Délinquance : les vraies raisons d'une décrue
Délinquance : les vraies raisons d'une décrue
Selon Sebastian Roché, l'activité policière serait pour peu dans la baisse de la délinquance.
Props recueillis par Christophe Deloire Les
mystères des statistiques policières enfin révélés ? Le 12 janvier,
lors de ses voeux à la presse, Nicolas Sarkozy a vanté ses résultats à
la tête du ministère de l'Intérieur : baisse de la délinquance générale
de 8 % ces trois dernières années, alors qu'une hausse de 14 % avait
été enregistrée au cours des trois années précédentes. Pour l'homme
politique, pas de doute, la police s'est remise au travail et son
surcroît d'activité porte ses fruits. Un chercheur, et pas des
moindres, a entrepris de vérifier les raisons exactes de cette décrue.
Directeur de recherche au CNRS, auteur de « Police de proximité »
(Seuil), Sebastian Roché ne conteste pas les chiffres ni l'habileté des
discours du ministre. Mais il considère que la police et la gendarmerie
ne sont pas pour grand-chose dans la baisse de la délinquance. A noter
que l'auteur de ces propos iconoclastes est membre du conseil
d'administration de l'Ecole nationale supérieure de police, à Lyon, où
il donne des cours aux élèves commissaires. Le Point : Vous
défendez une thèse surprenante. Selon vous, la baisse de la délinquance
n'est liée que de manière marginale au travail des services de sécurité
et d'enquête. Sebastian Roché : C'est exact.
Logiquement, on peut se dire que plus la police identifie les auteurs,
plus cela fait baisser la délinquance. Mais ce n'est pas du tout ce que
l'on observe. Les policiers et gendarmes élucident environ 15% des
atteintes aux biens et 57 % des violences aux personnes, soit près de
quatre fois plus. Or, que remarque-t-on ? Les atteintes aux biens
baissent, alors que la police trouve peu les coupables, tandis que les
violences, bien mieux réprimées, augmentent de 5 %. Mettre les auteurs hors d'état de nuire les empêche pourtant de commettre des délits. Sans oublier l'effet de dissuasion. Je
ne conteste pas que les gens en prison ne sont plus en mesure de
commettre des délits. Et Sarkozy a raison de dire que le nombre de
faits élucidés augmente : 3 % de plus en 2005 qu'en 2004. Je conteste
juste l'équivalence « police égale sécurité », « plus d'auteurs
identifiés égale moins de délits. » Il serait faux de penser que les
policiers ne faisaient rien sous Jospin. En 1996, la police élucidait
571 000 faits, 662 000 en 2001 et 701 000 en 2002. Ce qui n'a pas
empêché la délinquance d'augmenter ces années-là. Depuis 2002, malgré tout, elle baisse. Alors pourquoi ? Pour
des raisons extérieures à l'activité policière. Prenons les atteintes
aux automobiles, qui constituent la moitié des atteintes aux biens. En
France et dans les autres pays occidentaux, il y a une chute
spectaculaire des infractions (voir encadré). Depuis qu'ils ont
signé des protocoles avec les sociétés d'assurances à la fin des années
80, les constructeurs ont amélioré les systèmes de sécurité. Les
serrures sont plus difficilement crochetables ; elles sont
électroniques. Les voitures sont dotées de systèmes antidémarrage et
d'alarmes en série. Ce raisonnement s'applique-t-il à d'autres domaines ? Prenons
des exemples : les cambriolages baissent de 9 % alors que les vols
d'objets sur la voie publique augmentent d'autant. Pour les
cambriolages, la baisse concerne plus les résidences secondaires que
les principales. Les délinquants font face à un renforcement de la
sécurité, à travers les vitrages retardateurs d'effractions ou les
serrures qui répondent à des normes plus sévères. En revanche, avec les
modes de vie nomades, les gens portent dans la rue leurs valeurs, les
téléphones, appareils photo numériques ou ordinateurs portables.
Pourquoi aller dans un domicile voler un ordinateur fixe alors qu'on
peut en trouver facilement dans la rue ? Le blocage des portables volés par les opérateurs n'a pas endigué ce vol ? Quand
on se fait voler son portable, on peut appeler l'opérateur et, en lui
donnant le code Imei, non seulement lui faire couper la ligne, mais
aussi désactiver l'appareil. Mais très peu de gens connaissent ce code,
donc très peu bloquent leurs appareils volés, ainsi la dissuasion est
elle encore limitée. Mais la baisse a déjà commencé depuis 2003 ; elle
va s'amplifier. La politique menée par Nicolas Sarkozy semble tout de même influer sur les statistiques. On
accepte l'idée de mondialisation au sens économique, mais pas pour la
délinquance. Or, si l'on y regarde bien, les évolutions sont
synchronisées dans le monde entier. La délinquance baisse aujourd'hui
aux Etats-Unis, au Canada et dans les autres pays européens plus vite
qu'en France. Cela s'explique par la mondialisation des modes de vie et
de consommation. C'est même vrai pour les homicides ! Si l'on regarde
les courbes, on observe dans tous ces pays une baisse de 1915 à 1955,
puis une forte hausse jusqu'en 1990, et une nouvelle décrue depuis. Une
progression avec la libération des moeurs, puis une régression avec
l'affirmation des normes morales. Le plus sidérant, c'est que les
courbes des pays européens, dont la France, épousent même celle de
l'Australie ! Tout de même, la délinquance a augmenté sous le gouvernement Jospin, et elle reflue depuis. On
reste aujourd'hui sur les hauts plateaux de la délinquance. L'art du
ministre consiste à communiquer douze fois par an sur de petites
variations. Cette baisse n'est pas une première. La France a déjà connu
ça entre 1986 et 1989, puis entre 1994 et 1998. Grosso modo sous des gouvernements de droite. Oui,
mais la droite était aussi au pouvoir entre 1950 et 1981. Ce n'était
pas une droite molle du tout, et la hausse a été vertigineuse. A quel facteur est imputable la hausse des violences ? J'observe
que les violences non crapuleuses, c'est-à-dire non motivées par le
vol, augmentent plus que les autres. Un chauffeur de bus demande son
ticket à un quidam, le ton ne plaît pas à ce dernier, il donne un coup
de poing. En fait, la précarité économique pousse les gens à être plus
agressifs plutôt que plus voleurs. Nicolas Sarkozy a attribué les émeutes à des bandes inquiètes des succès policiers. Les
émeutes à Paris comme à Los Angeles ou à Londres sont spontanées.
Pendant les émeutes, 3 000 personnes ont été arrêtées, et, après,
encore 2 000 autres en relation avec ces événements. Le soir de la
Saint-Sylvestre, la mobilisation policière a été très importante. Et
pourtant, cette nuit-là, il y a eu 30 % de véhicules volés en plus par
rapport à l'année dernière. On voit la limite de l'exercice policier. Vous êtes dur contre la police. La
police est très utile, elle participe à la pression contre les
délinquants, mais elle n'explique pas la baisse. Pas plus que la police
n'était la cause de la hausse des délits entre 1945 et 1985. Quels que
soient les chiffres, les ministres disent qu'ils ont été obtenus grâce
au bon travail de la police. Pendant la période de hausse de la
délinquance, Daniel Vaillant, ministre de l'Intérieur de Lionel Jospin,
nous expliquait que c'était la preuve que les Français avaient
confiance dans les policiers et venaient plus déclarer ce dont ils
avaient été victimes. Pour un ministre, comme pour tout élu, il est
difficile de penser que ce qui se passe n'est pas la conséquence de son
action. Vous ne vous rendez pas coupable d'incitation au fatalisme ? Au
contraire. Tous les pays cherchent à rénover la police en privilégiant
la stratégie par rapport à la tactique à courte vue. C'est le cas avec
le principe de la « résolution de problème », qui consiste à s'attaquer
aux phénomènes de délinquance dans leur ensemble plutôt que de lutter
contre chacun des faits sans réfléchir. Mais, par hantise que
les policiers et les gendarmes descendent dans la rue comme en novembre
2001, Sarkozy préfère s'en tenir au modèle du commissaire Moulin,
l'homme qui arrête les délinquants. Sur ce plan, il n'est pas favorable
à la rupture
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© le point 26/01/06 - N°1741 - Page 38 - 1261 mots
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