Revue de presse - Savoie

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Capitalisme : sous les profits, la crise ?

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Bourse
Capitalisme : sous les profits, la crise ?

Alors qu'un important colloque rassemblant les anciens des plus grandes écoles françaises s'interroge sur l'avenir du capitalisme, de plus en plus de patrons et d'économistes s'inquiètent de ses dérives.

Romain Gubert

C'était il y a quelques jours et la nouvelle a fait la une des gazettes financières. Ensemble, en affichant 80 milliards d'euros de profit en 2005, les entreprises françaises du CAC 40 ont établi un époustouflant record. Un chiffre jamais atteint, en hausse de 20 % par rapport à l'an passé et d'autant plus surprenant que pendant la même période le PIB du pays n'augmentait que de 1,4 %.

Dans la foulée, l'indice du CAC montait encore un peu plus (il a progressé de 30 % sur les douze derniers mois)... Champagne ? Pour les financiers, oui. Mais pas pour tout le monde. Car, pendant que la Bourse célèbre ses champions (12 milliards d'euros de profit pour Total ; 5,8 pour BNP-Paribas ; 5,7 pour France Télécom ; 4,5 pour la Société générale), certains s'inquiètent. Le colloque de ce jeudi 30 mars, que parraine Le Point (voir encadré), n'est pas animé par de dangereux révolutionnaires. Mais par les anciens d'HEC, de Polytechnique et de l'Ena. Et leur question en dit long sur l'état d'esprit du moment : « Le capitalisme a-t-il un avenir ? » Cette question, ils ne sont pas les seuls à se la poser. Elle est plus que jamais dans l'air du temps. Ces derniers mois, des doigts de plus en plus accusateurs pointent les dérives du capitalisme contemporain.

Prédateurs. Jean Peyrelevade a dirigé quelques-unes des plus grandes entreprises françaises (Suez, UAP, Crédit lyonnais). Jean-Luc Gréau, lui, est l'ancien patron des études du Medef. D'autres encore (Patrick Artus et Elie Cohen) sont des économistes rigoureux (le premier à la Caisse d'épargne, l'autre au CNRS). Aucun n'est en guerre contre la mondialisation. Aucun n'a la moindre tendresse pour Viviane Forrester et son « horreur économique » (Peyrelevade dénonce les « criailleries » des altermondialistes, ces partisans de l'« agitation plutôt que l'action »). Bien au contraire : tous sont des supporters affichés et sans complexe de l'économie de marché, dont ils connaissent les moindres rouages et dont ils célèbrent les mérites. Et pourtant... Tous ressentent aujourd'hui la même urgence. Et poussent le même cri : il y a péril en la demeure. Le capitalisme est au seuil d'une crise majeure. En somme, en triomphant un peu partout sur la planète après la chute du mur de Berlin et le grand bond en avant de la Chine, le capitalisme est entré dans une logique suicidaire.

Comme s'ils s'étaient donné le mot, tous ces auteurs (1) dénoncent le même phénomène : alors même qu'elle connaît depuis une décennie une croissance folle, l'économie mondiale est, selon eux, à deux doigts d'exploser sous la pression des marchés financiers. Principaux accusés : les 300 millions d'actionnaires installés - pour 90 % d'entre eux - aux Etats-Unis, au Japon et en Europe (ils représentent à peine 5 % de la population de la planète) qui gèrent, directement ou indirectement, à travers les hedge funds, les fonds de pension, d'investissement, ou d'assurance-vie, la quasi-totalité de la capitalisation boursière mondiale (31 000 milliards de dollars, soit 86 % du PIB annuel de la planète).

Leur délit ? En exigeant toujours davantage de rentabilité sans jamais se préoccuper des conséquences de leur course au profit immédiat et en se comportant comme des prédateurs, ils ont introduit le ver dans le fruit : la cupidité serait désormais le seul et unique moteur d'un capitalisme autrefois voué à la production de richesses et à la création d'emplois. Quant à l'épargne, dont la philosophie était jusque-là de justement préparer l'avenir, elle a perdu son essence même et ne sert plus que des intérêts à très court terme (quelque mois).

Schizophrènes. Après avoir observé que, dans les années 60, seule la taille de l'entreprise comptait, puis, dans les années 70, que seule la rentabilité importait, Patrick Artus date du milieu des années 90 le moment où « les firmes de tous les continents ont commencé à se prosterner devant la déesse "shareholdervalue" [création de valeur pour l'actionnaire] ». Avec ce diktat : 15 % de rentabilité des fonds propres (le fameux ROE, ou return on equity), auquel les dirigeants d'entreprise doivent soumettre leurs stratégies. Un résultat obtenu, l'an passé, en moyenne, par l'ensemble des firmes du CAC 40.

Autre constat : avec les distributions de stock-options et toutes ces incitations financières liées au cours de la Bourse (en 2004, les trois quarts des entreprises du CAC40 ont distribué des stock-options à leurs dirigeants), les PDG sont désormais les meilleurs alliés des marchés. Avec cette contrepartie : si leurs résultats financiers ne sont pas à la hauteur, ils sont remerciés du jour au lendemain. Ainsi, dans les 2 500 plus grandes entreprises américaines, la durée de vie moyenne d'un PDG n'est plus que de six ans, contre dix, environ, en 1995.

Résultat : les dirigeants d'entreprise ne redistribuent plus les gains de productivité à leurs salariés, qui ne consomment plus qu'avec parcimonie. Ils délocalisent leurs centres de production de plus en plus vite pour compresser leurs coûts de production et dégager plus de profits. Ils abandonnent les projets de développement qui ne sont pas rentables tout de suite, ce qui stérilise le potentiel de croissance futur. Ils consacrent des sommes faramineuses à racheter leurs propres actions pour en faire monter le cours (Total a racheté pour 3,5 milliards d'euros d'actions en 2004, soit la moitié des sommes engagées pour son plan d'investissement 2004-2008). Ils deviennent schizophrènes, expliquant à longueur de pages de rapports annuels qu'ils privilégient le développement durable tout en se concentrant, dans les faits, sur la seule rentabilité à court terme. Pis, les dirigeants n'hésitent plus à prendre des risques inconsidérés, comme l'a prouvé l'éclatement de la bulle internet, où d'innombrables multinationales ont failli disparaître après s'être laissé envoûter sans aucune prévention par les promesses d'eldorado de la révolution du net. De plus en plus, ces objectifs de rentabilité financière conduisent même de nombreux dirigeants à prendre des libertés avec la législation. Avec cette conséquence : les scandales financiers se multiplient. A commencer par Enron (dont la faillite a coûté 40 milliards de dollars), Worldcom (comptes truqués d'une dizaine de milliards de dollars), Ahold (Pays-Bas), Parmalat (14 milliards de dettes réelles, contre 1,8 milliard officiellement) en Italie, ou Vivendi en France... Des affaires sur lesquelles bien souvent les analystes et les marchés ont fermé les yeux car ils détenaient eux aussi une part de responsabilité. Messier « fut en son temps célébré pour son audace et son rayonnement », rappelle Elie Cohen, qui décortique la faillite d'Enron et l'affaire Vivendi pour montrer comment les marchés, et ceux qui les font, n'ont pas seulement accompagné les dirigeants de ces deux entreprises, mais les ont encouragés à suivre leurs stratégies hasardeuses. Et comment leur erreur collective a finalement empêché un gigantesque krach financier.

Reste les solutions... Et dans ce domaine, malgré d'innombrables pistes lancées ici ou là, personne n'a vraiment « la » solution. Comment convaincre ceux qui font les marchés qu'ils doivent être plus « responsables » ? Comment faire prendre conscience à l'investisseur qu'il doit devenir un actionnaire-citoyen... C'est sans doute le véritable défi auquel est confronté le capitalisme de ce début du XXIe siècle. Mais ça, c'est une autre histoire...



31/03/2006
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