Elevages - Une catastrophe écologique
Catastrophe
! Le monde mange de plus en plus de viande. L'élevage industriel émet
des fleuves de polluants, fait disparaître des millions d'hectares de
biodiversité, abrite des virus mortels et, surtout, accélère
dangereusement la fièvre terrestre.
Frédéric Lewino © le point 22/06/06 Pour
sauver la planète, mangeons moins de viande ! L'élevage industriel qui
se développe, surtout en Asie, entraîne un coût écologique de plus en
plus insupportable. Ce qui amène plusieurs institutions, dont la Fao, à
pousser un cri d'alarme. On oublie que, pour fabriquer un poulet,
un boeuf ou un mouton, il faut dépenser beaucoup d'énergie en
chauffage, nourriture, transport, découpe de la viande, chaîne du
froid... D'où un rejet important de gaz à effet de serre. Auxquels il
faut ajouter le méthane émis par les ruminants. Pour le compte de
l'Ademe, l'expert Jean-Marc Jancovici a chiffré la part du régime
carnivore dans la fièvre terrestre. Stupéfiant ! Le kilo de viande de
veau équivaut à un trajet automobile de 220 kilomètres ! L'agneau de
lait : 180 kilomètres ! Le boeuf : 70 kilomètres ! Le porc : 30
kilomètres ! Et encore Jancovici n'a-t-il pas comptabilisé les apports
carbonés de l'emballage, du déplacement du consommateur et de la
cuisson. A titre de comparaison, la production de 1 kilo de blé ou de
pommes de terre équivaut tout juste à un créneau en voiture. Pour
ne rien arranger, le cheptel mondial augmente au moins aussi vite que
le parc automobile. Selon le plus récent décompte de la FAO, la planète
abrite désormais 17 milliards de poulets, 1,8 milliard de moutons et de
chèvres, 1,4 milliard de bovins, 1 milliard de cochons et 1 milliard de
canards. Auxquels il faut ajouter les nombreuses autres espèces
consommées : dindes, chameaux, poissons, chiens... Le monde devient, en
effet, de plus en plus carnivore. Depuis les années 50, la consommation
mon-diale de viande a quintuplé. Et même si elle stagne en Occident
depuis une vingtaine d'années, elle s'envole dorénavant dans tous les
pays émergents. Les Chinois et les Indiens ne se contentent plus de
leur bol de riz ou de lentilles. Entre 1991 et 2002, les Chinois ont
quadruplé leur régime carné et les Indiens l'ont doublé. Selon la Fao,
en 2030, le tiers-monde consommera près des deux tiers de la viande
mondiale. Il ne fait que suivre notre exemple avec un siècle de retard.
Mais les méfaits écologiques des élevages intensifs ne
s'arrêtent pas à la fièvre planétaire. Le mal est plus profond. A
commencer par l'artificialisation de la nature. Voilà longtemps que les
animaux ne sont plus nourris avec de l'herbe ou des déchets. L'élevage
industriel réclame des quantités astronomiques d'aliments qui
monopolisent 29 % de la surface terrestre sous forme de pâturage et de
cultures fourragères. Ainsi, le soja est cultivé à 90 % pour assurer
l'alimentation animale. En quelques années, rien qu'au Brésil, en
Argentine, au Paraguay et en Bolivie, cette culture s'est emparée de 40
millions d'hectares, surtout pour alimenter les bovins européens et
chinois. Or les écologistes accusent cette extension de se faire le
plus souvent au détriment de milieux naturels de grand intérêt, comme
la savane arborée brésilienne, le Chaco argentin, la forêt chiquitana
bolivienne. Depuis quelques années, c'est même la forêt amazonienne qui
recule devant de nouvelles variétés de soja appréciant le climat
tropical. En mangeant donc de la viande bien française, nous
participons indirectement à la perte de la biodiversité amazonienne. Si
encore cette nouvelle industrie enrichissait les petits paysans. Même
pas. « Le boom du soja remplace les agriculteurs par des
investisseurs financiers. Ils engrangent des bénéfices allant jusqu'à
50 % par an. Demain, ils s'en iront vers d'autres produits plus
rentables, laissant derrière eux une catastrophe écologique et sociale
», dénonce, dans La Revue durable, Marc Hufty,
enseignant-chercheur à l'Institut universitaire d'études du
développement (IUED) de Genève. Par ailleurs, fabriquer de la viande
avec du soja est un gâchis protéique, puisqu'il faut 18 kilos de
protéines végétales pour fabriquer 1 kilo de boeuf ! La planète serait
donc bien mieux nourrie avec un régime végétarien. C'est aussi
l'élevage qui explique le succès du maïs, ce boit-sans-soif qui vide
les nappes phréatiques et rend exsangues les rivières, ce consommateur
d'engrais et de pesticides qui pollue l'air, le sol et l'eau. La
Bretagne, qui élève un cheptel faramineux de porcs et de volailles, en
sait quelque chose. « Il faudrait produire moins de viande, mieux entretenir le territoire et gérer les cycles biologiques », dit Christian Mouchet, professeur d'économie rurale à l'Agrocampus de Rennes. Importation de soja, excédents de céréales. «
Le résultat est une agriculture non durable qui puise dans les
ressources naturelles de façon quasi minière, économiquement inefficace
et créatrice de déséquilibres territoriaux », ajoute-t-il. Quelques éleveurs tentent de faire marche arrière. C'est
pourtant cette voie bretonne peu recommandable qu'empruntent les pays
émergents asiatiques. Le rivage de la mer de Chine se couvre d'élevages
industriels de porcs et de volailles. Mais il y a pire que cette
pollution. Depuis quelques années, la Fao s'inquiète de la cohabitation
des grands centres urbains avec ces élevages géants. Le mélange est
détonant. Hier, en Europe, la maladie de la vache folle a fait craindre
le pire. Aujourd'hui, c'est la grippe aviaire. Lorsqu'il mutera
défavorablement, le H5N1 provoquera des millions de morts dans la
population humaine. Lui ou un autre. Les virus et microbes pathogènes
abrités par les animaux d'élevage sont légion. « En cultivant en
grande quantité des protéines (poulets, moutons...) identiques, on crée
une sorte de réacteur biologique. Si un virus est adapté à un des
animaux, il sera aussi adapté à tous les autres. Et l'élevage sera
décimé », explique François Renaud, directeur du laboratoire
Génétique et évolution des maladies infectieuses (CNRS-IRD). Louise O.
Fresco, sous-directrice générale de la FAO, complète : « La nature
transfrontière de ces maladies et leur capacité potentielle à franchir
les barrières des espèces et à toucher l'homme constituent des enjeux
sérieux. » Et de se rassurer : « La science peut faciliter un
développement de l'élevage durable, équitable et sans danger, en
innovant dans une vaste palette de secteurs. » Certes, la science
peut tout, mais l'homme reste un fou. Comptons sur lui pour ne pas
renoncer facilement à son bifteck ou à son poulet aux champignons
noirs. La santé de son estomac lui importe davantage que celle de la
planète. A moins d'une épidémie faisant des millions de morts...
http://www.lepoint.fr/sciences/document.html?did=180246
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