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Bush et sa politique énergétique de mauvaise foi - JOSEPH E. STIGLITZ

http://www.lesechos.fr/journal20060320/lec1_idees/4395739.htm

Bush et sa politique énergétique de mauvaise foi
JOSEPH E. STIGLITZ

Un épisode surréaliste s'est produit cette année au cours du Forum économique mondial de Davos. Des experts de l'industrie pétrolière y ont expliqué que la fonte de la calotte polaire, beaucoup plus rapide que dans toutes les prévisions, ne constitue pas uniquement un problème, mais également... une chance, car d'énormes quantités de pétrole deviennent désormais accessibles ! De la même façon, ces spécialistes ont reconnu que le refus des Etats-Unis de signer la loi de la mer, la convention internationale qui détermine les accès aux sources de pétrole offshore ainsi qu'aux autres ressources minérales maritimes, constitue un risque de conflit international. Mais, dans le même temps, ils ont insisté sur les avantages de ce refus. Car, dans sa quête incessante de nouvelles réserves, l'industrie pétrolière n'a pas besoin de supplier le Congrès pour obtenir le droit de piller l'Alaska !

Le président des Etats-Unis George W. Bush a une étrange capacité à ne pas saisir les messages importants. Depuis des années, il est de plus en plus évident que sa politique énergétique ne tourne pas rond. Même dans son propre parti, on se réfère à l'une de ses lois énergétiques, rédigée en réalité par l'industrie pétrolière, comme un texte qui n'a délaissé aucune proposition de lobbyistes (« left no lobbyist behind ») ! En portant aux nues les vertus de l'économie de marché, le seul objectif de Bush consiste à accorder d'énormes subventions à l'industrie pétrolière, en dépit des déficits budgétaires croissants auxquels le pays doit faire face.

Or le marché ne fonctionne pas correctement lorsqu'il est question d'énergie. L'intervention du gouvernement devrait prendre un sens radicalement opposé à celui que l'administration Bush a proposé. Le fait que les Américains ne paient pas le prix de la pollution résultant de leurs gaspillages énergétiques, notamment de leurs émissions massives de gaz à effet de serre, entraîne une minoration du prix de l'énergie et en conséquence une consommation excessive.

Le gouvernement doit au contraire encourager les économies d'énergie. Son intervention sur le niveau des prix, essentiellement par le biais des taxes énergétiques, est une méthode efficace pour le faire. Mais, au lieu de favoriser les économies d'énergie, Bush s'entête dans une politique qui consiste à d'abord assécher l'Amérique de ses propres ressources, la rendant à l'avenir encore plus dépendante des ressources pétrolières étrangères. Peu importe qu'une forte demande fasse grimper les prix du pétrole et crée ainsi une manne pour de nombreux pays du Moyen-Orient, qui ne sont pas les meilleurs amis de l'Amérique.

Désormais, plus de quatre ans après les attaques terroristes de septembre 2001, il semble que Bush ait enfin pris la mesure de la dépendance énergétique croissante de l'Amérique. Il était devenu difficile pour lui de ne pas s'apercevoir des conséquences de la hausse galopante des prix du pétrole. Mais, une fois encore, les gestes hésitants de son gouvernement ne manqueront pas d'aggraver les problèmes dans un futur immédiat. Bush se refuse encore à agir en faveur des économies d'énergie et dépense finalement très peu d'argent pour tenir sa promesse maintes fois réitérée de salut technologique.

Que faire, alors, de la récente déclaration de Bush sur son engagement à réduire de 75 % la dépendance pétrolière de l'Amérique à l'égard du Moyen-Orient dans les vingt-cinq ans ? Pour les investisseurs, le message est clair : n'investissez plus dans les nouvelles réserves du Moyen-Orient, qui sont de loin les ressources pétrolières les moins chères du monde. Or s'il n'y a pas de nouvel investissement dans les réserves du Moyen-Orient, la croissance effrénée de la consommation énergétique aux Etats-Unis, en Chine et ailleurs provoquera fatalement une demande supérieure à l'offre. Et, pour couronner le tout, les menaces de sanctions de Bush contre l'Iran pourraient déboucher sur l'interruption de l'approvisionnement de l'un des plus grands producteurs mondiaux. Avec un niveau mondial de production de pétrole proche de son maximum et des prix ayant presque doublé depuis la guerre en Irak, cela laisse présager des prix encore plus élevés et encore davantage de profits pour l'industrie du pétrole, le seul véritable vainqueur de la politique de Bush au Moyen-Orient.

Certes, personne ne devrait reprocher à Bush d'avoir reconnu l'existence d'un problème. Mais comme toujours, ses propositions ne constituent rien d'autre qu'un tour de passe-passe. Outre son refus d'admettre le réchauffement de la planète, d'encourager les économies d'énergie ou d'allouer suffisamment de fonds pour faire avancer la recherche, la grande promesse de Bush de réduire la dépendance américaine face au pétrole du Moyen-Orient ne signifie pas grand-chose. Le pétrole extrait au Moyen-Orient ne représentant que 20 % de la consommation américaine, l'objectif de Bush pourrait être simplement atteint en augmentant légèrement les achats dans les autres régions du monde.

L'administration Bush doit absolument réaliser que l'or noir s'échange sur un marché mondial. Même si l'Amérique était complètement indépendante du pétrole du Moyen-Orient, la réduction de la production énergétique de cette région aurait des effets dévastateurs sur les prix mondiaux et a fortiori sur l'économie américaine. Comme cela est trop souvent le cas avec le gouvernement Bush, il n'y a aucune explication claire de la politique officielle. Bush est-il en train de jouer avec la politique en agitant le sentiment anti-arabe et anti-iranien des Américains ? Ou est-ce encore un autre exemple d'incompétence et de confusion ? A croire ce que nous avons vu ces cinq dernières années, la réponse exacte à cette question va sans doute au-delà d'un mélange de mauvaise foi et de pure bêtise.


20/03/2006
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