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L'identité de la France, c'est ça: la lettre de Pompidou à Chaban-Delmas

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on est tombé bien bas avec les guignols à l'esprit étriqué qui nous gouvernent

L'identité de la France, c'est ça: la lettre de Pompidou à Chaban-Delmas

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En juillet 1970, Georges Pompidou écrivait à son Premier ministre Chaban-Delmas pour se plaindre d'une circulaire prévoyant l'abattage des arbres sur les bords des routes. Au-delà de l'anecdote, cette lettre en dit long sur la France, et ce qu'elle est. A méditer, en plein débat sur l'identité nationale.

On se souvient d’un Georges Pompidou féru d’art moderne et promoteur d’une France industrielle en même temps que bâtisseur d’autoroutes. La destinée a même donné son nom à une voie sur berge symbole d’un Paris livré à l’automobile, dont l’actuelle municipalité de gauche inverse le processus sans discernement.

Cette lettre a été lue dimanche matin au 7/9 de Stéphane Paoli par notre confrère Alain Baraton, chef jardinier du château de Versailles et chroniqueur botanique sur France Inter. Non seulement le fond et la forme de la lettre sont révélatrices d’un homme sensible aux questions d’environnement et de protection du patrimoine rural, mais d’un grand érudit et esthète de la langue française, ce qui n’a rien étonnant de la part d’un Normalien.

Son contenu a quelque chose de bouleversant, non seulement dans l’attachement d’un homme de la campagne à une France qu’il sent disparaître, mais dans le ton même, non dépourvu d’allusions ironiques et de considérations quasi humoristiques à l’endroit d’un Premier Ministre dont on sait aujourd’hui qu’il était fort jaloux de ses prérogatives gouvernementales.

Le conservateur intellectuel et distingué Pompidou nous livre là une démonstration de ses talents littéraires assortie d’un aveu de solitude dans l’exercice du pouvoir. Que le chef de l’Etat ait pris la peine de dicter une lettre de cette teneur pour un sujet apparemment secondaire dénote l’importance que l’homme attache à l’arbre de France.

Voilà bien un terrain d’entente et de convergence qu’il aurait pu partager avec un certain député de la Nièvre, qui lui succédera 21 ans plus tard à l’Elysée avec la même passion sylvestre. La lecture de ce document est, bien entendu, un régal, voire un souvenir émouvant pour ceux qui ont connu cette époque où les vicissitudes de la vie politique étaient différentes de celles auxquelles le pays est  aujourd’hui confronté.

Nul ne peut oublier la réplique de Georges Pompidou à la question d’un journaliste, lors d’une conférence de presse, à propos du suicide d’une professeur de français, ni cette citation de Paul Eluard qu’il fit aux ligues de vertu :

« Comprenne qui voudra,
Moi mon remord ce fut
La malheureuse qui resta sur le pavé
La victime raisonnable à la robe déchirée
Au regard d’enfant perdue
Découronnée, défigurée,
Celle qui ressemble aux morts qui sont morts pour être aimés. 
»

Il n’est rien de dire que les hommes d’Etat n’étaient pas les mêmes et que leurs compétences culturelles prenaient une autre dimension lorsqu’il s’agissait de les exercer en public. Je ne crois pas que notre actuel Président de la République ait la capacité d’adresser un tel courrier à notre actuel Premier Ministre. Je ne sais si la France était mieux gouvernée et sa nature mieux préservée, je sais seulement qu’il n’y a pas une ligne, pas un mot à soustraire du courrier présidentiel dans l’approche des problématiques actuelles.

Pompidou n’était pas visionnaire, il était seulement lucide et avait une approche différente de la civilisation de progrès dont il fut pourtant un fervent défenseur. Que la République se soit trouvée un instant résumée dans cette lettre peut avoir quelque chose de touchant et rassurant. Les arbres de l’Elysée ont perdu bien des feuilles depuis, emportant avec eux la prose pompidolienne…

Cela nous change, en tout cas, du « Casse toi pauv’con » lancé un fameux jour d’ouverture du Salon de l’Agriculture.

Voici le texte intégral de la lettre de Georges Pompidou

Lettre de Georges Pompidou,
Président de la République Française
à Jacques Chaban Delmas,
Premier Ministre, en date du 17 juillet 1970

Mon cher Premier Ministre,

J'ai eu, par le plus grand des hasards, communication d'une circulaire du Ministre de l'Equipement -Direction des routes et de la circulation routière- dont je vous fais parvenir photocopie. Cette circulaire, présentée comme un projet, a en fait déjà été communiquée à de nombreux fonctionnaires chargés de son application, puisque c'est par l'un d'eux que j'en ai appris l'existence.

Elle appelle de ma part deux réflexions : La première, c'est qu'alors que le Conseil des Ministres est parfois saisi de questions mineures telles que l'augmentation d'une indemnité versée à quelques fonctionnaires, des décisions importantes sont prises par les services centraux d'un ministère en dehors de tout contrôle gouvernemental ; la seconde, c'est que, bien que j'ai plusieurs fois exprimé en Conseil des Ministres ma volonté de sauvegarder "partout" les arbres, cette circulaire témoigne de la plus profonde indifférence à l'égard des souhaits du Président de la République.

Il en ressort, en effet, que l'abattage des arbres le long des routes deviendra systématique sous prétexte de sécurité. Il est à noter par contre que l'on n'envisage qu'avec beaucoup de prudence et à titre de simple étude, le déplacement des poteaux électriques ou télégraphiques.

C'est que là, il y a des administrations pour se défendre. Les arbres, eux, n'ont, semble-t-il, d'autres défenseurs que moi-même et il apparaît que cela ne compte pas. La France n'est pas faite uniquement pour permettre aux Français de circuler en voiture, et, quelle que soit l'importance des problèmes de sécurité routière, cela ne doit pas aboutir à défigurer son paysage.

D'ailleurs, une diminution durable des accidents de la circulation ne pourra résulter que de l'éducation des conducteurs, de l'instauration des règles simples et adaptées à la configuration de la route, alors que complication est recherchée comme à plaisir dans la signalisation sous toutes ses formes. Elle résultera également des règles moins lâches en matière d'alcoolémie, et je regrette à cet égard que le gouvernement se soit écarté de la position initialement retenue.

La sauvegarde des arbres plantés au bord des routes -et je pense en particulier aux magnifiques routes du Midi bordées de platanes- est essentielle pour la beauté de notre pays, pour la protection de la nature, pour la sauvegarde d'un milieu humain.

Je vous demande donc de faire rapporter la circulaire des Ponts et Chaussées et de donner des instructions précises au Ministre de l'Equipement pour que, sous divers prétextes (vieillissement des arbres, demandes de municipalités circonvenues et fermées à tout souci d'esthétique, problèmes financiers que posent l'entretien des arbres et l'abattage des branches mortes), on ne poursuive pas dans la pratique ce qui n'aurait été abandonné que dans le principe et pour me donner satisfaction d'apparence.

La vie moderne dans son cadre de béton, de bitume et de néon créera de plus en plus chez tous un besoin d'évasion, de nature et de beauté. L'autoroute sera utilisée pour les transports qui n'ont d'autre objet que la rapidité. La route, elle, doit redevenir pour l'automobiliste de la fin du vingtième siècle ce qu'était le chemin pour le piéton ou le cavalier : un itinéraire que l'on emprunte sans se hâter, en en profitant pour voir la France. Que l'on se garde donc de détruire systématiquement ce qui en fait la beauté !

Georges Pompidou



03/02/2010
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