Revue de presse - Savoie

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M. Sarkozy : les communautés, c'est moi

LE MONDE | 07.03.06 | 15h13  •  Mis à jour le 07.03.06 | 15h13

L'agenda du ministre de l'intérieur est aussi rempli que bariolé. Le 17 février, Nicolas Sarkozy recevait à déjeuner, place Beauvau, une vingtaine de représentants de l'"élite beure". Le soir même, il participait à un dîner, à Alfortville (Val-de-Marne), en présence de six cents Français d'origine asiatique, réunis à l'occasion du nouvel an chinois. Trois jours plus tard, il faisait une apparition - remarquée - au dîner du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF). Autant de rendez-vous, parmi d'autres, qu'il n'aurait manqués sous aucun prétexte.

La réunion d'Alfortville avait été préparée par Abderrahmane Dahmane, président du Conseil des démocrates musulmans de France et secrétaire national de l'UMP chargé des relations avec les associations des Français issus de l'immigration. Cette soirée fut productive pour le futur candidat à l'élection présidentielle. Après avoir salué en ses hôtes des gens qui "travaillent, respectent les lois et n'ont que pour seul souci de s'intégrer", M. Sarkozy est reparti de l'Hôtel Chinagora avec une sculpture représentant un lever de soleil et une calligraphie géante portant l'inscription en chinois "Sarkozy, en 2007". "Cette communauté, qui fut victime du communisme et qui aime bien la fermeté, l'autorité, et la notion de chef, est acquise à 90 % à Nicolas Sarkozy", assure M. Dahmane.

Les liens du président de l'UMP avec la communauté juive sont anciens. M. Sarkozy rappelle volontiers que son grand-père maternel en est issu. Noués à la mairie de Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), ces liens se sont étroitement resserrés lors de son premier passage au ministère de l'intérieur (et des cultes), où M. Sarkozy a mené un combat très médiatisé contre l'antisémitisme. Cet acquis lui a permis de se montrer prudent au sujet du meurtre d'Ilan Halimi sans perdre le bénéfice de sa popularité au sein de la communauté. Lors de la manifestation parisienne du 26 février, des "Sarkozy président !" furent lancés à plusieurs reprises à son passage.

L'affaire serait moins bien engagée avec la communauté d'origine maghrébine. Selon M. Dahmane, la crise des banlieues, en novembre 2005, aurait effacé une partie du bénéfice électoral obtenu sur la double peine, le droit de vote des étrangers et la création du Conseil français du culte musulman (CFCM). "En 2003, la communauté était acquise à 70 %. Elle est désormais stabilisée à 50-52 %", affirme-t-il.

"Mon plus gros souci, poursuit M. Dahmane, c'est la communauté noire. Sarkozy doit être à 20 %. Et encore..." Les raisons ? Les expulsions de logements insalubres, en septembre 2005 ; et, encore, la gestion des violences urbaines avec ces mots, "racaille" et "Kärcher".

Le ministre-candidat, en visite aux Antilles du 8 au 11 mars - il avait dû renoncer, en décembre 2005, en raison de manifestations hostiles -, ne ménage pas sa peine pour reconquérir le terrain perdu auprès des uns, tout en cherchant à conserver celui qu'il a gagné auprès des autres ; "une politique de jongleur, d'équilibriste", concède M. Dahmane.

M. Sarkozy a beaucoup misé sur les communautés. Son implication va bien au-delà de l'approche clientéliste traditionnelle, qui incite tout candidat à ménager les groupes constitués à l'approche d'un scrutin. Là n'est pas son apanage. Si le président de l'UMP se distingue, en la matière, de ses rivaux, c'est parce qu'il a pris en compte l'emprise croissante du fait communautaire dans la société française. Et qu'il a choisi d'accompagner ce mouvement, plutôt que de le freiner. "En vérité, et c'est bien là tout le problème, la France est devenue multiculturelle, multiethnique, multireligieuse... et on ne le lui a pas dit", écrivait le ministre à l'automne 2004, dans son livre d'entretiens La République, les religions, l'espérance (Cerf). "Nous avons aujourd'hui moins à craindre de l'expression des différences que de leur négation", ajoutait-il.

En prônant la discrimination positive - jusqu'à souhaiter publiquement la nomination d'un "préfet musulman" -, en se déclarant favorable à une réforme de la loi de 1905, le président de l'UMP a dessiné l'une des principales lignes de clivage qui l'opposent au camp chiraquien.

"C'est une lutte des anciens et des modernes", estime la secrétaire générale de l'UMP, Roselyne Bachelot. "La nostalgie du creuset républicain n'est en aucun cas opérationnelle. le phénomène communautaire est inévitable dans une société globalisée", affirme-t-elle. Pour le premier dîner annuel du Conseil représentatif des associations noires de France (CRAN), qui s'est tenu le 27 janvier, elle avait enregistré un message vidéo explicite : "Vous nous invitez à passer de l'indifférence à la différence. En cela, vous êtes source de richesse. Merci !" Le sociologue Michel Wieviorka évoque l'émergence d'un "modèle post-républicain". "Sarkozy est l'homme politique qui a le mieux compris qu'on était entré dans une nouvelle configuration. Et il s'y installe", souligne-t-il.

Ce positionnement continue toutefois de susciter des interrogations, qui resurgissent en cette période de tensions intercommunautaires. "Je ne suis pas sûr de bien comprendre sa manière de voir les différentes parties constitutives de la France", indique ainsi le président du CRAN, Patrick Lozès, en évoquant une possible "instrumentalisation" de ces questions. Au-delà du débat de principe sur l'articulation de la République avec les groupes qui la composent, le président de l'UMP aura du mal à "tenir", jusqu'en 2007, les multiples bouts d'une chaîne qui se tend.

Jean-Baptiste de Montvalon



08/03/2006
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