libéral : il s'est montré comme le
défenseur du pouvoir d'achat, comme le seul leader osant parler à
nouveau de protectionnisme et comme le promoteur d'un Etat efficace
au service du public ; il a su incarner le retour du politique face
à des forces occultes et sans mandat démocratique qui semblent
désormais commander nos destins ; il a réussi le tour de force
d'incarner la «rupture» avec le gouvernement sortant, alors qu'il
en fut l'un des principaux acteurs.
C'est donc aussi une demande de régulation politique du monde et
de l'économie, aspiration de gauche s'il en est, qui s'est trouvée
validée par les électeurs. Dès lors, la défaite de la gauche tient
probablement plus au fait que cette aspiration ne s'est pas trouvée
incarnée par la candidate socialiste, et à ce qu'aucune idéologie
n'est venue invalider celle de l'individu méritant. Ségolène Royal
ne s'est jamais posée comme la chef de file d'une gauche combattant
une droite néolibérale. Loin de revendiquer une idéologie de gauche
aussi consistante que l'était celle de Nicolas Sarkozy, elle a
semblé à la remorque de son rival en ne parlant que d'ordre, de
valeur travail et de refus de l'assistanat. L'impressionnisme,
l'incohérence et l'instabilité de son discours économique et social
ont fait le reste, face aux propositions extrêmement simples et
jamais sérieusement contestées de son rival.
L'élection était donc peut-être gagnable par un candidat... de
gauche, tout simplement ! Un candidat s'appuyant sur son camp au
lieu de s'en démarquer, articulant avec force et cohérence une
conception alternative de la société et du progrès, démontrant
l'incompatibilité entre le vernis social de Nicolas Sarkozy et sa
volonté indestructible de rendre aux riches l'argent public et à
chacun la «liberté» de renoncer à ses droits sociaux. La gauche a
donc sans doute moins besoin d'une ample refondation idéologique
que de retrouver sa profonde consistance idéologique. Il ne lui
manquerait alors que deux choses pour remettre en chantier la
société solidaire du progrès et combattre la «dissociété» des
individus. Primo, des militants et des cadres socialistes qui
renoncent enfin à reconduire les dirigeants, la stratégie centriste
et l'inconsistance idéologique qui les conduisent à la défaite.
Secundo, construire à gauche un grand parti qui réunisse les divers
courants partageant l'aspiration au progrès continu d'une société
de solidarité, où l'intérêt général prime sur les profits privés,
dans le cadre d'une économie de marché fortement régulée par le
politique. C'est là une perspective qui peut rassembler les
progressistes, du centre gauche aux communistes, et jusqu'aux
«antilibéraux» qui préfèrent oeuvrer à des progrès biens réels
qu'exploiter indéfiniment le seul marché de la protestation.
Mais construire ce qui paraît si souhaitable restera longtemps
hors de portée si trop de dirigeants du PS persistent à penser
l'avenir dans une alliance entre les centristes et un parti
social-démocrate débarrassé de son aile gauche. Cette vision
inspirée d'une histoire ancienne et étrangère n'ouvre d'autre
perspective que l'explosion du PS en deux forces concurrentes. La
fraction socialiste authentique capterait alors l'essentiel de
l'électorat ancré à gauche, et le parti social-démocrate ne
tarderait pas à être absorbé par le parti centriste. Faudra-t-il
alors, pour revoir un jour un gouvernement de gauche, attendre que
passe la génération centriste, le temps que la génération des
jeunes militants qui a fait retirer le CPE remplace celle des
ministres socialistes qui ont dit oui à la constitutionnalisation
du néolibéralisme en Europe ? Une fois encore, ce sont les
militants socialistes qui tiennent l'histoire entre leurs
mains.
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