Chirac bombe le torse - 20/1/2006
par Jean-Dominique MERCHET, LIBERATION QUOTIDIEN : vendredi 20 janvier 2006
Sur la base militaire de l'Ile-Longue, le chef de l'Etat menace les «Etats qui auraient recours à des moyens terroristes» d'une riposte nucléaire.
En matière de dissuasion nucléaire, le président de la République a mis hier les points sur les «i». Lors d'une visite à la base des sous-marins de l'Ile-Longue (lire encadré), Jacques Chirac a lancé une sévère mise en garde aux «dirigeants d'Etat qui auraient recours à des moyens terroristes contre nous [...] et à ceux qui envisageraient d'utiliser des armes de destruction massive». Ils s'exposeraient «à une réponse ferme et adaptée qui peut être conventionnelle» mais qui «peut aussi être d'une autre nature». En clair, à une frappe nucléaire. Ce discours ne marque pas une rupture radicale dans la doctrine stratégique française de dissuasion nucléaire. Mais c'est un développement important des annonces de juin 2001, lorsque Chirac avait reformulé la dissuasion, face aux menaces des «puissances régionales».
Banalisation. Désormais, l'utilisation du terrorisme par des Etats contre les «intérêts vitaux» de la France est explicitement mentionnée comme justiciable d'une riposte nucléaire. Toutefois, «la dissuasion n'est pas destinée à dissuader des terroristes fanatiques», a-t-il précisé. Elle s'adresse uniquement à des Etats et non à des groupes comme Al-Qaeda. «Contre une puissance régionale, notre choix n'est pas entre l'inaction et l'anéantissement. La flexibilité de nos forces stratégiques nous permettrait d'exercer notre réponse directement sur ses centres de pouvoir, sur sa capacité à agir», a ajouté le chef de l'Etat. L'idée n'est plus, comme à l'époque de la guerre froide, d'utiliser des armes nucléaires pour raser des villes, mais pour «décapiter» les régimes en place.
Depuis une petite dizaine d'années, les forces nucléaires françaises ont discrètement été adaptées en ce sens. Il s'agit d'aller vers plus «de souplesse, de flexibilité et de précision», explique-t-on dans l'entourage du Président. Chirac a confirmé hier que ces évolutions allaient se poursuivre avec l'entrée en service de deux nouveaux missiles, à l'horizon 2008-2010. Le M51, lancé depuis les sous-marins, aura une portée suffisante (9 000 km) pour atteindre la Chine. Tiré depuis des avions, l'ASMPA (air-sol moyenne portée amélioré) permettra des frappes de précision. En matière nucléaire, la tendance n'est pas de faire toujours plus puissant. La course aux kilotonnes est terminée : les militaires veulent des armes précises, capables d'être reprogrammées pour pouvoir changer de cibles, et d'une puissance juste suffisante pour «vitrifier» la cible.
«Odieux». Une telle évolution technique pourrait ouvrir la porte à une banalisation de l'emploi du nucléaire. Le chef de l'Etat a clairement réaffirmé qu'«en aucun cas, il ne saurait être question d'utiliser des moyens nucléaires à des fins militaires lors d'un conflit». Arme politique, le nucléaire n'est pas appelé à devenir une arme tactique, utilisée sur le champ de bataille. La France possède de 250 à 300 têtes nucléaires, mises en oeuvre à partir de quatre sous-marins nucléaires lanceurs d'engins, d'une soixantaine de Mirage 2000N de l'armée de l'air et de Super-Etendard embarqués sur le porte-avions Charles-de-Gaulle.
S'ils ne visent explicitement personne, les propos d'hier concernent au premier chef l'Iran, qui tente de se doter d'armes nucléaires et de missiles capables d'atteindre l'Europe. «Dans de nombreux pays se diffusent des idées radicales prônant la confrontation des civilisations, des cultures et des religions, a précisé Chirac. Aujourd'hui, cette volonté de confrontation se traduit par des attentats odieux. Demain, elle pourrait prendre d'autres formes, encore plus graves, impliquant des Etats.»
L'arme nucléaire reste consacrée à la défense des «intérêts vitaux» du pays, mais, pour la première fois, «la défense de pays alliés» est explicitement citée comme pouvant faire partie des intérêts vitaux de la France, au-delà de «l'intégrité de notre territoire, la protection de notre population, le libre exercice de notre souveraineté ou la garantie de nos approvisionnements stratégiques».
Cette ouverture aux «pays alliés» s'inscrit dans «la perspective d'une Europe forte, responsable de sa sécurité». Au sein de l'UE, seuls la France et le Royaume-Uni possèdent des armes nucléaires. Les autres Etats membres s'en remettent au final à la protection nucléaire américaine. En 1995, la proposition française d'une «dissuasion concertée» avec les Européens avait fait un flop.
«Posture».
A gauche, ces propos ont suscité des réactions contrastées. Soucieux
d'affermir la solennité de son profil de présidentiable, Laurent Fabius
les approuve : «Il n'y a rien sur quoi je sois en profond désaccord.» Jack Lang, lui, s'en est pris à «la sanctuarisation budgétaire d'une force de frappe coûteuse».
Elle représente environ 10 % des crédits de la défense, soit 3,5
milliards par an. Le député communiste Jacques Brunhes a estimé que la «posture» de Jacques Chirac «incitait à la prolifération nucléaire». Le Mouvement de la Paix et Sortir du nucléaire ont, évidemment, condamné les propos du chef de l'Etat.
COMMENTAIRES
- Chirac par une extension de l'utilisation du nucléaire se rapproche de la doctrine de Bush,
- Comment fait-on pour identifier des états terroristes de façon
fiable ? L'Irak et ses armes de destruction massive est une preuve de
cette ineptie ou cette opportunité de manipulation digne de Georges Bush; va-t-on vitrifier
Téhéran parce qu'ils aident le Hezbollah ? Il n'y a pas de meilleur
argument pour que l'Iran décide de s'armer,
- Dissuasion et préciision sont contradictoires: si on est précis et
limité en puissance, on devient une arme classique utilisable plus
facilement et moins effrayante - donc non dissuasive,
- Intérêts vitaux - encore une notion pour dérapage incontrolés "Bushienne":
va-t-on utiliser l'arme nucléaire pour vitrifier une nation qui
bloquerait notre approvisionnement en petrole ? et dans quelle circonstance ?
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