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Sociologie de la rénovation de la gauche, par Jean-Louis Andreani

Sociologie de la rénovation de la gauche, par Jean-Louis Andreani

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3404,36-925437@51-666777,0.html

Qu'est-ce que la social-démocratie ? Cette vieille question est de nouveau posée par les débats sur la "rénovation" du Parti socialiste. Le même mot recouvre, en effet, des réalités différentes, voire antagonistes, chez ceux qui évoquent l'impératif sociologique d'un parti ancré dans l'électorat populaire et chez les tenants, comme Ségolène Royal, d'une "modernisation" tournée vers le centre.

Le terme de social-démocratie est ambigu et peut-être inadapté au débat français, puisqu'il manque ici un élément central, un syndicalisme fort, et que, au demeurant, la social-démocratie européenne n'est elle-même pas exempte de remises en question. Pour faire simple, la social-démocratie vise à transformer le système capitaliste de l'intérieur plutôt que de tenter de le faire exploser par une révolution violente. Au-delà, il est évident que l'actuel PS français répond déjà à certains des critères d'un parti social-démocrate : référence aux valeurs humanistes, respect de la démocratie et de l'économie de marché, pourvu qu'elle soit "sociale"... Comme le souligne Henri Weber, l'un des lieutenants de Laurent Fabius (Le Monde du 9 mai), le PS s'assume "depuis longtemps comme un parti réformiste".

En fait, l'évolution, souvent présentée de manière rapide, voire abusive, comme la marque indéniable d'une "social-démocratisation" du PS, serait un glissement idéologique qui ouvrirait la voie à une alliance avec le centre. Depuis le choix stratégique de l'union de la gauche imposé par François Mitterrand au congrès historique d'Epinay en 1971, des pressions se sont exercées à intervalles réguliers, à l'intérieur comme à l'extérieur du PS, pour contester ce choix, à partir de la convergence de deux logiques : l'une politique - le refus de l'alliance avec les communistes -, l'autre sociologique. La seconde était fondée sur l'idée que la modernisation de l'économie et de la société conduirait inéluctablement à une réduction, voire une disparition de la classe ouvrière, et à l'émergence d'une grande classe moyenne. Soucieuse de continuer à améliorer son niveau de vie et son insertion sociale, celle-ci aurait un comportement électoral plus modéré, donc proche du centrisme.

Ce soubassement sociologique, conçu dans les années 1970, s'est pour le moins effrité depuis. Le dernier "vrai" recensement de l'Insee de 1999 (les suivants ont été effectués par sondages) a jeté à bas l'édifice intellectuel construit autour de l'idée d'une inéluctable hégémonie idéologique, sociale et politique, d'une classe moyenne "centrophile". En réalité, la population active se compose toujours, pour plus de la moitié, d'ouvriers et maintenant d'employés aux conditions de rémunération, voire de vie, devenues souvent proches.

Non seulement l'électorat populaire n'a donc pas disparu, mais les classes moyennes, au lieu de s'en détacher, semblent s'en être rapprochées. Cette fois, ce sont deux élections, le séisme du 21 avril 2002 puis le référendum européen de 2005, qui ont servi de révélateurs en montrant que le malaise des couches populaires gagnait peu à peu les classes moyennes. Pour les premières comme pour les secondes, la panne persistante de "l'ascenseur social" a réduit à néant un modèle républicain qui nourrissait l'espoir d'une génération à l'autre. Et les classes moyennes viennent maintenant grossir le cortège des populations chassées très loin des centres-villes par la hausse des prix de l'immobilier. Enfin, l'obsolescence, face à un capitalisme de plus en plus cynique, du modèle du cadre attaché corps et âme à son entreprise a ancré l'idée d'une coupure entre une super-élite financière et le reste du monde du travail.

Dans ce contexte, l'élection présidentielle a confirmé une leçon du 21 avril 2002 : sans soutien de l'électorat populaire, il est difficile aujourd'hui de remporter une élection majeure. Nicolas Sarkozy l'a bien compris. Il a tenu un discours qui lui a permis de s'assurer une part significative de ce vote à la présidentielle, puis la neutralité bienveillante de nombreux électeurs populaires au premier tour des élections législatives, jusqu'à ce que les premières mesures du gouvernement provoquent leur réveil partiel au second tour.

QUÊTE DU GRAAL

A moins que le PS ne renonce à s'appuyer sur ces couches sociales, ce qui serait un paradoxe risqué, son défi principal est donc une nouvelle fois la reconquête de l'électorat populaire, qui fait de plus en plus figure de véritable quête du Graal tant, d'une présidentielle à l'autre, il s'en montre incapable, le vote pour la droite sarkozyste succédant à Jean-Marie Le Pen dans ces catégories. De ce point de vue, les socialistes ne peuvent pas ignorer que M. Sarkozy a réussi son opération de séduction en édulcorant son discours de "rupture" libérale pour y réinjecter l'action protectrice et régulatrice de l'Etat. Au point de prôner, au final, une ligne moins libérale que celle de M. Bayrou.

A l'inverse, les anciens hauts fonctionnaires de gauche regroupés sous le pseudonyme des "Gracques", fer de lance de la promotion du rapprochement avec le centre pour la présidentielle - et dont Jean-Pierre Jouyet était l'un des initiateurs -, adhéraient pour l'essentiel à la démarche économique de ce dernier. Ainsi, entre les deux tours, sous le titre "le moment social-démocrate", les "Gracques" expliquaient (Nouvel Observateur daté 10 au 16 mai) que, pour passer une alliance avec M. Bayrou, il fallait "bâtir un compromis sur le terrain de la politique économique" et que c'était bien "au PS d'accomplir l'essentiel du chemin".

Quel que soit son choix, le PS est condamné à élargir son emprise face à des alliés traditionnels ou plus récents (Verts) dont le poids électoral fond comme neige au soleil. Les socialistes se retrouvent, près de trente ans après - mais dans des conditions plus difficiles puisqu'ils sont sur une pente descendante -, confrontés au même débat que celui qui avait eu lieu entre François Mitterrand et Michel Rocard à la fin des années 1970 : faut-il d'abord "rassembler son camp" pour créer une dynamique puissante et un appel d'air électoral ? Ou vaut-il mieux s'ouvrir de façon volontariste à des familles politiques jusque-là tenues en lisière ?

Au demeurant, focaliser la réflexion sur les alliances pourrait laisser de côté l'essentiel : le PS connaîtra de nouveaux succès non parce qu'il aura fait, ou pas, alliance avec le centre, mais parce qu'il aura convaincu la plus grande partie de l'électorat qu'il est de nouveau capable d'améliorer ses conditions de vie, d'influer sur le cours des choses, de faire bouger le pays, en lui redonnant une espérance. Sinon, il ne sortira pas de la spirale du déclin. Au risque de connaître le même sort que la vieille SFIO morte à la fin des années 1960, victime des compromissions entraînées, sous la IVe République, par... son alliance au centre.

Jean-Louis Andreani



26/06/2007
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