Revue de presse - Savoie

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Cumul des mandats, l'exception française

Cumul des mandats, l'exception française


En mars 2006, une enquête réalisée par TNS-Sofres témoignait de la profondeur de la crise des institutions représentatives : 53 % des personnes interrogées estimaient que la démocratie française ne fonctionne pas bien. Au premier rang des propositions susceptibles d'en améliorer le fonctionnement et citée par 39 % des sondés, la limitation du cumul des mandats arrivait en tête, juste devant l'amélioration de l'accès des femmes aux responsabilités politiques.


SANCTIONS FINANCIÈRES

En France, les règlements prévoient des sanctions en cas d'absences répétées aux travaux parlementaires, mais elles ne sont jamais appliquées.

ASSEMBLÉE NATIONALE.

Avoir pris part, pendant une session, à moins des deux tiers des scrutins publics entraîne une retenue du tiers de l'indemnité de fonction (1 390,58 €) pour une durée égale à celle de la session ; si le même député a pris part à moins de la moitié des scrutins, cette retenue est doublée.

SÉNAT.

En cas de trois absences consécutives non justifiées d'un commissaire dans une commission permanente, celui-ci est considéré comme démissionnaire. Son indemnité de fonction est réduite de moitié jusqu'à la session ordinaire suivante ; il ne peut être remplacé en cours d'année.

Quoi de plus affligeant, en effet, que ces séances de l'Assemblée nationale ou du Sénat où les textes législatifs sont débattus par une poignée d'élus ? L'absentéisme chronique des députés et des sénateurs pèse dans le discrédit de l'institution parlementaire. "On ne peut espérer renforcer les pouvoirs du Parlement si les députés ne consacrent à leur mission de faire la loi et de contrôler le gouvernement qu'à peine quelques heures par semaine", convenait Jean-Louis Debré, lors de la présentation des voeux au chef de l'Etat.

"Je ne suis pas convaincu que l'interdiction du cumul des mandats soit la solution, bien au contraire", ajoutait cependant le président de l'Assemblée nationale. S'il est en effet un point qui fait consensus à l'UMP, sur lequel chiraquiens et sarkozystes se retrouvent sur la même longueur d'onde, c'est bien cette hostilité à l'interdiction du cumul des mandats. Au nom du nécessaire "enracinement local" des élus nationaux, plaident-ils à l'unisson.

Pas question, donc, pour Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur et toujours président du conseil général des Hauts-de-Seine, de mettre un terme à cette exception française qu'est la pratique intensive du cumul des mandats. Il est vrai que le candidat de l'UMP confiait récemment que, s'il était élu à la présidence de la République, il n'exclurait pas de conserver la présidence de son parti. Un cas de figure inédit.

A l'inverse, Ségolène Royal et François Bayrou se déclarent partisans d'une stricte limitation du cumul des mandats. La candidate du PS, députée des Deux-Sèvres et présidente de la région Poitou-Charentes, a annoncé qu'elle ne se représenterait pas aux législatives de 2007, quel que soit le résultat de l'élection présidentielle. Elle se prononce, par ailleurs, pour "une surveillance populaire sur la façon dont les élus remplissent leur mandat". Quant au président de l'UDF, député et conseiller général des Pyrénées-Atlantiques, il propose que soit adopté le principe du mandat unique pour les députés, assorti de "deux règles drastiques" : "Si l'on n'est pas là, on ne vote pas, pas de délégation de vote. Si l'on n'est pas là, on n'est pas payé." En revanche, ajoute M. Bayrou, "il y a une Assemblée qui doit comprendre des élus locaux, de grands responsables d'exécutif : c'est le Sénat".

Si derrière la majorité des parlementaires, toutes tendances confondues, sommeille un élu local, ce n'est pas sans incidences sur l'élaboration de la loi. Chaque élu national, à Paris, aura tendance à évaluer la pertinence du texte qui lui est proposé à l'aune de ses intérêts locaux. La longue histoire des lois sur la décentralisation a ainsi été traversée par l'affrontement continu entre "départementalistes" et "régionalistes", qui ne recouvrait pas les lignes de clivage politique mais celles des autres mandats exercés. Quand Patrick Devedjian, alors ministre des libertés locales, défendait au Parlement la "mère des réformes" de Jean-Pierre Raffarin, il se félicitait d'"une réforme faite par les élus locaux pour les élus locaux"...

Le scrutin majoritaire favorise la logique du cumul : la notoriété que procure l'exercice d'un mandat constitue une sorte de prime de départ au candidat. Et les partis eux-mêmes accordent prioritairement l'investiture à celui - et plus rarement celle - qui dispose déjà de la "légitimité" électorale. Ainsi, dans la tradition politique française, détenir un mandat électif favorise l'obtention d'un autre.

Comment s'étonner alors des difficultés que rencontre le vivier politique pour se renouveler, auxquelles s'ajoute le retard accumulé sur la parité ?

Les législations successives visant à limiter le cumul des mandats n'ont pas permis de faire disparaître le phénomène. En 1985, le gouvernement de Laurent Fabius adopte une première réglementation. Le mandat de parlementaire ne peut être exercé simultanément avec plus d'un des mandats ou fonctions suivants : représentant au Parlement européen, conseiller régional ou général, conseiller de Paris, maire d'une commune de plus de 20 000 habitants, adjoint au maire d'une commune de plus de 100 000 habitants ou plus, conseiller à l'Assemblée de Corse, membre d'une assemblée territoriale d'un territoire d'outre-mer.

Au lendemain de la victoire de la gauche aux élections législatives de 1997, Lionel Jospin impose aux membres de son gouvernement de renoncer à tout mandat exécutif local. Deux projets de loi introduisant de nouvelles restrictions sont déposés, en avril 1998, à l'Assemblée nationale. Les principes exposés sont clairs : il ne doit plus être possible de cumuler un mandat de parlementaire et un mandat européen ni un mandat de parlementaire avec une fonction de président de conseil général, de conseil régional ou de maire. L'interdiction vise également le cumul avec la présidence d'une structure intercommunale.

A l'arrivée, la loi du 5 avril 2000 fixant les règles du cumul révise ces objectifs à la baisse. La résistance opposée par la majorité sénatoriale de droite a raison de plusieurs dispositions-clés. Les députés et les sénateurs peuvent continuer à exercer une fonction exécutive locale. La limitation des cumuls ne concerne pas le mandat exercé dans une commune de moins de 3 500 habitants. Quant aux intercommunalités, elles ont été retirées du projet...

La pratique reste profondément ancrée dans nos moeurs politiques, alors que les transferts de compétences et de ressources qu'ont entraînés les lois de décentralisation n'ont fait que multiplier les risques de conflits d'intérêts. La rénovation de la fonction parlementaire, par ailleurs, suppose que les élus se consacrent à plein temps à leur tâche.

Bernard Roman, rapporteur du projet de loi présenté par le gouvernement de M. Jospin, dressait un constat plein de clairvoyance. "Comment prétendre, interrogeait le député (PS) du Nord, que le cumul favorise le sens des réalités et la proximité avec les citoyens quand, dans la même semaine, le même élu doit présider son conseil municipal, signer les actes de la structure intercommunale qu'il préside, participer aux travaux du conseil régional, tenir sa permanence parlementaire, et enfin monter à Paris pour assister aux séances, aux réunions de groupe et de commissions ?" "A cet égard, ajoutait-il, le cumul favorise les élus parisiens, qui rencontrent moins de difficultés pour concilier obligations locales et nationales que leurs collègues de province et d'outre-mer." Le constat n'a rien perdu de sa pertinence.

Patrick Roger



24/02/2007
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