AGF : l'assurance santé spéciale VIP
AGF : l'assurance santé spéciale VIP
Pour
12 000 euros par an, les riches auront désormais une assurance de santé
grand luxe. Avec des stars de la médecine à leur service et un
accompagnement permanent. Pour les AGF, c'est le début d'une stratégie
de conquête du secteur de la santé. Aujourd'hui, 200 pontes ont été
sélectionnés. On attend maintenant les premiers patients...
Etienne Gernelle Moi,
ma Bentley, mon chauffeur et... mon assurance-santé ! Les AGF vont
mettre en place une assistance santé de luxe réservée aux très gros
revenus. Le principe d'Excellence santé est simple : les abonnés ayant
acquitté (ou plutôt se faisant offrir par leur entreprise...) une
cotisation annuelle de 12 000 euros auront un accès privilégié à toute
une série de services : des bilans de santé, un coaching administratif
et médical, mais surtout, en cas de pépin, une prise en charge haut de
gamme. Le patient fortuné est alors orienté vers un médecin ou un
service hospitalier soigneusement sélectionné. Rien que la crème. Le
médecin doit être un ponte, une star dans sa spécialité. Et, bien sûr,
ce médecin vedette recevra le patient de luxe dans les « meilleurs délais ». Les
termes de la charte sont flous, mais on comprend qu'à ce tarif mieux
vaut ne pas faire lanterner le malade. Ni l'abandonner entre les mains
des services publics : en cas d'admission aux urgences, pas question de
le laisser se débrouiller seul dans la masse, un médecin du « réseau »
sera là avec lui. Une médecine VIP. Des patients et des médecins chouchoutés.
Rien de neuf, diront certains. Les grands de ce monde n'ont en général
qu'à passer un ou deux coups de fil pour décrocher un rendez-vous avec
les professeurs de médecine les plus réputés. Sauf que là le système
sera institutionnalisé. Les patients ainsi chouchoutés n'auront même
pas à régler les soins. Ceux-ci seront facturés après coup aux AGF. « Un peu comme dans le cadre d'un contrat Europ Assistance, mais en France ! »
résume un médecin contacté par Excellence santé. Si les actes de
médecine de ville seront pris en charge par les AGF, les actes lourds,
comme la chirurgie, seront, eux, soumis au remboursement de la Sécu, à
laquelle les abonnés continueront bien entendu de cotiser. Pour les
médicaments, une carte de crédit spéciale permettrait de se les
procurer dans les pharmacies. Pour l'instant, aucun des mille
premiers dirigeants d'entreprise français, la cible d'Excellence santé,
n'a encore signé. Le système devrait être formellement lancé au
printemps. Les AGF s'emploient d'abord à consolider le coeur du système
: les médecins. Environ 200 ont déjà été sélectionnés, uniquement en
région parisienne. Ils sont en réalité cooptés par un comité
scientifique présidé par le professeur Pierre Godeau, une huile de
l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, connu, dans les années 80,
pour arriver à l'hôpital tantôt en Porsche, tantôt en Ferrari... On
trouve dans ce conseil d'autres cadors, tels Thierry Flam, professeur
d'urologie à l'hôpital Cochin (Paris) auprès de Bernard Debré, ou
encore le radiologue Alain Dana, qui eut l'honneur de radiographier
François Mitterrand. Outre l'autorité de ces blouses blanches
couvertes de gloire, le « réseau », pour encourager les recrues, se
montre généreux envers elles. Un généraliste percevrait ainsi, selon un
médecin, « 80 euros pour une consultation et 150 euros pour une visite », contre respectivement 20 et 30 euros au tarif Sécu. « Franchement, je ne sais pas quoi faire, explique l'un des médecins sélectionnés. Je n'approuve pas ce genre d'évolution qui court-circuite la Sécu, mais avec mon tarif bloqué à 20 euros... » La gêne de ce médecin n'est rien. Car ce contrat de luxe des AGF sent la poudre. « Oui, c'est un petit peu de la provocation »,
concède en souriant Gilles Johanet, patron de la branche santé des AGF.
La critique risque d'être d'autant plus féroce que Johanet est un
ancien conseiller de Pierre Mauroy à Matignon et fut à deux reprises
directeur général de la Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM). La
polémique risque de faire ressortir le concept de « système de santé à
deux vitesses ». La discrimination par l'argent, pourtant, existe déjà
largement. La Sécu de 1945 a depuis longtemps changé de visage. «
Vous avez déjà des tarifs différents selon les médecins ; en honoraires
libres ou non, vous avez l'hospitalisation privée, plus chère, et puis,
si vous avez une bonne assurance complémentaire, tout cela sera pris en
charge », note le docteur Gérard Zeiger, vice-président de l'Ordre
national des médecins. Quant à l'accès particulier aux médecins, il
existe déjà, même si la sélection ne se fait pas par l'argent : la
SNCF, la RATP ou Air France ont leurs propres arrangements, leurs
propres médecins... Le risque politique. Même si tout
cela relativise la portée de son projet, Gilles Johanet sait qu'il est
délicat, dans un pays où la Sécurité sociale pour tous et l'égalité
devant les soins sont des lignes blanches politiques. Il sait que le
risque est grand que soit dénoncée la « priorité » accordée par des
médecins à des clients du système AGF. Ce sera un défi majeur pour
Excellence santé : offrir un accès privilégié à certains sans trop
ostensiblement passer devant les patients « ordinaires ». D'où
l'intérêt d'un recours à l'hospitalisation privée, plus souple en cas
d'embouteillage. De toute façon, là n'est pas l'essentiel, selon Gilles Johanet, qui hausse les épaules à l'écoute des critiques : « L'important, c'est de sélectionner l'offre de soins », affirme-t-il, insistant sur « un choix fondé sur la compétence et la pertinence ».
Un discours qui le ramène quelques années en arrière, alors qu'il était
directeur de l'assurance-maladie. Gilles Johanet, réformateur têtu,
voulait alors exiger plus des médecins, afin de tirer le système vers
le haut. Il avait notamment soutenu le système du « médecin référent »,
un contrat facultatif par lequel des médecins s'engageaient dans une
démarche de qualité, notamment dans une formation indépendante des
laboratoires. Or cette formule vient d'être abandonnée par le
gouvernement. Pour Gilles Johanet, il s'agit aussi d'une petite
revanche : faire dans le privé ce qu'il n'a pu faire à la Sécu. Une garantie pour la qualité des soins ? Et les riches ne sont qu'une première étape de son plan. « L'important, ce sont les 200 médecins »,
affirme-t-il. Autrement dit, disposer déjà de l'équipe médicale la plus
affutée afin de descendre progressivement en gamme, de proposer des
assurances un peu moins chères à des clients un peu moins fortunés. Une
solution qui ressemble beaucoup à ce que les AGF font déjà dans les
domaines des soins dentaires et de l'optique : le recours à un réseau
de praticiens sélectionnés pour leur compétence avec lesquels des
tarifs ont été négociés. La véritable révolution est donc pour demain. Reste
une inconnue au système Johanet : est-on sûr d'être mieux soigné ? En
théorie, oui, mais l'évaluation des médecins est un art bien difficile.
Il est sans doute rassurant de payer très cher quand on le peut, mais
ce n'est pas un gage absolu de qualité. N'importe qui peut être très
bien soigné quasi gratuitement dans des hôpitaux publics à la pointe de
la médecine, alors que des erreurs peuvent être commises dans des
cliniques privées onéreuses. Et inversement. L'argent ne peut tout de
même pas acheter la chance
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