Revue de presse - Savoie

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Chalmers Johnson : Banqueroute américaine (II/II)

COMMENTAIRES

à noter que les autres pays avec des succès économiques récents (ou du moins portés comme tels) sont l'espagne, le royaume uni - tous avec une deficit monstrueux. Le succès economique construit sur un deficit est-il viable à long terme - evidemment non. Le futur s'assombrit pour ces trois pays.

un chiffre ahurissant (et meme surprenant) - le secteur militaire US representait en 1990 83% du secteur manufacturier americain (tout les reste est delocalisé). Ce chiffre est peut-etre un peu gonflé par la preparation de la 1ere guerre du golfe (500 000 hommes - soit 3 fois l'Irak actuel) et certaines usines travaille probablement aussi pour le civil. Le chiffre reste astronomique - et on comprend pourquoi les USA ont besoin de conflits et de zones de tensions. On tient combien de temps comme ça ?

Les pays développés les mieux portant economiquement (Japon, allemagne), ont des depenses militaires bien plus basses en proportion que les USA evidemment, mais aussi que la France et le Royaume uni.

Chalmers Johnson : Banqueroute américaine (II/II)

http://contreinfo.info/article.php3?id_article=1639
Dans ce deuxième volet de son étude du complexe militaro industriel, déjà dénoncé en son temps par le président Eisenhower, Johnson analyse ce qu'il appelle le « Keynésianisme militaire, » à l'oeuvre aux USA. Le poids pris par ce monstre économique est tel que c'est la substance même de l'économie américaine qui selon lui est menacée.

 

Par Chalmers Johnson, Tom Dispatch, 22 janvier 2008

Le Keynésianisme militaire

De telles dépenses ne sont pas seulement moralement obscènes, elles sont financièrement insoutenables. De nombreux néoconservateurs et patriotes Américains mal informés croient que, même si notre budget de défense est énorme, nous pouvons nous le permettre, parce que nous sommes le pays le plus riche sur la Terre. Malheureusement, cette affirmation n'est plus vraie. L'entité politique la plus riche au monde, d'après le World Factbook de la CIA, est l'Union européenne. Le PIB de 2006 de l'Union européenne (produit intérieur brut - tous les biens et services produits localement) a été estimé à une valeur légèrement plus grande que celui des États-Unis Toutefois, Le PIB de 2006 de la Chine n'a été que légèrement inférieur à celui des États-Unis et le Japon était la quatrième nation la plus riche au monde.

Une comparaison plus parlante, qui révèle à quel point nous faisons moins bien, peut être trouvée dans la « balance des paiements courants » des différentes nations. Cette balance des paiements mesure l'excédent ou le déficit commercial net d'un pays, plus les paiements transfrontaliers d'intérêts, de redevances, de dividendes, de gains en capital, d'aide étrangère, et d'autres recettes. Par exemple, pour que le Japon fabrique quelque chose, il doit importer toutes les matières premières requises. Même une fois réglées ces dépenses considérables, il bénéficie toujours d'un excédent commercial de 88 milliards par an avec les États-Unis et de la deuxième balance des paiements la plus élevée au monde. (La Chine est numéro un.) Les États-Unis, en revanche, sont en 163ième position - de loin le dernier de la liste, pire que des pays comme l'Australie et le Royaume-Uni qui ont également d'importants déficits commerciaux. Le déficit de leur balance des paiements courants en 2006 était de 811,5 milliards, talonnés par l'Espagne à 106,4 milliards de dollars. Voilà ce qui est insoutenable.

Le problème n'est pas seulement que notre goût pour les produits étrangers, y compris les importations de pétrole, dépasse largement notre capacité à les payer. Il tient aussi au fait que nous les finançions grâce à des emprunts massifs. Le 7 novembre 2007, le Trésor américain a annoncé que la dette nationale avait dépassé les 9000 milliards de dollars pour la toute première fois. Ce fut seulement cinq semaines après que le Congrès ait relevé le plafond de la dette à 9815 milliards de dollars. Si vous partez de 1789, au moment où la Constitution est devenue la loi suprême du pays, la dette accumulée par le gouvernement fédéral n'a jamais atteint 1000 milliards de dollars jusqu'en 1981. Lorsque George Bush est devenu président en janvier 2001, elle s'élevait à 5700 milliards de dollars environ. Depuis, elle a augmenté de 45%. Cette énorme dette s'explique en grande partie par nos dépenses de défense par rapport au reste du monde.

Les 10 plus grands pays en matière de dépenses militaires et les montants approximatifs de leur budget consacré à leur institution militaire sont :

-  1. USA (budget 2008), 623 milliards de dollar
-  2. Chine (2004), 65 milliards
-  3. Russie, 50 milliards
-  4. France (2005), 45 milliards
-  5. Royaume Uni, 42.8 milliards
-  6. Japon (2007), 41.75 milliards
-  7. Allemagne (2003), 35.1 milliards
-  8. Italie (2003), 28.2 milliards
-  9. Corée du Sud (2003), 21.1 milliards
-  10. Inde (2005 est.), 19 milliards

Dépenses militaires mondiales (estimations 2004), 1100 milliards.

Total mondial (sans les États-Unis), 500 milliards.

Nos dépenses militaires excessives ne datent pas de quelques années ou n'existent pas simplement du fait des politiques du gouvernement Bush. Elles durent depuis très longtemps en vertu d'une idéologie superficiellement plausible et sont désormais ancrées dans notre système politique démocratique où elles commencent à faire des ravages. Cette idéologie que j'appelle « keynésianisme militaire » - la volonté de maintenir une économie de guerre permanente et de traiter le militaire comme un produit économique ordinaire, même s'il ne contribue en rien à la production ou la consommation.

Cette idéologie remonte aux premières années de la Guerre froide. Durant la fin des années 1940, les États-Unis étaient la proie de grandes inquiétudes quant à l'économie. La Grande Dépression des années 1930 n'avait été surmontée que par le boom de la production de guerre de la Seconde Guerre mondiale. Avec la paix et la démobilisation, il y avait une crainte généralisée que la dépression puisse réapparaître. En 1949, alarmés par l'essai de la bombe atomique en Union soviétique, la victoire communiste menaçante dans la guerre civile chinoise, une récession intérieure, et la chute du rideau de fer autour des satellites européens de l'URSS, les Etats-Unis voulaient se doter d'un projet stratégique dans le contexte de la guerre froide émergente. Le résultat en fut le Rapport 68 du Conseil de Sécurité Nationale (NSC-68), d'inspiration militariste, rédigé sous la direction de Paul Nitze, qui dirigeait alors le Groupe de Planification des Politiques [Policy Planning Staff] au Département d'Etat. Daté du 14 avril 1950, et signée par le président Harry S. Truman le 30 septembre 1950, il a jeté les fondements des politiques économiques publiques que les États-Unis ont poursuivi jusqu'à aujourd'hui.

Dans ses conclusions, le NSC-68 affirme : « Une des plus importantes leçons de notre expérience de la Seconde Guerre mondiale est que l'économie américaine, quand elle fonctionne à un niveau proche de sa pleine efficacité, peut apporter d'énormes ressources à des fins autres que la consommation civile tout en fournissant un haut niveau de vie. »

Avec cette notion, les stratèges américains ont commencé à développer une industrie massive de munitions, à la fois pour contrer la puissance militaire de l'Union soviétique (qu'ils ont constamment surestimé), et aussi pour maintenir le plein emploi ainsi que pour conjurer un éventuel retour de la dépression. Le résultat a été que, sous la direction du Pentagone, la totalité des nouvelles industries ont été créées pour fabriquer des avions gros porteurs, des sous-marins nucléaires, des ogives nucléaires, des missiles balistiques intercontinentaux, et des satellites de surveillance et de communication. Cela a conduit à ce contre quoi le président Eisenhower a mis en garde dans son discours d'adieu du 6 février 1961 : « La conjonction d'un énorme appareil militaire et d'une importante industrie d'armements, est un fait nouveau dans l'expérience américaine » - c'est le complexe militaro-industriel.

En 1990, la valeur totale de l'armement, de l'équipement et des usines travaillant pour le Département de la défense représentait de 83% de la valeur de l'ensemble des usines et des équipements américains dans le secteur manufacturier. De 1947 à 1990, l'ensemble des budgets militaires des États-Unis s'est élevé à 8 700 milliards de dollars. Même si l'Union soviétique n'existe plus, la dépendance des États-Unis à l'égard du keynésianisme militaire a encore augmenté, grâce aux énormes intérêts qui se sont enracinés dans le milieu de l'institution militaire. Mais au fil du temps, cet volonté d'avoir en même temps les canons et le beurre s'est révélé être une configuration instable. Les industries militaires ont grevé l'économie civile et conduit à de graves faiblesses économiques. La dévotion au keynésianisme militaire est, en fait, une forme lente de suicide économique.

Le 1er mai 2007, le Center for Economic and Policy Research de Washington, DC, a publié une étude réalisée par Global Insight, une société internationale de prospective, sur l'impact économique à long terme de l'augmentation des dépenses militaires [1]. Dirigée par l'économiste Dean Baker, cette recherche a montré que, une fois passée la stimulation initiale de la demande, après environ la sixième année l'effet des augmentations des dépenses militaires devient négatif. Inutile de dire que l'économie américaine fait face à l'accroissement des dépenses de défense depuis plus de 60 ans. Il a constaté que, après 10 ans de hausse des dépenses de défense, il y a 464000 emplois de moins que dans un scénario de base qui implique des dépenses de défense plus faibles.

Baker concluait ainsi :

« On prétend souvent que les guerres et l'augmentation des dépenses militaires sont bonnes pour l'économie. En fait, la plupart des modèles économiques montrent que les dépenses militaires détournent les ressources des usages productifs, tels que la consommation et l'investissement, et finalement ralentit la croissance économique et réduit l'emploi. »

Ce ne sont là que quelques-uns des nombreux effets néfastes du keynésianisme militaire.

L'économie américaine vidée de sa substance

On pensait que les États-Unis pouvaient se permettre à la fois une institution militaire massive et un niveau de vie élevé, et qu'ils avaient besoin des deux à la fois pour maintenir le plein emploi. Mais cela n'a pas fonctionné de cette manière. Dans les années 1960, il devenait évident que le fait de privilégier les entreprises manufacturières du Département de la Défense, qui produisent des biens sans aucune valeur pour l'investissement ou la consommation, commençait à grever les activités économiques civiles. L'historien Thomas E. Woods, Jr., fait observer que, durant les années 1950 et 1960, entre un tiers et deux tiers de l'ensemble des talents de la recherche américaine ont été orientés vers le secteur militaire. Il est, bien entendu, impossible de savoir quelles sont les innovations qui ne sont jamais apparues suite a ce détournement de ressources et de matière grise par l'armée, mais c'est durant les années 1960 que nous avons commencé à remarquer que le Japon nous surpassait dans la conception et la qualité d'une large gamme de biens de consommation, y compris les appareils électroménagers et les automobiles.

Les armes nucléaires fournissent une illustration frappante de ces anomalies. Entre les années 1940 et 1996, les États-Unis ont dépensé au moins 5,8 milliards de dollars sur le développement, l'essai, et la construction de bombes nucléaires. En 1967, alors au sommet de leur arsenal nucléaire, les États-Unis détenaient quelques 32500 bombes atomiques et à hydrogène opérationnelles, dont aucune, heureusement, n'a jamais été utilisé. Ils illustrent parfaitement le principe keynésien affirmant que le gouvernement peut créer du travail afin de maintenir des emplois salariés. Les armes nucléaires ne sont pas seulement l'arme secrète de l'Amérique, mais aussi son arme économique secrète. En 2006, nous en avions encore 9.960. Il n'y a aujourd'hui aucune possibilité d'utilisation saine de ces bombes, alors que les milliards qu'ils ont coûté auraient pu être utilisé pour résoudre les problèmes de sécurité sociale et de soins de santé, assurer une éducation de qualité et l'accès à l'enseignement supérieur pour tous, sans parler de la conservation d'emplois hautement qualifiés au sein de l'économie américaine.

Le pionnier de l'analyse des conséquences négatives du keynésianisme militaire fut feu Seymour Melman (1917-2004), un professeur de génie industriel et de recherche opérationnelle à l'Université de Columbia. Son livre de 1970, Pentagon Capitalism : The Political Economy of War, était une analyse en avance sur son temps des conséquences non intentionnelles de la préoccupation américaine concernant ses forces armées et leurs armes a partir du début de la Guerre froide. Melman a écrit (pp. 2-3) :

« De 1946 à 1969, le gouvernement des États-Unis a consacré plus 1000 milliards de dollars dans le domaine militaire, dont plus de la moitié sous les administrations Kennedy et Johnson. Ce fut la période durant laquelle la gestion étatique [dominée par le Pentagone] s'est institutionnalisée. Cette somme ahurissante (essayez de visualiser un milliard de quelque chose) n'exprime pas ce que coûte l'établissement militaire à la nation dans son ensemble. Le véritable coût est mesuré par ce a quoi l'on a renoncé, par la détérioration accumulée dans de nombreux aspects de la vie, par l'incapacité à soulager la misère humaine durable. »

Dans une importante exégèse sur la pertinence de l'analyse de Melman par rapport a l'actuelle situation économique américaine, Thomas Woods écrit :

 »Selon le Département américain de la Défense, au cours des quatre décennies, de 1947 à 1987, il a utilisé (en dollar de 1982) 7620 milliards en ressources de capital. En 1985, le Département du commerce a évalué la valeur des usines et des infrastructures de la nation à un peu plus de 7290 milliards de dollars. En d'autres termes, le montant dépensé au cours de cette période aurait pu doubler le stock du capital américain ou moderniser et remplacer son stock existant. »

Le fait que nous n'ayons pas modernisé ou remplacé nos immobilisations est l'une des principales raisons pour lesquelles, au tournant du XXIe siècle, notre base industrielle n'a fait que s'évaporer. Les machines-outils - un secteur industriel sur lequel Melman était une autorité - en sont le symptôme particulièrement important. En novembre 1968, un inventaire de cinq ans a révélé (p. 186) « que 64 pour cent des machines-outils de la métallurgie utilisées dans l'industrie américaine avait dix ans ou plus. L'âge de ce matériel industriel (perceuses, etc..) fait du parc de machines-outils des Etats-Unis le plus ancien parmi tous les grands pays industriels, et marque la poursuite d'un processus de dégradation qui a débuté avec la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cette détérioration à la base du système industriel atteste de l'effet débilitant et appauvrissant que l'utilisation militaire du capital et des talents de la recherche et du développement a eu sur l'industrie américaine. »

Rien n'a été fait depuis 1968 pour renverser ces tendances et cela se traduit aujourd'hui par nos importations massives d'équipements -depuis les appareils médicaux comme les accélérateurs de protons utilisés en thérapie radiologique (fabriqués principalement en Belgique, en Allemagne et au Japon) jusqu'aux voitures et camions.

Notre court mandat de « superpuissance solitaire » mondiale est arrivé à son terme. Comme l'écrit le professeur d'économie à Harvard, Benjamin Friedman :

« De tous les temps, c'est toujours le pays dominant en matière de prêt sur la scène mondiale qui a occupé la première place en termes d'influence politique, diplomatique, et par son rayonnement culturel. Ce n'est pas par hasard si nous avons pris ce rôle aux britanniques, au moment même où nous avons occupé... la fonction de premier pays prêteur mondial. Aujourd'hui, nous ne sommes plus ce leader mondial du prêt. En fait, nous sommes maintenant le plus grand pays débiteur, et nous continuons d'exercer une influence uniquement sur la base de prouesses militaires. »

Certains dégâts ne peuvent jamais être réparés. Toutefois, il existe quelques mesures que ce pays a un besoin urgent de prendre. Il s'agit notamment de la remise en cause des réductions d'impôts pour les riches décidées par Bush en 2001 et 2003, de l'amorce de la liquidation des plus de 800 bases militaires de notre empire mondial, de l'abandon dans le budget de la défense de tous les projets qui n'ont aucun lien avec la sécurité nationale des États-Unis, et de cesser d'utiliser le Budget de la défense comme un programme keynésien de création d'emplois.

Si nous faisons cela, nous avons une chance de nous en sortir. Si nous ne le faisons pas, nous courons le risque d'une banqueroute de la nation et d'une longue dépression.

Chalmers Johnson est l'auteur de "Nemesis, The Last Days of the American Empire"



11/02/2008
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