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Pères et fils ou l'art de passer le pouvoir dans les pays arabes

Pères et fils ou l'art de passer le pouvoir dans les pays arabes

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Shlomo Ben-Ami, ancien ministre israélien des Affaires étrangères*, commente l'évolution des pays arabes vers la succession dynastique qui, selon lui, n'a pas que de mauvais côtés.

Shlomo Ben-Ami, Actuellement vice-président du Centre international de Tolède pour la paix
Lundi 14 janvier 2008

Dans les républiques laïques arabes, les problèmes de succession des dirigeants témoignent des difficultés de la transition vers une phase post-révolutionnaire. En effet, la succession dans les régimes qui ne parviennent pas à ériger des institutions solides présente toujours un risque de crise systémique. Si l'esprit démocratique fait probablement défaut aux partisans de la succession dynastique, ces derniers ne déméritent pas totalement. Ils choisissent d'abord la modernisation économique, la fin de la politique de conflit et des progrès politiques.

Les années d'autoritarisme répressif soutenu par l'Occident ont étouffé dans l'œuf toute alternative libérale aux régimes arabes actuels et ont fait de toute tentative brusque d'organiser des élections libres dans le cadre d'une démocratie islamique un exercice dangereux. Une démocratie qui produit des gouvernements dirigés par le Hamas, le Hezbollah ou les Frères musulmans ne peut être qu'anti-occidentale et opposée au «processus de paix» avec Israël proposé par les Américains.

La Syrie s'est efforcée d'assurer la continuité de son régime par la succession héréditaire quasi monarchique: Hafez el-Assad a cédé la place à son fils Bachar. Il semblerait que l'Egypte suive la même voie en mettant au pouvoir le fils de Hosni Moubarak, Gamal. De même, en Libye, Seif el-Islam succédera sûrement à son père, Mouammar Kadhafi. Nés de pouvoirs militaires révolutionnaires, ces régimes nationalistes laïcs dénués de vraie légitimité populaire ont dû revenir à la succession dynastique des régimes qu'ils avaient renversés.

La bonne volonté sans précédent de Hafez el-Assad pour amener le gouvernement israélien d'Ehoud Barak à un accord de paix a fait ressortir les objectifs centraux de paix et de stabilité de ce type de succession. Succombant quelques mois plus tard à la maladie, cet homme âgé avait pleinement conscience de l'urgence de parvenir à un accord qui soulagerait son fils inexpérimenté du fardeau de la lutte pour le plateau du Golan.

Dans l'ensemble, Bachar el-Assad demeure loyal à l'héritage de son père. De même que la politique nucléaire provocatrice de la Corée du Nord et de l'Iran, la politique de Bachar, qui fait partie de l'«Axe du mal» de la région, devrait être une invitation au dialogue avec l'Amérique - plutôt qu'à une invasion - et à un accord avec Israël - plutôt qu'à une incitation à lui faire la guerre.

En Egypte, Moubarak a tourné le dos aux discours révolutionnaires grandiloquents et aux grands desseins stratégiques de Gamal Abdel-Nasser. La stabilité est au cœur de sa réflexion. Il n'a donc paspu accepter le programme pro-démocratique peu commode des Américains. Toutefois, il était plus que disposé à encourager pleinement la diplomatie arabe lors la conférence de paix d'Annapolis. Après tout, la passion que suscite la détresse des Palestiniens chez les citoyens égyptiens est une source dangereuse d'instabilité.

La succession de Moubarak est conduite de façon particulièrement sophistiquée. Contrairement à l'ascension de Bachar à la veille de la mort de son père, celle de Gamal Moubarak est tout sauf stable. Ce dernier occupe néanmoins une position stratégique dans la course à la présidentielle, car il est en mesure d'obtenir la légitimité populaire et de jouer pleinement le rôle de force motrice durant les préparatifs du parti au pouvoir en vue de l'après Hosni Moubarak.

C'est à lui qu'on attribue le programme politique du pays, dont les réformes économiques libérales qui, depuis 2004, ont beaucoup amélioré l'économie égyptienne. Selon les détracteurs du président Moubarak, les progrès hésitants de la démocratisation mettent en évidence la volonté de barrer la route à tous les adversaires potentiels de Gamal.

Mais avec le déclin du nationalisme laïc et la montée de l'islamisme, le pouvoir électoral incertain des Frères musulmans fait planer une menace mortelle sur le régime et sur son alliance stratégique avec l'Occident. Par conséquent, le régime refuse de prendre le moindre risque.

La décision de Mouammar Kadhafi de ne plus être un paria international n'était pas non plus sans rapport avec sa volonté de léguer à son fils un Etat en paix avec le monde. Si les antécédents épouvantables en matière de droits de l'homme de l'excentrique Guide de la révolution ne peuvent être effacés, ce dernier a toutefois cessé de jouer avec les armes de destruction massive et le terrorisme mondial, en échange de la levée des sanctions et de sa réhabilitation internationale.

Cet homme malade, dont le pouvoir est contesté par les opposants islamistes du pays, a compris que l'ostracisme international et les troubles internes étaient un mélange bien trop explosif pour son fils, un play-boy gâté.

L'Algérie est un cas particulièrement délicat. Dernier de la génération révolutionnaire, le président Abdelaziz Bouteflika doit encore organiser une succession mettant fin à la guerre civile qui sévit dans le pays. Une démocratie accomplie pourrait mener les islamistes à la victoire, comme ce fut le cas en 1991.

La transition vers la démocratie dans les vieux régimes arabes révolutionnaires ne saurait correspondre à un modèle occidental, ni être imposée par les F-16 américains. Enoutre, comme le soulignent l'Egypte, la Syrie et la Libye, la succession héréditaire n'est pas réactionnaire par nature. Elle revient plutôt à opter pour une transition contrôlée vers une phase post-révolutionnaire où la modernisation économique et l'intégration internationale peuvent ouvrir la voie à un plus vaste changement politique.


17/01/2008
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