Les vraies leçons économiques de l'Europe du Nord
Les vraies leçons économiques de l'Europe du Nord
Les débats économiques seraient moins nombreux si le monde passait plus de temps à observer ce qui fonctionne bien et ce qui ne fonctionne pas. Presque partout, des discussions houleuses ont eu lieu sur la manière de combiner les forces du marché avec la Sécurité sociale. La gauche appelle à une amplification de la protection tandis que la droite estime que cette amplification saperait la croissance économique et aggraverait les déficits fiscaux.
Or il
est possible de faire avancer le débat en examinant de plus près le
succès des économies danoise, finlandaise, islandaise, néerlandaise,
norvégienne et suédoise. Bien qu'aucune expérience régionale ne soit
directement transférable, les pays nordiques ont réussi à associer le
bien-être social à de hauts niveaux de revenus, à une croissance
économique solide et à une stabilité macroéconomique. Ces pays sont
également dotés d'administrations publiques d'excellente qualité.
Bien
sûr, il existe aussi des différences parmi les pays nordiques, les
dépenses sociales étant plus élevées au Danemark, aux Pays-Bas, en
Norvège et en Suède qu'en Finlande et en Islande. Toutefois, alors que
les impôts nationaux aux Etats-Unis équivalent à 20 % du PNB, le ratio
est de plus de 30 % dans les pays nordiques.
Cette
forte imposition finance en totalité le système national des soins de
santé, l'éducation, les retraites, ainsi que d'autres services sociaux.
Il en résulte de faibles niveaux de pauvreté et un écart de revenus
relativement serré entre les ménages les plus riches et les ménages les
plus pauvres. Aux Etats-Unis, les 20 % de foyers les plus pauvres ne
perçoivent que 5 % du revenu global du pays, plaçant ainsi leurs
revenus à environ un quart de la moyenne nationale. En revanche, dans
les pays nordiques, les 20 % de foyers les plus pauvres reçoivent
presque 10 % du revenu global et leurs revenus équivalent quasiment à
la moitié de la moyenne nationale.
Les
conservateurs américains estiment qu'un secteur public fort engendre
l'inefficacité et la mauvaise gestion, entraîne la corruption et la
lourdeur bureaucratique, tandis que les impôts qui le soutiennent
limitent l'efficacité économique. Or l'expérience nordique remet en
cause chacune de ces affirmations.
Considérons
les questions de l'inefficacité et du gaspillage. Dans les pays
nordiques, le gouvernement finance le système de Sécurité sociale. Il
en résulte une espérance de vie plus élevée et un taux de mortalité
infantile plus bas qu'aux Etats-Unis. L'espérance de vie est proche de
quatre-vingts ans dans les pays nordiques et de soixante-dix-huit ans
aux Etats-Unis, où le gouvernement ne garantit pas l'assurance-santé au
niveau national et où des millions de familles sont trop pauvres pour
se l'offrir elles-mêmes. Ironiquement, dans le système américain, la
forte confiance placée dans le secteur privé est tellement inefficace
que les Américains consacrent une plus grande proportion du PNB à la
santé (14 %) que les Nordiques (11 %), en en tirant moins d'avantages.
En
outre, bien que les dépenses d'aide sociale soient moins élevées aux
Etats-Unis que dans les pays nordiques, le déficit budgétaire,
proportionnellement au revenu national, est beaucoup plus important.
Les Etats-Unis dépensent peu pour le secteur public, mais l'impôt est
encore plus faible que la dépense.
La
forte imposition n'a pas plus empêché les pays nordiques de réaliser de
belles performances économiques. Plutôt que de s'appuyer
essentiellement sur l'impôt sur le revenu, comme c'est le cas aux
Etats-Unis, les pays nordiques s'appuient sur la TVA qui permet de
collecter d'importantes sommes d'argent, tout en limitant la fraude
fiscale et l'altération de l'économie. L'expérience nordique dément
également l'argument conservateur selon lequel un Etat providence fort
tend à affaiblir la motivation au travail et à l'épargne. L'épargne
nationale dans les pays nordiques s'élève en moyenne à plus de 20 % du
revenu national, tandis qu'elle est d'environ 10 % aux Etats-Unis.
Par
ailleurs, la croissance économique dans les pays du Nord est identique
à celle des Etats-Unis de ces dernières années. En moyenne, les
salaires sont plus élevés aux Etats-Unis, surout parce que la semaine
de travail des Nordiques compte moins d'heures. Quoi qu'il en soit, les
pays nordiques ont tous un niveau élevé de revenus. Le revenu par tête
de la Norvège dépasse celui des Etats-Unis.
Plusieurs
facteurs semblent expliquer cette réussite. L'imposition à assiette
large ne fausse pas l'économie. Le commerce international ouvert, les
forces du marché et la propriété privée des industries constituent
autant d'incitations à travailler. Les pays nordiques ne sont pas des
économies socialistes fondées sur la propriété d'Etat et la
planification, mais des économies sociales basées sur la propriété
privée et le marché, offrant toutefois une protection sociale publique.
L'aspect le plus important réside dans leur investissement massif dans
l'enseignement supérieur, les sciences et la technologie, leur
permettant de rester à la pointe des secteurs de haute technologie.
Il
y a cinquante ans, Friedrich von Hayek, le théoricien de l'économie de
marché, estimait qu'un secteur public puissant serait une menace pour
la démocratie même, plaçant les pays européens sur « La route de la
servitude » [titre du best-seller publié par Hayek en 1944, NDLR]. Or
les pays nordiques ont profité, et non souffert, d'un Etat providence
fort, d'une corruption plus faible du secteur public et de niveaux de
participation électorale plus élevés qu'aux Etats-Unis. Selon
Transparency International, les pays nordiques possèdent les systèmes
politiques les moins corrompus du monde, Islande et Finlande en tête,
alors que les Etats-Unis, avec son système politique où l'argent coule
à flots, figurent loin au bas de la liste.
Dans
quelle mesure la réussite nordique peut-elle être reproduite ? Ces pays
comptent de petites populations. Ils disposent d'un accès facile aux
échanges commerciaux internationaux, de ressources naturelles et de
voisins pacifiques. À noter également leur homogénéité ethnique
permettant aux divisions sociales de se résoudre facilement. Cependant,
cela signifie que le défi de maintenir un Etat providence solide au
sein de sociétés ethniques et raciales très différentes, comme c'est le
cas aux Etats-Unis, n'est pas d'ordre économique. Il relève davantage
du respect de l'autre et de son intégration sociale.
JEFFREY D. SACHS est professeur et directeur de l'Institut de la Terre à l'université de Columbia (New York).
A découvrir aussi
- Le commerce extérieur français frise les 40 milliards de déficit
- L’Eee PC menace-t-il le marché du PC ?
- MADE in France
Retour aux articles de la catégorie ECONOMIE -
⨯
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 81 autres membres