Propriétaires: l'absurde subvention
COMMENTAIRES
illustration de la boucle infernale de la politique de Sarkozy:
- plus d'argent surtout pour les ménages aisés avec des baisses d'impots qui les concerne en premier lieu
- conséquence directe: augmentation des déficits publics (+35% avec les premières annonces de Fillon)
- justification de restrictions des prestations sociales ou privatisations des services publics pour combler le déficit
la boucle est bouclée, on revient sur les avancées sociales du XXeme siècle, avec aucune avancée sur l'efficacité économique
Propriétaires: l'absurde subvention
Par Thomas PIKETTY,
QUOTIDIEN : lundi 4 juin 2007
Thomas Piketty est directeur d'études à l'EHESS et professeur à l'Ecole d'économie de Paris. (En raison des élections législatives, la prochaine chronique Economiques, avec Esther Duflo, sera publiée jeudi 14 juin.)
Parlons net: la réduction d'impôt sur les intérêts d'emprunt prévue par le gouvernement Fillon incarne le clientélisme politique et l'inefficacité économique. Subventionner le logement n'a certes rien d'absurde a priori. Si un bien particulier est sous-produit par le marché, soit parce que les ménages sous-estiment sa valeur (par exemple, si les parents prennent mal en compte l'impact du logement sur le développement des enfants), soit parce que le processus de production correspondant fait l'objet d'une inefficacité particulière, il est légitime de le subventionner, notamment en déduisant la dépense correspondante du revenu imposable. Encore faut-il en être certain, sinon on risque de truffer l'impôt de niches fiscales de toutes natures, avec pour conséquence un relèvement confiscatoire des taux faciaux appliqués au moignon de base fiscale restante. Or tout laisse à penser que la mesure sur les intérêts d'emprunt relève de cette seconde logique.
Cela n'a économiquement guère de sens de déduire les intérêts d'emprunt payés par les propriétaires sans autoriser également la déduction des loyers payés par les locataires (sauf à taxer les loyers fictifs, c'est-à-dire les valeurs locatives des logements occupés par leur propriétaire, ce qui était le cas jusqu'aux années 60). Si l'on souhaite subventionner le logement, qu'importe que le paiement du service de logement prenne la forme d'intérêts ou de loyers.
Surtout, l'expérience passée montre que le rendement économique des aides fiscales au logement est extrêmement faible. Qu'il s'agisse des subventions à l'immobilier locatif, des allocations logement... ou de la déduction des intérêts d'emprunt (pratiquée en France jusqu'en 1997), toutes les évaluations disponibles indiquent que ces aides se transmettent presque intégralement en inflation immobilière, sans réel impact sur la construction et les conditions de logement. Gabrielle Fack a ainsi montré que 80 % des hausses d'allocations logement ont été absorbées par des hausses de loyer. Le même mécanisme s'appliquera probablement aux intérêts d'emprunt. Pour une raison simple : ces aides donnent l'illusion aux ménages d'être plus solvables et augmentent leur demande de logement ; mais compte tenu de la faible élasticité de l'offre de logement et de la trop faible hausse du stock d'habitations disponibles, cette demande supplémentaire nourrit les hausses de prix. Pour prendre un cas extrême, toute subvention fiscale à l'achat ou la location de terre (bien en quantité fixe) se transmet à 100 % aux propriétaires initiaux. Et dans un pays où chacun est prêt à payer cher pour vivre près de ses semblables, le logement est à peine moins inélastique que
D'autant plus que Nicolas Sarkozy distribue des chèques de 5 milliards au même rythme qu'il visitait jadis les commissariats de police. C'est approximativement ce que coûtera l'exonération des heures supplémentaires, mesure qui n'a d'équivalent dans aucun pays, tant elle est insensée économiquement (toutes les heures de travail ont la même valeur, surtout les premières pour ceux qui n'en ont pas) et fiscalement (elle entraînera des manipulations sans fin). C'est aussi ce que coûtera la quasi-suppression des droits de succession, politique archi-inégalitaire que seuls Bush et Berlusconi avaient jusqu'ici osé entreprendre. Et la valeur unitaire du chèque est loin d'être négligeable : 5 milliards d'euros, c'est la moitié du budget total de l'enseignement supérieur.
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