Les Bush, une si puissante famille...
La famille Bush, c'est bien sûr du pétrole et du
pouvoir. C'est aussi et surtout un fantastique tissu de relations aux
Etats-Unis, qui mêle depuis un siècle la mystérieuse société Skull and
Bones, la finance, l'acier, l'énergie et le Congrès. Avec force renvois
d'ascenseur.
De
l'acier à la banque, de la banque au pétrole et du pétrole à la
Maison-Blanche... Dans l'histoire de la famille Bush, l'une des
dynasties les plus puissantes des Etats-Unis, rien ne semble laissé au
hasard. Tout au long de leur ascension vers le sommet, les Bush
occupèrent les lieux du pouvoir et de l'argent : industrie, politique,
services de renseignements, sans oublier la très secrète Skull and
Bones Society (« crâne et os »). Un ordre ultra-élitiste, né au XIXe
siècle sur le campus de l'université de Yale, pépinière de dirigeants
politiques et industriels et lieu de pouvoir à elle toute seule. Là
comme ailleurs, les Bush nouèrent d'utiles relations. Elles perdurèrent
à travers les générations et finirent par constituer un gigantesque
réseau qui fit la carrière politique des Bush. Pour comprendre cette
extraordinaire famille, il faut donc remonter loin en arrière et mettre
au jour les connexions très étroites qui, depuis toujours, l'unissent
au monde des affaires et, particulièrement, au milieu très fermé des
pétroliers texans.
Lorsque l'on parle de
la famille Bush, on évoque volontiers la figure de Prescott, le
grand-père de l'actuel président des Etats-Unis, tristement célèbre
pour avoir financé sans scrupules les nazis. Mais on oublie trop
souvent de parler de Samuel. C'est avec lui que tout commence. Né dans
le New Jersey en 1863, fils d'un pasteur épiscopalien, Samuel Bush fait
de brillantes études au Stevens Institute of Technology d'Hoboken avant
de démarrer sa carrière dans les chemins de fer. L'un des secteurs
industriels porteurs de l'époque, lié à l'acier et à la grande banque,
et aussi l'un des investissements préférés des grands capitalistes
américains, banquiers ou industriels. En somme, l'endroit idéal pour se
faire des relations ! Samuel y parvient à merveille. En 1901, après
avoir occupé des postes de responsabilité dans plusieurs compagnies, il
devient directeur général de la Buckeye Steel Castings Company, l'un
des principaux fabricants de rails des Etats-Unis, contrôlée alors par
les Rockefeller. Il y fait la connaissance d'un client, Edward Henry
Harriman, richissime patron de la Southern Pacific Railroad. Les
Harriman vont bientôt se retrouver au centre du réseau Bush.
Pour
l'heure, Samuel étend ses relations à ce que l'on n'appelle pas encore
le complexe militaro-industriel. En 1918, il se fait nommer à la tête
de la section des munitions et des armes légères du Bureau des
industries de guerre, dont le directeur est un proche d'Harriman. Ce
poste lui permet d'être en contact avec tous les fabricants d'armes
américains, à commencer par la firme Remington, contrôlée elle aussi
par les Rockefeller. Acier, chemins de fer, armes : à l'aube des années
1920, les fondements de la puissance des Bush sont déjà solidement
enracinés. Reste à établir des connexions dans la grande finance.
C'est
en effet la banque qui va changer les destinées de la famille.
L'instrument de cette nouvelle étape est la banque Harriman & Co.,
créée en 1920 par le fils d'Edward Harriman, Averell. Deux hommes ont
financé l'établissement : son père et George Herbert Walker, le
deuxième grand ancêtre des Bush. Né en 1875, cet homme brutal qui aime
jouer au golf, aller à la chasse, boire du scotch et rosser ses fils,
et exècre les catholiques et les juifs, a créé sa propre banque
d'investissement. Très proche des Harriman, il accepte de donner un
coup de pouce au fiston. Installé au coeur de l'industrie de l'acier,
Samuel Bush a des contacts réguliers avec le duo Harriman-Walker. C'est
grâce à Averell Harriman que son fils Prescott, né en 1895, a été admis
à la Skull and Bones. De son propre aveu, celle-ci jouera un rôle
décisif dans sa carrière, lui permettant de siéger au conseil
d'administration de nombreuses sociétés et de faire la connaissance
d'Allen Dulles, le futur créateur de la CIA, jetant ainsi les bases des
relations futures de la famille avec la communauté du renseignement.
Prescott
ne s'arrête pas en si bon chemin. Il a aussi la bonne idée de nouer une
idylle avec la fille de George Herbert Walker, qu'il épouse en 1921.
Tous les Bush accoleront son nom au leur. Le premier président des
Etats-Unis de la dynastie s'appelle George Herbert Walker Bush, et son
fils, l'actuel président, George Walker Bush. En 1926, après un début
de carrière à la United States Rubber Company, Prescott intègre la
banque Harriman, bouclant ainsi la boucle. Il y est directeur général.
La
banque investit massivement, dans l'acier, les chemins de fer,
l'armement et le pétrole. Elle a également des ambitions à l'étranger.
En 1924, elle crée avec le maître des forges allemand Fritz Thyssen une
filiale commune, l'Union Banking Corporation (UBC), afin de gérer les
investissements de ce dernier en Amérique. En 1931, elle acquiert la
société d'investissements britannique Brown Brothers, que supervise
Prescott. Bien rodé, le circuit dégage d'énormes bénéfices, surtout
après l'arrivée de Hitler au pouvoir en 1933 : tandis que l'UBC
investit l'argent du réarmement à New York et collecte des fonds auprès
de la communauté allemande des Etats-Unis - elle sera même impliquée
dans un transfert illégal de technologies en faveur de l'armée de l'air
allemande -, la firme Brown Brothers investit dans ce même réarmement.
Sous la direction de Prescott Bush, elle prend le contrôle de la
société minière polonaise Consolidated Silesian Steel Corporation, qui
compte parmi ses actionnaires un proche de Himmler - le chef des SS -
et qui travaille, elle aussi, en faveur de l'effort de guerre allemand.
A partir de 1941, la Consolidated aura même recours à de la
main-d'oeuvre forcée des déportés et prisonniers de guerre.
A
New York, Harriman, Bush et Walker sont parfaitement au courant de ce
qui se passe en Allemagne et en Pologne. L'opinion publique aussi. En
1942, le « New York Tribune » qualifie Prescott d'« ange d'Hitler ». Ce
n'est qu'en octobre de cette année-là que le gouvernement fédéral fait
saisir les biens de l'UBC pour « commerce avec l'ennemi ». Mais
l'établissement ne sera jamais dissous. Peut-être parce que, tout en
faisant des affaires avec les Allemands, Prescott Bush a alimenté le
gouvernement américain en renseignements sur l'Allemagne. Son beau-père
George Herbert Walker a su, lui aussi, maintenir deux fers au feu,
prenant, dans les années 1920, la direction de l'American International
Corporation, une association formée pendant la Première Guerre mondiale
pour étudier les opportunités d'investissement à l'étranger et qui sert
de couverture pour des activités de renseignements.
En
1952, ce grand industriel aux réseaux d'influence très étendus qu'est
Prescott Bush commence une nouvelle carrière en se faisant élire
sénateur du Connecticut. Hasard ? Ce proche du président Eisenhower et
d'Allen Dulles - il fonde la CIA en 1953 - s'oppose l'année suivante à
un projet de loi visant à fédérer les ressources pétrolières offshore.
Rien de surprenant à cela : son fils George Herbert Walker Bush vient
tout juste de créer sa propre société pétrolière, la Zapata Petroleum
Corporation. Né en 1924, diplômé de Yale et, lui aussi, membre de la
Skull and Bones Society, le futur président des Etats-Unis marque la
grande entrée de la famille dans le pétrole. En 1948, après une guerre
menée dans le Pacifique (à quatre reprises, son avion est abattu), il
entre chez Dresser Industries, une société spécialisée dans les
technologies et les services liés à l'énergie dont Harriman & Co. a
piloté l'introduction en Bourse en 1928. Dresser fusionnera bien plus
tard avec Halliburton, un concurrent dirigé par Dick Cheney, qui
deviendra ministre de la Défense de George Bush puis vice-président de
son fils...
En
1953, George Herbert Walker Bush crée donc sa compagnie pétrolière. Son
père et son oncle investissent dans l'affaire, ainsi que les frères
Liedtke, des avocats spécialisés en droit pétrolier dont le père est
l'un des principaux dirigeants de la compagnie texane Gulf Oil. Par
eux, George Bush tisse des liens avec James Baker, son futur secrétaire
d'Etat, lui aussi avocat spécialisé en droit pétrolier et dont la
firme, Baker & Botts, devient conseil de Zapata. Protégé au Sénat
par Prescott Bush, qui bloque toute législation défavorable aux
compagnies pétrolières, Zapata investit dans le golfe du Mexique et au
Moyen-Orient, notamment au Koweït. Elle passe également pour avoir
servi de couverture à la CIA lors de la désastreuse opération de la
baie des Cochons visant à renverser Fidel Castro en 1961. Selon un mémo
du FBI de 1963, George Bush lui-même aurait été un agent de la CIA.
Les
frères Liedtke et James Baker jouent en tout cas un rôle essentiel dans
le lancement de la carrière politique de George Bush, les premiers
finançant ses campagnes, le second lui servant de conseiller, les trois
maintenant le contact avec le milieu des pétroliers texans. Elu en 1967
à la Chambre des représentants dans la septième circonscription du
Texas, le futur président y mène, comme son père avant lui au Sénat,
une politique systématiquement favorable aux pétroliers américains,
faisant capoter un projet de loi visant à supprimer les quotas
institués dans les années 1920 pour les protéger. Les Texans sauront
lui renvoyer l'ascenseur. Les contributions versées par les pétroliers
au Parti républicain à la demande de George Bush jouent un rôle clef
dans l'avancement de sa carrière, depuis son arrivée à la tête de la
CIA en 1976 jusqu'à sa nomination comme vice-président par Ronald
Reagan, en 1980. Selon certains, ces menus services expliqueraient en
partie la volte-face du gouvernement américain lors de la première
crise du Golfe, les Etats-Unis donnant dans un premier temps des
assurances de neutralité à Saddam Hussein avant de choisir l'option
militaire. Il est vrai qu'à l'aube des années 1990, la Pennzoil Company
- le nouveau nom de la Zapata depuis sa fusion avec le groupe pétrolier
Penn Oil en 1963 - est toujours dirigée par les frères Liedtke et
qu'elle est l'un des principaux opérateurs pétroliers au Koweït...
Le
pétrole texan étend aussi son ombre sur la carrière de George W. Bush,
l'un des fils de George Bush. Tout au long de sa carrière peu glorieuse
d'homme d'affaires, dans les années 1970 et 1980, l'actuel président
des Etats-Unis bénéficie du soutien des hommes du pétrole, qu'il
s'agisse de James Baker ou des dirigeants de la firme pétrolière
Harken. Ce sont eux qui renflouent à deux reprises la compagnie
pétrolière créée en 1978 par George Bush - l'Arbusto, devenu plus tard
Bush Exploration - pour exploiter le pétrole texan. En 1986, lorsqu'il
apparaît que Bush Jr. n'est décidément pas fait pour les affaires,
Harken l'embauche comme directeur au salaire annuel de 120.000 dollars.
S'étant offert le fils du vice-président des Etats-Unis, la firme
obtient de gros contrats au Moyen-Orient...
Décidément
bienveillants, les hommes du pétrole, associés à des investisseurs
financiers dont beaucoup sont passés par la Skull and Bones, donnent un
nouveau coup de pouce à Bush pour l'aider à acheter en 1989 l'équipe de
base-ball des Texas Rangers. C'est avec elle que Bush comble son
déficit de notoriété, avec elle aussi - et une contribution de 41
millions de dollars apportée par des groupes pétroliers et énergétiques
comme Hunt Oil, Tom Brown et Enron - qu'il est élu gouverneur du Texas
en 1994. Les pétroliers texans y gagneront une législation favorable,
leur permettant de continuer à polluer tranquillement. George Bush fait
en petit au Texas ce qu'il fera plus tard en grand une fois élu à la
Maison-Blanche, en refusant de ratifier le protocole de Kyoto et en
ouvrant l'Alaska à l'exploitation pétrolière. Le tout pour le plus
grand bénéfice de ses amis pétroliers. Il est des services qui ne
s'oublient pas.
De Condoleezza Rice, une
ancienne de Chevron, au vice-président Dick Cheney, l'actuelle
administration Bush fait une large place aux intérêts pétroliers
américains. Ces derniers ont-il joué un rôle dans le déclenchement de
la deuxième guerre du Golfe ? C'est assez probable, même si d'autres
motivations doivent être invoquées. A leur manière, en fait, les Bush
incarnent une constante de la politique américaine depuis la rencontre
entre Roosevelt et le roi Saoud d'Arabie saoudite, à bord du croiseur «
Quincy », en 1945 : prendre pied au Moyen-Orient et y sécuriser les
gisements pétroliers. Une constante dont la création de l'Aramco et le
coup d'Etat contre Mossadegh, en Iran, furent deux des principaux
épisodes. Aux frontières des affaires et de la politique, les Bush
furent des artisans particulièrement efficaces de cette vision
stratégique.
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