Le désespoir des Américains endettés
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avec l'allongement des durées d'emprunt, cette situation risque de se retrouver en France dans quelques annéesLe désespoir des Américains endettés
http://www.letemps.ch/template/tempsFort.asp?page=3&contenuPage=&article=203157&quickbar=Ils sont des millions à avoir emprunté pour leur maison. Et au prix fort pour les ménages les plus fragiles. Etouffés par la hausse des taux, ils ne peuvent plus payer. Déjà 1,2 million de biens immobiliers ont été saisis en l'espace d'un an.
Personne ne s'occupait d'eux. Leurs soucis étaient tout au plus pris en compte par quelques avocats bénévoles ou par les volontaires des églises. Mais tout d'un coup, ils sont au centre d'une menace de crise économique mondiale.
«L'immobilier va probablement peser plus qu'anticipé sur la croissance», résumait récemment Citigroup. «Les marchés sont en proie à l'incertitude», expliquaient mercredi les analystes à Wall Street. Les responsables? Ces familles américaines endettées, qui n'arrivent plus à payer leur maison. Victimes de pratiques souvent frauduleuses, les voilà désormais transformées en coupables.
Dans son bureau du Queens, un district de New York, Oda Friedheim a du mal à cacher son irritation. Des années qu'elle met en garde contre les méthodes de plus en plus agressives de certains organismes spécialisés dans le prêt hypothécaire. Des années que cette avocate du Service d'aide légale recourt auprès des tribunaux pour défendre ses clients face aux pratiques «louches».
Ces pratiques ont un nom: le «subprime mortgage», les prêts offerts à des personnes qui n'ont pas de réelle assise financière. La «dérégulation» du système bancaire a fait exploser ce type d'agissements. «Ce sont des gens qui ont investi tout leur argent dans leur maison. En dehors d'elle, ils n'ont rien. Et lorsqu'ils perdent leur maison, cela devient vite catastrophique.»
Sa maison, Asuman a décidé de la vendre, avant qu'on la lui ôte. Dans le quartier de Jamaica, au fin fond du Queens, où se croisent des dizaines de nationalités, les petites bicoques en bois s'alignent à perte de vue, malmenées par la proximité agressive du métro aérien. «C'est devenu un peu cher», glisse cet Indien d'une trentaine d'années pour expliquer le panneau «for sale» qui orne sa maison de 4 pièces où vit la famille de cinq personnes. Peu qualifié, employé dans un magasin d'alimentation proche, Asuman est persuadé qu'il trouvera un emploi comparable ailleurs. «Si j'arrive à vendre, nous partons pour la campagne», sourit-il. Ou mieux dit: pour la banlieue de la banlieue.
«Les gens ont honte d'avouer qu'ils se sont fait avoir en empruntant de l'argent, complète Oda Friedheim. Mais encore, ceux qui peuvent revendre ont de la chance. Beaucoup ne se rendent compte de la gravité de la situation qu'une fois leur maison saisie.»
Les agents qui parcourent les banlieues de la classe moyenne n'ont pas de scrupules. Les futurs acheteurs n'ont pas de fonds propres pour leur maison? Ils leur concèdent la totalité de la somme, parfois même davantage pour couvrir les frais. Ils n'ont pas de salaire fixe? Le montant est inventé purement et simplement.
«Dans certains cas que nous avons traités, les gens avaient affirmé qu'ils gagnaient 2000 dollars par mois. Mais l'agence qui voulait leur accorder un prêt a inscrit 10000 dollars», affirme Navid Vazire, avocat lui aussi, au Centre légal du sud de Brooklyn, un autre district de New York.
Récemment, le comité du Sénat en charge des affaires bancaires avait estimé à 2,2 millions le nombre d'Américains qui allaient être incapables d'honorer leur dette hypothécaire. Ajoutée au cri d'alarme d'une association des prêteurs, évaluant que le nombre de banqueroutes privées était à son plus haut depuis trente-sept ans, cette estimation des sénateurs a fortement contribué à faire vaciller la confiance de l'Amérique en son économie.
Car les pratiques de certains prêteurs ne s'arrêtent pas là. En Californie, on a découvert que ces agences promettaient, en espagnol, certaines conditions aux nouveaux arrivés mexicains puis leur faisaient signer des contrats totalement différents. Perdus dans «les petites lettres» des contrats, les taux augmentent parfois de manière exponentielle avec les années. «Les gens voient leur facture augmenter, parfois doubler, mais ils ne comprennent pas le motif», explique Navid Vazire, dont le centre reçoit une dizaine d'appels désespérés par jour. «Ils ne savent pas à qui s'adresser, essaient la municipalité, l'Etat, voire la police. Mais la police ne peut rien faire. Ils ont signé un contrat, ils doivent payer.»
Si l'affaire passe devant le tribunal, il faut parfois des années avant que la justice tranche. Les petits propriétaires sont de peu de poids face aux puissantes agences immobilières. Souvent, les centres d'aide légale perdent leurs procès. Alors ils conseillent aux gens d'agir comme Asuman: de vendre au plus vite avant qu'il ne soit trop tard.
Les Etats-Unis ont toujours encouragé l'idée de la propriété. «Une nation de propriétaires est imbattable», disait déjà Franklin Roosevelt. Partant sans doute du même principe, l'administration de George Bush a tout fait pour privilégier l'accession au statut de propriétaire, faisant même de juin «le mois de la propriété nationale». Mais traditionnellement, les banques s'en tenaient à ce que l'on a appelé ici le «redlining», une pratique illégale de discrimination raciale qui a consisté à éviter certains quartiers (surtout noirs ou hispaniques) considérés comme trop risqués. S'ils voulaient acheter une maison, les habitants n'avaient donc qu'une solution: se tourner vers les agences moins scrupuleuses qui leur offraient des prêts à n'importe quelle condition. «Nous sommes passés de la situation où on ne prêtait pas à celle de prêter à tour de bras», résume l'avocat.
Pour les prêteurs, c'est une affaire en or. Au-delà des commissions et des primes faramineuses, il y a toujours la possibilité de saisir la maison. Mais très souvent, ils n'ont pas beaucoup de fonds eux-mêmes. Ces prêts sont ensuite négociés avec des grandes banques, puis revendus par milliers à des investisseurs à Wall Street. «Il y a en jeu des profits gigantesques, s'insurge Oda Friedheim. Tout le monde sait que ces prêts ne sont pas vivables pour les emprunteurs. Mais pour ces gens, cela n'a aucune importance. Ils s'enrichissent sur le dos des pauvres.»
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