Les autres leçons de Milgram
voilà une analyse plus large du "jeu" qui est passé sur France 2, appliquée au monde politique, à l'économie, la leçon est sévère.
Les politiciens courageux sont rares. Ils suivent le leader, même dans les mauvaises directions - pour ne pas perdre leur poste.
En économie, c'est la même chose, nos dirigeants suivent de façon moutonnière l'idéologie libérale depuis 25 ans. En plus, ils sont récompensés pour ça par les actionnaires. Aucune vision critique du système avant la crise - "que personne n'a vu venir", parce que les moutons ne voient rien venir, et que le système majoritaire écarte les personnes qui prennent du recul.
Les autres leçons de Milgram
http://www.lesechos.fr/journal20100324/lec1_idees/020432209723.htmAUGUSTIN LANDIER EST PROFESSEUR DE FINANCES À LA TOULOUSE SCHOOL OF ECONOMICS. DAVID THESMAR EST PROFESSEUR DE FINANCES À HEC.
Diffusé la semaine dernière sur France 2, le vrai-faux jeu télévisé « Zone X-trême » a créé le débat. Dans ce jeu, des participants, obéissant aveuglément aux ordres d'une animatrice de télé, infligent des chocs électriques mortellement dangereux à leurs semblables (en réalité des acteurs). Seule une infime minorité d'entre eux finit par désobéir à la présentatrice. Conçue comme une critique des dérives de la télé-réalité, cette émission remet au goût du jour les expériences réalisées par Stanley Milgram aux Etats-Unis dans les années 1960. Dans ces expériences, c'est l'autorité d'un scientifique en blouse blanche et non d'une animatrice télé qui conduisait des Américains ordinaires à se transformer en bourreaux. Contrairement à ce que pourrait nous faire penser la polémique autour de « Zone X-trême », les Français ne sont donc pas plus « veaux » que les autres et la manipulation n'est pas l'apanage de la télé.
Les enseignements de l'expérience « Zone X-trême » sont plus généraux et plus intéressants qu'une énième critique du pouvoir de la télé. Premier message : la rébellion contre un ordre absurde n'est pas une donnée de l'humanité. Ceux qui en appellent à plus d'indépendance dans les conseils d'administration, ceux qui déplorent la caporalisation de l'UMP, tous ceux-là manquent leur cible. L'être humain est d'un naturel docile : c'est la loyauté au chef qui est dans nos gènes. L'insolence, l'esprit de résistance ne se décrètent pas. Deuxième message de « Zone X-trême » : c'est la présence physique de la figure de l'autorité qui déclenche l'obéissance aveugle. Lorsque la présentatrice télé quitte la pièce, rappelant le sujet de l'expérience à ses responsabilités, le taux d'obéissance s'effondre. Ce résultat avait déjà été mis en évidence par Milgram. Troisième message : c'est lorsque l'autorité est monolithique que la soumission est la plus totale. Dans certaines expériences de Milgram, lorsque l'autorité était représentée par deux scientifiques en blouses blanches, et que l'un affichait clairement son désaccord lorsque la dose électrique devenait trop forte, la désobéissance devenait presque systématique.
Au départ, ces expériences avaient été conçues pour comprendre la logique totalitaire, mais elles éclairent aussi le fonctionnement de l'économie. L'instinct d'obéissance découvert par Milgram permet notamment d'expliquer la docilité sans faille des conseils d'administration dans la période précédant certains naufrages industriels célèbres (Enron, Vivendi…). Pour créer un véritable espace de délibération dans les conseils, il faut confier à des « avocats du diable » la charge de poser les questions qui gênent et de contester le consensus. C'est aussi la diversité qu'il faut promouvoir : mettre dans les conseils d'administration des non-spécialistes, externes au monde de l'entreprise comme les universitaires, permet de forcer chacun à expliciter ses arguments. De plus, les délibérations du conseil doivent se faire en l'absence du dirigeant. Enfin, pour casser le monolithisme de l'autorité, le cumul des postes de directeur général et de président du conseil doit être évité. Un pouvoir bicéphale promeut l'insolence.
En matière politique, les électeurs de la V e République ont intuitivement compris que pour contrebalancer un pouvoir exécutif fort, on ne pouvait attendre du Parlement qu'il joue son rôle de contre-pouvoir. A deux reprises déjà, en choisissant la cohabitation, ils ont installé la contestation au sein même du gouvernement. La gifle que le vote des Français a infligée dimanche dernier à l'UMP n'est sans doute pas étrangère à ce mode de raisonnement. L'ouverture n'a pas promu l'indépendance : pour survivre, les ministres de gauche ont dû se couler, plus encore que les autres, dans le discours du chef. Fatigués de voir les membres du gouvernement entonner les mêmes refrains venus de l'Elysée, les Français ont choisi d'inoculer par leur vote la contradiction au sein de l'appareil d'Etat. Au fond, les électeurs veulent aux manettes des ministres qui n'ont pas peur de penser par eux-mêmes - pas des joueurs dociles de « Zone X-trême ».
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