Revue de presse - Savoie

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On achève bien l'hôpital public

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toujours la meme recette : privatisation des profits (les patologies rentables dans la cas de l'hopital) et nationalisation des pertes

dans la même logique sur la libéralisation des transports: concurrence émergente sur les lignes TGV entre SNCF et Air France-Veolia. Inutile d'attendre la concurrence sur le réseau TER pas assez rentable.

On achève bien l'hôpital public, par Frédéric Bizard et Emile Papiernik

http://www.lemonde.fr/opinions/article/2008/09/15/une-vieille-idole-qu-on-encense-par-dominique-dhombres_1095387_3232.html#xtor=EPR-32280156

Face à l'urgence de la situation et après l'échec de la réforme de 2004 qui devait rétablir l'équilibre des comptes en 2007, la ministre de la santé Roselyne Bachelot prépare sa loi "Patient santé territoire". Il est prévu qu'elle reprenne largement les propositions contenues dans le rapport Larcher remis en avril afin de sortir le secteur public hospitalier de la crise.

Cette crise du secteur public est multiforme : crise économique, déficit des hôpitaux publics de 760 millions d'euros en 2007 (dont la moitié par les centres hospitaliers universitaires, CHU), crise sociologique - un personnel hospitalier démotivé, et une perte d'attractivité de l'hôpital public pour les professions médicales, crise de qualité -, le problème de la sécurité des soins, plus de 5 000 morts par an dues aux maladies nosocomiales.

Les mesures visant à régionaliser l'organisation des soins, en permettant de mettre en commun les moyens des petits et grands hôpitaux, sont une bonne orientation. Mais si la loi Bachelot pour l'hôpital ne faisait que reprendre le contenu du rapport Larcher, elle risquerait sérieusement de condamner l'hôpital public à terme pour au moins trois raisons.

D'abord, ce rapport entérine la généralisation de la tarification à l'activité - dite T2A - qui est un coup de poignard dans le dos de l'hôpital public. Les établissements sont dorénavant rémunérés en fonction du diagnostic et des actes effectués pour chaque malade lors d'une hospitalisation. La T2A se nourrit de la même veine que le paiement à l'acte en médecine de ville, que l'on sait désuet dans l'ère de la médecine globale - prédictive, préventive et curative - du XXIe siècle. Ce principe favorise la surconsommation de soins médicaux (et donc les déficits), n'incite pas à rétablir rapidement le patient et freine le développement des comportements préventifs. On veut faire générer à l'hôpital des gains de productivité au forceps en incitant les services à multiplier les actes.

Or, la T2A désavantage nettement l'hôpital public, qui gère les pathologies lourdes, assure une activité de recherche et d'enseignement et, en tant que service public, ne peut sélectionner ses patients (plus âgés, plus complexes, avec plus de difficultés sociales et de handicaps). La T2A réduit aussi la possibilité pour un clinicien de faire de la recherche et de l'enseignement, possibilité qui est une source d'attractivité majeure du secteur public. Cela s'ajoute à la lutte incessante du ministère contre la pratique privée à l'hôpital - pourtant une source potentielle de revenus significative pour l'hôpital (c'est le cas en Allemagne et en Angleterre) -, qui a fini de convaincre nombre de praticiens hospitaliers d'aller dans le secteur privé. La T2A va déshumaniser les hôpitaux et en faire des usines à soins.

Ensuite, ce rapport ne propose aucune solution à la mise en place radicale des 35 heures à l'hôpital, véritable désastre économique et social. Les conditions de travail se sont dégradées, l'Etat vient de payer plus de 700 millions d'euros en heures supplémentaires, en attendant le prochain chèque. Le constat généralisé de l'échec des 35 heures à l'hôpital est pourtant une base fertile pour réfléchir avec les partenaires sociaux à leur réforme. La masse salariale représentant plus de 70 % des charges de fonctionnement dans le public, ne pas modifier ce dispositif, sans compter le refus de réduire le personnel administratif, revient à condamner l'hôpital public à une faible productivité et à un déficit chronique.

C'est d'autant moins viable que les règles d'administration de l'hôpital public, comparativement au secteur privé, sont lourdes et tatillonnes, imposant des délais considérables pour les décisions importantes et des surcoûts associés à ces délais. Par exemple, la reconstruction de la maternité de Port-Royal de Paris en cours a été décidée en 1990. Pendant trop longtemps, la seule justification à la conservation d'un petit hôpital a été le maintien des emplois sans que le maire (président du conseil d'administration) ne se soucie du déficit financier ni de la fuite des médecins ne voulant plus travailler en petites équipes. La technostructure sanitaire s'obstine à gérer l'hôpital comme une administration et non comme une entreprise de soins.

Enfin, la question de l'absence de transparence du système de santé qui empêche le patient d'avoir un rôle actif dans la chaîne de soins n'est pas abordée dans le rapport. L'existence de données sur les résultats des services de soins permettrait au patient de choisir objectivement le service hospitalier adéquat et obligerait ce dernier à optimiser sa performance. Cette absence de transparence est un risque de voir disparaître un jour l'hôpital public face au secteur privé, celui-ci étant plus enclin à inclure les besoins du patient dans son organisation.

Sur un plan pratique, le marché financier est un (presque) bon modèle sur la façon de créer ce type de transparence. La Securities and Exchange Commission aux Etats-Unis et l'Autorité des marchés financiers en France sont les garants de cette transparence et de la qualité des informations. Cela pourrait être le rôle de la Haute Autorité de santé, par exemple.

Avec les 35 heures et la T2A, on donne pour objectif aux hôpitaux publics (70 % sont en déficit) de devenir rentables, d'avoir encore plus le rôle de service public et de prendre en charge de nouveaux types de soins en lien avec la dépendance. Comme dans toute organisation, les individus qui la composent - médecins, soignants et administratifs - sont lucides et rationnels ; leur fixer des objectifs qu'ils jugent impossibles à tenir avec la stratégie et les moyens mis en place est une assurance de démotivation, de lassitude et donc d'échec.

Cet échec présumé d'une loi visant à sauver l'hôpital public - maillon essentiel d'un système de santé performant - serait l'échec de la politique de civilisation voulue par le président de la République et, partant, une régression de notre civilisation moderne.


Frédéric Bizard est maître de conférences à Sciences Po, fondateur et président de Kiria.

Emile Papiernik est ancien chef de service de gynécologie-obstétrique à l'hôpital Cochin - Port-Royal.




15/09/2008
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