Dominique Strauss-Kahn : « La remise en ordre du pays demandera des efforts »
Dominique Strauss-Kahn : « La remise en ordre du pays demandera des efforts »
http://www.lesechos.fr/journal20060627/lec1_france/4441121.htm
CANDIDAT À L'INVESTITURE SOCIALISTE POUR 2007
http://www.lesechos.fr/journal20060627/lec1_france/4441121.htm
CANDIDAT À L'INVESTITURE SOCIALISTE POUR 2007
A
la veille de la conférence de presse où le PS doit présenter le
chiffrage de son projet pour 2007, Dominique Strauss-Kahn avertit ses
camarades : « Je n'accepterai pas qu'on sous-estime son coût. »
J'ai
dit dès le départ que je serais très attentif au chiffrage, car je veux
dire la vérité aux Français. C'est aujourd'hui mon seul mot d'ordre :
la vérité. On ne plaisante ni avec les équilibres budgétaires ni avec
l'éthique politique. Les estimations faites par Thierry Breton et
Jean-François Copé sont totalement fantaisistes - c'est à l'image de
leurs prévisions de croissance ou de déficit. Je ne laisserai pas
dénaturer le projet du PS, mais je n'accepterai pas non plus qu'on
sous-estime son coût. Je maintiens ce que j'ai dit : en année pleine,
lorsque toutes les mesures seront appliquées et montées en charge,
c'est-à-dire en 2012, la charge sera de 50 milliards.
Il
n'est pas question de creuser le déficit, mais au contraire de le
réduire. Dans ces conditions, toutes les dépenses devront être
couvertes par les recettes. La majeure partie, plus de 50 %, devra
venir de la croissance, et le reste de mesures nouvelles - comme une
taxe sur les activités polluantes ou sur le kérozène - ou de la remise
en cause de baisses d'impôt sur le revenu décidées par la droite.
Le
projet du PS ne le précise pas, mais je pense qu'il ne faut annuler que
les réductions survenues depuis 2002 sur les tranches supérieures : il
faut revenir sur les réductions en faveur des plus aisés - injustes,
elles n'ont eu pour effet que d'accroître leur taux d'épargne -, et non
celles des classes moyennes.
Cette
promesse est risible au regard du bilan de la droite en la matière :
une hausse de notre endettement public sans précédent - représentant 8
points de PIB - et un déficit qui ne baisse que par les artifices
comptables les plus scandaleux de l'histoire de la République - ce
n'est pas moi qui le dis, c'est le premier président de la Cour des
comptes, Philippe Séguin. Stabiliser la dette sera déjà un beau
résultat.
Il
faut savoir ce que l'on veut. Nous avons aujourd'hui deux priorités à
financer : les investissements dans l'avenir avec la recherche,
l'enseignement supérieur et l'innovation et la promotion de ce que
j'appelle « l'égalité réelle » par le système éducatif et la mise en
place d'un service public de la petite enfance. La responsabilité de la
gauche est de dire la vérité aux Français : la remise en ordre du pays
demandera des efforts. Le pays est prêt à entendre ce message de
responsabilité s'il a le sentiment que ce que nous proposons est juste
et permettra d'améliorer les perspectives d'avenir.
Nous
sommes aujourd'hui sous la menace immédiate d'un déclassement de notre
pays. Au rythme actuel, le revenu moyen des Français ne sera plus dans
le groupe de tête dans dix ans. Nous pouvons et nous devons obtenir au
moins 2,5 % par an. Mais il ne faut pas seulement fixer un objectif :
pour l'atteindre, il ne faut pas se tromper de diagnostic. Je le dis à
la gauche : il faut bien sûr soutenir la demande, comme nous l'avons
fait en 1997 notamment pour les petits revenus, mais le gros effort
doit porter sur l'investissement pour moderniser notre appareil
productif.
Je n'y ai jamais été très favorable. Je le suis encore moins aujourd'hui car cela risque de pénaliser l'investissement.
En
la matière, il faut toujours combiner le souci de la justice sociale et
l'efficacité économique. Quand Lionel Jospin est arrivé à Matignon en
1997, il a pris la décision d'augmenter significativement le SMIC, mais
pas autant que certains le réclamaient. C'est, entre autres, grâce à ce
signal équilibré que nous avons réussi à rétablir la confiance.
Aujourd'hui, notre option est celle d'une large conférence sur
lesrevenus avec les partenairessociaux très vite après la
présidentielle. C'est dans ce cadre que la question de la hausse du
SMIC doit être posée.
Oui, c'est l'objectif à atteindre avant la fin de la législature.
S'il s'agit
d'abroger d'un trait de plume la loi Fillon pour en revenir à la
situation d'avant, c'est non : nous sommes loin d'avoir réglé le
problème des retraites. Les Français le savent et c'est une des raisons
pour lesquelles ils n'ont pas confiance en l'avenir. S'il s'agit de
reprendre cette question pour la traiter dans un esprit de justice et
de prendre en compte la pénibilité du travail - il y a des métiers où
l'on mérite de partir plus tôt -, c'est oui.
Cela
ne me paraît pas le plus urgent au regard de nos vraies priorités :
l'éducation, la santé, le logement, la recherche. Je note, d'ailleurs,
que les socialistes ne disent plus que cela se fera par la dépense
budgétaire. Sur les entreprises publiques, pour moi, la doctrine est
claire : il n'y a aucune raison d'ouvrir le capital, sauf lorsque
l'intérêt de l'entreprise, de ses salariés, des consommateurs,
l'intérêt collectif donc, l'impose. Par exemple, quand il y a un projet
industriel qui suppose une alliance avec un autre groupe et donc un
échange de titres.
Non.
Je ne suis pas convaincu par le « patriotisme économique » de Dominique
de Villepin. Pour se développer, les grands groupes français ont
surtout besoin d'alliances européennes. En l'occurrence, ce projet
risquait surtout de créer un concurrent malvenu à EDF sur le territoire
français.
La
loi récente a amélioré la situation. On peut sans doute aller plus
loin. L'Europe en général, la France en particulier, n'ont aucune
raison d'être plus naïves que les autres régions du monde.
Je
n'étais pas favorable à la solution russe, qui n'était qu'un pis-aller.
Tirons du passé une leçon pour l'avenir : lorsque l'autonomie
industrielle de l'Europe est en jeu, la Commission européenne ne doit
plus opposer la question de la concurrence. Si Thyssen-Krupp n'avait
pas été laissée en dehors de la constitution d'Arcelor, il n'y aurait
pas eu de risque d'OPA...
Les
35 heures ne sont pas la clef de voûte du projet du PS ! Quant à
Nicolas Sarkozy, comment peut-on affirmer qu'il faut revaloriser le
travail et prôner en même temps la suppression des droits de succession
? Je suis scandalisé par cette proposition. Elle revient à mettre en
place une aristocratie de la richesse à la place d'une méritocratie
républicaine. C'est une mesure qui va à l'encontre de la valeur
travail, car elle favorise la richesse accumulée, l'héritage et la
rente contre la production.
Il
ne faut pas les supprimer, sauf à risquer de perdre définitivement
toute chance d'attirer des investissements étrangers importants en
France, et notamment les quartiers généraux des entreprises. En
revanche, les stock-options ne devraient pas pouvoir concerner
uniquement les cadres dirigeants et il faut encadrer strictement les
golden parachutes et autres retraites chapeaux et les supprimer
purement et simplement quand les entreprises perdent de l'argent,
bloquent les salaires ou suppriment des emplois.
Je
n'ai jamais été favorable à ce qu'on montre du doigt ceux qui
réussissent dans leur entreprise. Nous devons être capables de
rémunérer le risque et de stimuler l'esprit d'entreprise. La gauche,
qui avait fait des progrès considérables dans ce domaine, a plutôt
régressé. Mais ceux qui portent le plus atteinte à cette image de
l'entrepreneur sont les patrons qui abusent, ceux qui, dans le même
discours, expliquent que l'entreprise ne va pas suffisamment bien pour
mettre en oeuvre telle ou telle politique salariale ou sociale et dans
le même temps s'octroient des avantages indécents.
C'est
lié au fait que dans notre pays la morale publique s'érode, notamment
lorsque le chef de l'Etat lui-même donne, encore récemment,
l'impression que, dès lors qu'on a le pouvoir, tout est permis, tout
est possible.
PROPOS RECUEILLIS PAR FRANÇOISE FRESSOZ, ELSA FREYSSENET ET JEAN-FRANCIS PÉCRESSE
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