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Nous, les travailleurs pauvres

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pendant ce temps là, les plus riches trouvent normal de prendre une part croissante des richesses et de payer moins d'impots.
La solidarité et l'esprit civique ne sont pas des valeurs du Medef, de l'ultra-liberalisme de Johnny et de Sarko.

Nous, les travailleurs pauvres

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3226,36-845566,0.html

Ils survivent. Grâce à quelques heures de travail, d'un bout d'allocation, d'un salaire trop maigre. On les appelle pudiquement les travailleurs pauvres. "On a de la chance, disent-ils. Il y a bien pire que nous. Il y a des gens qui n'ont rien." Mais dans leurs vies fragilisées, un incident suffit pour basculer. Une facture imprévue, un avis de la Caisse d'allocations familiales (CAF), une amende...

L'angoisse a ressurgi dans la vie de la famille Lewille, un matin de novembre, lorsque Pascal, agent d'entretien dans une PME de transport, a reçu une lettre de son patron l'informant qu'à partir du 4 décembre, son temps partiel passait de 5 heures à 3 h 30 par jour, sans heure de nuit. "Juste avant Noël avec les gosses, cela m'a pris un peu à la gorge. Je vais passer de 900 à 600 euros par mois. J'ai accepté. J'étais le dernier embauché, je n'avais pas le choix", témoigne le quadragénaire.

Avec son salaire, M. Lewille nourrit cinq personnes, paie les factures d'eau (36 euros), de gaz et d'électricité (110 euros), les pleins de gasoil (plus de 250 euros) pour ses 60 kilomètres de trajet quotidien, et 120 euros de lait en poudre et de couches pour sa petite fille de quatre mois. L'aide personnalisée au logement (APL) et les allocations familiales servent à acquitter les 840 euros de loyer, une somme astronomique pour une maison située dans un des quartiers les plus déshérités de Roubaix (Nord) mais suffisamment grande pour accueillir deux de ses quatre beaux enfants.

"Pendant des années, se souvient-il, je n'avais pas de boulot. J'étais RMiste. J'ai commencé à remonter la pente. Je ne veux pas retomber." La signature d'un contrat à durée indéterminée en mars et la naissance de sa fille en août lui avaient redonné le moral. La diminution de son temps partiel lui fait craindre le pire. Et le pire pour cet homme placé en foyer à huit ans serait que la Ddass lui retire son bébé pour cause d'insuffisance de ressources. Pascal se fait donc à l'idée qu'il doit vendre sa moto achetée à crédit. Il a accepté d'inscrire les enfants au Noël du Secours catholique et toute la famille aux Restos du coeur. "La demande a été acceptée, s'émerveille sa compagne. D'habitude, on dépasse toujours les plafonds."

Dépasser le plafond, c'est la mésaventure qui est arrivée à Ophélie Lebrun, 19 ans, à Joaquim Abreu, 21 ans, et à leur bébé de six mois, Rayan. Après des années de galère et de rue, le couple avait obtenu le revenu minimum d'insertion (RMI) parce qu'il attendait un enfant. Dans la foulée, Joaquim, illettré, a décroché un contrat d'avenir à la mairie de Roubaix. Il travaille 112 heures par mois comme agent de nettoyage. Avec l'aide d'une association, ces parents heureux ont trouvé un appartement à louer. En sept mois, leur vie s'est métamorphosée : un travail, un toit, la naissance d'un superbe petit garçon. Et voilà que la CAF leur annonce, sans crier gare, la suppression de leur allocation différentielle de RMI ; 168 euros qui pèsent lourd dans le budget du jeune ménage.

Entre le salaire de Joaquim (600 à 700 euros par mois) et les allocations, Ophélie fait des prouesses pour joindre les deux bouts. Pas facile avec 130 euros de loyer pour un appartement qui s'est révélé insalubre, 85 euros d'électricité, 13 euros d'assurance, sans compter les frais pour le bébé et le remboursement progressif de 800 euros de dette. "Je suis allé à la CAF, pour qu'ils m'expliquent pourquoi ils avaient arrêté d'un coup de nous verser nos 168 euros. Ils m'ont envoyé balader", s'offusque Joaquim. Il a raison. Mais les services sociaux sont débordés. Le jeune homme ne baisse pas les bras pour autant. Il suit une formation de remise à niveau, indispensable pour réaliser son rêve : travailler dans le bâtiment.

Catherine Leroy non plus ne s'avoue pas vaincue. L'énergie du désespoir sans doute : les bons mois, elle gagne 350 euros en faisant des ménages chez des personnes âgées. Les mauvais, moins de 300 euros. Comme ses heures de travail sont déclarées, elle ne touche plus que 505 euros d'allocation de parent isolé (API) par mois au lieu de 635. Elle s'en débrouille pour vivre et faire vivre sa dernière fille qui prépare un "bac pro". Contre l'avis de ses proches, Catherine a accepté que sa petite dernière poursuive des études car "rien ne dit qu'elle aurait trouvé un emploi". Elle sait de quoi elle parle. Ses deux garçons, 24 et 22 ans, sont au chômage. Son aînée, 27 ans, est mère au foyer.

Au bout de trente ans de vie commune, Catherine Leroy a trouvé la force de se séparer d'un mari dont elle tait la violence. "J'ai passé trois mois chez mes parents, quatre en foyer et je viens d'emménager avec ma fille dans un appartement meublé grâce à une amie", explique-t-elle, les larmes aux yeux. Travailler plus ? Cette grand-mère de 49 ans, titulaire d'un CAP d'employée de bureau, en rêve. Mais les associations d'aide à domicile ne lui trouvent rien de régulier. Quelques heures en plus, qui lui coûtent cher en déplacement. Et elle vient d'écoper de 90 euros d'amende pour ne pas avoir fait réparer sa voiture après un contrôle technique.

Ce n'est pas un emploi, mais l'argent qui manque à David Mortelette, 34 ans, pour sortir du surendettement. "J'ai une belle qualification dans le bâtiment, mais le salaire ne suit pas", explique ce trentenaire qui travaille depuis qu'il a 14 ans.

Au début des années 2000, son patron se suicide. Resté six mois sans salaire, il se résout à faire une demande de RMI, bricole et s'endette pour faire vivre sa femme et ses deux fils. Un troisième garçon vient au monde. David Mortelette retrouve un job de salarié, contracte un nouveau crédit. En accord avec son patron, il se fait licencier pour se mettre à son compte. Les Assedic crient à la démission déguisée et refusent de l'indemniser. La famille plonge un peu plus.

Aujourd'hui, le salaire de David est de 1 340 euros, sur lequel 900 euros sont prélevés, en début de mois, pour payer les dettes et le loyer. "Depuis qu'il y a l'euro, c'est très dur. Je dois encore 3 800 euros. C'est beaucoup. Même en faisant les brocantes, je n'y arrive pas", se désole-t-il. Sans le Secours catholique et ses familles d'accueil bénévoles, ses enfants n'auraient jamais connu le plaisir de partir en vacances.

"Evidemment, on pourrait divorcer, ma femme et moi. Ou faire de fausses déclarations. Mais ce serait voler l'Etat. Ce n'est pas mon genre", remarque David. Songeur, il couve des yeux ses enfants qui jouent paisiblement sur le canapé du séjour : "J'ai toujours travaillé. J'ai réussi à monter. Maintenant, je n'y crois plus. Je ne suis jamais parti en vacances, même pas à Dunkerque. Partir quinze jours avec mes trois garçons, serait-ce trop demander après vingt années de travail ?"

Claire Guélaud



16/12/2006
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