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AGF : l'assurance santé spéciale VIP

© le point 19/01/06 - N°1740 - Page 68 - 1131 mots

AGF : l'assurance santé spéciale VIP

Pour 12 000 euros par an, les riches auront désormais une assurance de santé grand luxe. Avec des stars de la médecine à leur service et un accompagnement permanent. Pour les AGF, c'est le début d'une stratégie de conquête du secteur de la santé. Aujourd'hui, 200 pontes ont été sélectionnés. On attend maintenant les premiers patients...

Etienne Gernelle

Moi, ma Bentley, mon chauffeur et... mon assurance-santé ! Les AGF vont mettre en place une assistance santé de luxe réservée aux très gros revenus. Le principe d'Excellence santé est simple : les abonnés ayant acquitté (ou plutôt se faisant offrir par leur entreprise...) une cotisation annuelle de 12 000 euros auront un accès privilégié à toute une série de services : des bilans de santé, un coaching administratif et médical, mais surtout, en cas de pépin, une prise en charge haut de gamme. Le patient fortuné est alors orienté vers un médecin ou un service hospitalier soigneusement sélectionné. Rien que la crème. Le médecin doit être un ponte, une star dans sa spécialité. Et, bien sûr, ce médecin vedette recevra le patient de luxe dans les « meilleurs délais ». Les termes de la charte sont flous, mais on comprend qu'à ce tarif mieux vaut ne pas faire lanterner le malade. Ni l'abandonner entre les mains des services publics : en cas d'admission aux urgences, pas question de le laisser se débrouiller seul dans la masse, un médecin du « réseau » sera là avec lui. Une médecine VIP.

Des patients et des médecins chouchoutés. Rien de neuf, diront certains. Les grands de ce monde n'ont en général qu'à passer un ou deux coups de fil pour décrocher un rendez-vous avec les professeurs de médecine les plus réputés. Sauf que là le système sera institutionnalisé. Les patients ainsi chouchoutés n'auront même pas à régler les soins. Ceux-ci seront facturés après coup aux AGF. « Un peu comme dans le cadre d'un contrat Europ Assistance, mais en France ! » résume un médecin contacté par Excellence santé. Si les actes de médecine de ville seront pris en charge par les AGF, les actes lourds, comme la chirurgie, seront, eux, soumis au remboursement de la Sécu, à laquelle les abonnés continueront bien entendu de cotiser. Pour les médicaments, une carte de crédit spéciale permettrait de se les procurer dans les pharmacies.

Pour l'instant, aucun des mille premiers dirigeants d'entreprise français, la cible d'Excellence santé, n'a encore signé. Le système devrait être formellement lancé au printemps. Les AGF s'emploient d'abord à consolider le coeur du système : les médecins. Environ 200 ont déjà été sélectionnés, uniquement en région parisienne. Ils sont en réalité cooptés par un comité scientifique présidé par le professeur Pierre Godeau, une huile de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, connu, dans les années 80, pour arriver à l'hôpital tantôt en Porsche, tantôt en Ferrari... On trouve dans ce conseil d'autres cadors, tels Thierry Flam, professeur d'urologie à l'hôpital Cochin (Paris) auprès de Bernard Debré, ou encore le radiologue Alain Dana, qui eut l'honneur de radiographier François Mitterrand.

Outre l'autorité de ces blouses blanches couvertes de gloire, le « réseau », pour encourager les recrues, se montre généreux envers elles. Un généraliste percevrait ainsi, selon un médecin, « 80 euros pour une consultation et 150 euros pour une visite », contre respectivement 20 et 30 euros au tarif Sécu. « Franchement, je ne sais pas quoi faire, explique l'un des médecins sélectionnés. Je n'approuve pas ce genre d'évolution qui court-circuite la Sécu, mais avec mon tarif bloqué à 20 euros... »

La gêne de ce médecin n'est rien. Car ce contrat de luxe des AGF sent la poudre. « Oui, c'est un petit peu de la provocation », concède en souriant Gilles Johanet, patron de la branche santé des AGF. La critique risque d'être d'autant plus féroce que Johanet est un ancien conseiller de Pierre Mauroy à Matignon et fut à deux reprises directeur général de la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM).

La polémique risque de faire ressortir le concept de « système de santé à deux vitesses ». La discrimination par l'argent, pourtant, existe déjà largement. La Sécu de 1945 a depuis longtemps changé de visage. « Vous avez déjà des tarifs différents selon les médecins ; en honoraires libres ou non, vous avez l'hospitalisation privée, plus chère, et puis, si vous avez une bonne assurance complémentaire, tout cela sera pris en charge », note le docteur Gérard Zeiger, vice-président de l'Ordre national des médecins. Quant à l'accès particulier aux médecins, il existe déjà, même si la sélection ne se fait pas par l'argent : la SNCF, la RATP ou Air France ont leurs propres arrangements, leurs propres médecins...

Le risque politique. Même si tout cela relativise la portée de son projet, Gilles Johanet sait qu'il est délicat, dans un pays où la Sécurité sociale pour tous et l'égalité devant les soins sont des lignes blanches politiques. Il sait que le risque est grand que soit dénoncée la « priorité » accordée par des médecins à des clients du système AGF. Ce sera un défi majeur pour Excellence santé : offrir un accès privilégié à certains sans trop ostensiblement passer devant les patients « ordinaires ». D'où l'intérêt d'un recours à l'hospitalisation privée, plus souple en cas d'embouteillage.

De toute façon, là n'est pas l'essentiel, selon Gilles Johanet, qui hausse les épaules à l'écoute des critiques : « L'important, c'est de sélectionner l'offre de soins », affirme-t-il, insistant sur « un choix fondé sur la compétence et la pertinence ». Un discours qui le ramène quelques années en arrière, alors qu'il était directeur de l'assurance-maladie. Gilles Johanet, réformateur têtu, voulait alors exiger plus des médecins, afin de tirer le système vers le haut. Il avait notamment soutenu le système du « médecin référent », un contrat facultatif par lequel des médecins s'engageaient dans une démarche de qualité, notamment dans une formation indépendante des laboratoires. Or cette formule vient d'être abandonnée par le gouvernement. Pour Gilles Johanet, il s'agit aussi d'une petite revanche : faire dans le privé ce qu'il n'a pu faire à la Sécu.

Une garantie pour la qualité des soins ? Et les riches ne sont qu'une première étape de son plan. « L'important, ce sont les 200 médecins », affirme-t-il. Autrement dit, disposer déjà de l'équipe médicale la plus affutée afin de descendre progressivement en gamme, de proposer des assurances un peu moins chères à des clients un peu moins fortunés. Une solution qui ressemble beaucoup à ce que les AGF font déjà dans les domaines des soins dentaires et de l'optique : le recours à un réseau de praticiens sélectionnés pour leur compétence avec lesquels des tarifs ont été négociés. La véritable révolution est donc pour demain.

Reste une inconnue au système Johanet : est-on sûr d'être mieux soigné ? En théorie, oui, mais l'évaluation des médecins est un art bien difficile. Il est sans doute rassurant de payer très cher quand on le peut, mais ce n'est pas un gage absolu de qualité. N'importe qui peut être très bien soigné quasi gratuitement dans des hôpitaux publics à la pointe de la médecine, alors que des erreurs peuvent être commises dans des cliniques privées onéreuses. Et inversement. L'argent ne peut tout de même pas acheter la chance



23/01/2006
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