Revue de presse - Savoie

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Pour Washington, la France est de retour, par Simon Serfaty

Pour Washington, la France est de retour, par Simon Serfaty

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L'élection de Nicolas Sarkozy est d'autant mieux reçue aux Etats-Unis qu'elle signifie le départ de Jacques Chirac, dont la "trahison" en Irak n'a pas été oubliée, même si une forte majorité d'Américains partagent en 2007 la logique de son opposition en 2003. En faisant applaudir "nos amis américains", comme M. Sarkozy le fit au soir de son triomphe, le nouveau président n'a pas déçu. "La France, a-t-il insisté, est de retour." Venant d'un autre, la phrase, d'un ton reaganien - "America is back" -, aurait inquiété ; venant de lui, l'Amérique s'en réjouit.


Le vocabulaire sarkozien, simplifié par son absence de style, passe bien en anglais : "Le travail, l'autorité, la morale, le respect", définissent une volonté de faire plus qu'une simple volonté d'être. Il décrit une "France debout" se conjuguant à nouveau au futur après vingt-six ans d'un pas de deux présidentiel étouffant. Les sous-entendus telle la juxtaposition de "l'immigration et de l'identité nationale" peuvent faire frémir en France, outre-Atlantique, ils sont intraduisibles ou du moins incompréhensibles.

En s'engageant sur la voie des réformes - de l'économie, des institutions et des attitudes -, M. Sarkozy aura peut-être un automne difficile, comme ce fut le cas pour le premier gouvernement Chirac en 1995. Mais les images de désordre, s'il devait y en avoir, ne produiront pas la même sensation de déclin, voire de décadence, qu'elles avaient provoquées à l'époque. Comme en écho à la personnalité de Margaret Thatcher, l'impression est que devant l'opposition qui l'attend, et au nom du renouveau promis, Nicolas Sarkozy, qui se sait être tenace, ne s'inclinera pas.

Au centre de son calendrier international il y a une construction européenne dont l'échec est, aux Etats-Unis, plus craint que ses succès. Les cinquante années écoulées depuis le traité de Rome ont montré à maintes reprises que l'Europe ne peut pas se faire sans la France ; mais avec M. Sarkozy, elle se fera sans chercher à s'éloigner de l'Amérique. Telle est l'analyse que l'on entend à Washington, et l'on attend la relance européenne dans un esprit de solidarité transatlantique. Au fond, la principale leçon de la débâcle bilatérale et transatlantique sur l'Irak se résume ainsi : c'est dans l'unité européenne que la solidarité transatlantique peut s'exprimer le plus utilement. N'en déplaise à M. Chirac mais aussi à M. Blair, leur influence sur M. Bush, exercée séparément, a été minime.

Pour être conséquente, l'Europe a besoin d'être unie. N'en déplaise aussi aux sceptiques, cette vérité est d'autant mieux comprise aux Etats-Unis que le moment unipolaire se sait être dépassé. Dans le monde multipolaire anticipé par M. Chirac et inauguré en Irak, il faudra bien avoir davantage d'Europe puisqu'il n'y a pas assez d'Amérique pour assumer nos besoins sécuritaires respectifs. Dans cette perspective, et pour combler le vide laissé par le prochain départ de Tony Blair, Nicolas et Angela (Merkel) forment un beau couple, cette dernière rééquilibrant les tentations dirigistes, toujours possibles, de son interlocuteur français, et celui-ci aidant à surmonter les préférences pacifistes, toujours en évidence, de son interlocutrice allemande.

Certes, sur maintes questions les différences persistent : M. Sarkozy n'est pas revenu sur les positions adoptées par M. Chirac en Irak ; l'opposition française à l'adhésion de la Turquie s'est durcie au point de rendre une rupture dans la négociation tout à fait possible ; l'accent placé sur le réchauffement climatique, qui mettrait en jeu "le sort de l'humanité tout entière", n'est pas prometteur ; la France semble se lasser de l'Afghanistan au moment où les Etats-Unis en font un test pour les institutions occidentales. Mais attendons la prochaine rencontre du G8, elle fournira une excellente occasion pour M. Sarkozy de se faire entendre sur un certain nombre de dossiers dans le contexte multilatéral qu'il préfère. Pour sa part, M. Bush prêtera une attention particulière aux propos du président français sur la Russie. N'oublions pas le contentieux avec ce pays à propos de l'installation d'un système de défense antimissile, du dialogue renforcé de l'OTAN avec la Géorgie et, si elle le souhaite, avec l'Ukraine.

Parmi les dossiers-clés dans lesquels des convergences dans l'analyse, voire l'action sont possibles, il y a l'Iran et le conflit israélo-palestinien. En déclarant l'accès de l'Iran à l'arme nucléaire "inacceptable", le nouveau président français confirme la position de son prédécesseur, mais, compte tenu de l'absence de M. Blair et étant donné les doutes qui entourent l'Allemagne dans des scénarios impliquant l'emploi de la force militaire, M. Sarkozy peut s'imposer comme l'interlocuteur privilégié du président américain sur ces questions jugées vitales. De même pour ce qui est du conflit israélo-palestinien, à propos duquel ni Washington ni Jérusalem n'accablent M. Sarkozy des procès d'intention auxquels tous ses prédécesseurs ont été soumis.

Cette disponibilité pour l'action commune est renforcée par un président français qui semble à la fois admirer l'Amérique et apprécier les Américains : la "fluidité" du pays et "l'énergie" de son peuple. Reprenant une formule souvent utilisée par Hubert Védrine, Nicolas Sarkozy a beaucoup fait référence aux "rêves" qu'inspire le Nouveau Monde. Mais avant de sombrer dans l'euphorie, rappelons qu'en la matière il ressemble à Jacques Chirac qui, lui aussi, arriva à l'Elysée épris d'un pays où, jeune homme, il avait vécu et que plus tard, adolescent, il avait continué d'admirer. Triste gaspillage. Même s'il est toujours difficile aux Etats-Unis d'admettre que la France n'a pas toujours tort, dans ses déclarations et dans ses oppositions, il est dommage que le président des Etats-Unis n'ait pas suivi plus attentivement les cours d'histoire et de géographie que pouvait offrir son homologue français, en particulier pour ce qui est du Proche-Orient, une région à propos de laquelle M. Chirac faisait preuve d'une maîtrise qui n'a pas été suffisamment reconnue.

Au fond, d'un mal-aimé à l'autre, les Américains semblent toujours attendre le prochain président français avec une impatience stimulée par les déceptions qui suivirent l'arrivée du précédent. MM. Giscard d'Estaing et Chirac en savent tous deux quelque chose, l'un dont la défaite fut bien reçue par l'administration Reagan, en dépit du virage à gauche qu'elle représentait, et l'autre dont la victoire fut applaudie par l'administration Clinton, en dépit des souvenirs gaullistes qu'elle ranimait. Aujourd'hui, M. Bush se plaît à espérer que M. Sarkozy fera ce qu'il a dit, mais M. Sarkozy est en droit d'espérer que M. Bush dira ce qu'il compte faire - et acceptera d'en parler et d'en débattre avant d'agir en conséquence. M. Chirac a eu raison de se plaindre des silences du président américain et M. Bush a eu tort d'ignorer cette plainte.

Une France rajeunie n'est pas une France qui se complaît dans la pensée unique, que celle-ci soit bâtie à Bruxelles ou à Washington : "Penser différemment" n'était pas le moindre des avertissements amicaux présentés par le nouveau président français comme un postulat en vue de construire une amitié bilatérale renforcée.

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Simon Serfaty, professeur de politique étrangère américaine à l'université Old Dominion (Norfolk), est titulaire de la chaire Zbigniew Brzezinski sur la géopolitique au Centre des études stratégiques et internationales (CSIS) à Washington.



18/05/2007
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