La laïcité, bon Dieu !
La laïcité, bon Dieu !
Face aux communautarismes elle reste un des seuls lieux soustraits aux groupes de pression.Par André LAIGNEL, Henri PENA-RUIZ
http://www.liberation.fr/opinions/rebonds/212979.FR.php
André Laignel maire (PS) d'Issoudun (Indre) secrétaire général de l'Association des maires de France, député européen, ancien ministre et Henri Pena-Ruiz philosophe, écrivain, ancien membre de la commission Stasi.
En République, tous les citoyens, athés, croyants, ou
agnostiques, doivent jouir des mêmes droits. Cette égalité est la
meilleure garantie de leur liberté. Elle implique la neutralité
spirituelle des institutions publiques, ainsi dotées d'une
légitimité authentique. Prétendre qu'il n'y a d'espoir que par les
religions, comme le fait monsieur Sarkozy, c'est faire injure aux
athées dont l'humanisme est source de valeurs autant que peut
l'être la croyance en un dieu. Peut-on oublier que, dans la
résistance à l'oppression nazie, sont tombés ensemble Honoré
d'Estienne-d'Orves,
«celui qui croyait au ciel», et Gabriel Péri,
«celui qui n'y croyait pas» ?
Si la République laïque se refuse à tout privilège public des
religions ou de l'athéisme, c'est pour mieux promouvoir ce qui
importe à tous les hommes : justice, santé, instruction, culture.
Les étourdis qui oublient la solidarité entre la défense des
services publics et celle de la laïcité seraient bien avisés de se
souvenir de l'action de madame Thatcher, qui détruisit les services
publics en Angleterre et délégua la question sociale aux
associations religieuses, invitées à suppléer par la charité aux
carences d'un Etat désormais absent. Si la charité est respectable,
elle ne peut tenir lieu de justice sociale. Justice sociale portée
par la carte scolaire, mise en place depuis 1963, socle commun de
l'égalité des chances. Les diverses déclarations qui s'en prennent
à cet acquis sous prétexte de liberté de choix des parents
entretiennent une grave illusion. On sait qu'une telle «liberté»
est proportionnelle au niveau d'aisance sociale ou culturelle, et
aboutit à remettre en cause la mixité sociale.
La neutralité laïque ne signifie nullement absence de valeurs
fortes. Tout au contraire. Solidarité, fraternité, souci du bien
commun sont à même de réunir tous les êtres humains, et non
certains d'entre eux seulement. Cette portée universelle de l'idéal
laïc est trop souvent méconnue. C'est dire que la croyance
religieuse n'a pas à être mieux traitée que la conviction athée. Et
réciproquement.
Le bien commun est aujourd'hui menacé. Et la laïcité également.
Les grands services publics, et l'école laïque école de tous
ouverte à tous donnent pourtant chair et vie à l'intérêt général
et incarnent concrètement l'universalisme laïc, si essentiel dans
une société guettée par les replis communautaristes. Ces services
conçus pour le bien de tous et de chacun, méritent une attention et
un soutien sans faille de la part des pouvoirs publics. L'école
laïque, notamment, accueillant sans discrimination les croyants et
les athées, les enfants de toutes origines, répond au beau mot de
République, qui veut dire chose commune à tous. Il n'y a pas
d'étranger dans l'école laïque : un enfant de l'école publique est
un enfant de la République. N'en déplaise à l'actuel ministre de
l'Education, l'école laïque est bien par essence l'école de la
République. Tenir la balance égale entre elle et l'école privée est
peu républicain. L'école laïque, c'est l'école de la liberté, en un
double sens : la liberté y enseigne et y est enseignée. La
circulaire de Robien, prise en application de la loi du 13 août
2004 relative aux
«libertés locales», modifie les règles de financement des
frais de scolarité d'un élève inscrit dans un établissement
confessionnel ou public situé en dehors de son lieu de résidence.
En redéfinissant la nature des dépenses prises en compte dans le
calcul du forfait communal, elle aboutit à leur alourdissement en
faveur de l'enseignement privé.
Il est nécessaire, après trop de silence ou de renoncement
tacite, de rappeler le principe de la priorité absolue des fonds
publics pour l'école publique. Peut-on admettre qu'en France trop
de communes soient encore dépourvues d'école publique ? Le rapport
de la commission Stasi appelait à faire cesser cette injustice, qui
traduit un manquement de l'Etat à ses devoirs. Il est également
paradoxal que l'école publique manque cruellement de moyens pour
encadrer plus efficacement les élèves, alors qu'en raison de la loi
Debré de 1959 des crédits publics irriguent massivement les écoles
privées sous contrat.
On ne peut, au nom du
«réalisme», continuer à se satisfaire d'une situation où
chaque recul en prépare d'autres. Une chose est d'affirmer la
liberté des écoles privées à se développer. Autre chose est de se
croire obligé de financer ce développement, en contradiction avec
la tradition laïque et notamment la loi Goblet de 1886. L'argument
selon lequel les écoles privées rempliraient
«une mission de service public» est aussi irrecevable que
celui qui conduirait à dire la même chose des milices privées. Il
fut l'apanage invariable des partisans de l'école privée. Pourquoi
ne peut-on l'admettre ? Parce que l'instruction publique n'est pas
une
«prestation» comme une autre, qu'il serait possible de
déléguer comme on le fait de la construction d'un édifice ou de
toute autre prestation matérielle. La nature de l'institution qui
enseigne, et notamment celle des principes qui l'animent, importe
en l'occurrence au plus haut point. Il n'est pas vrai q0u'une
organisation privée, mue par la quête du profit ou le ressort du
prosélytisme religieux puisse assumer aussi bien le service public
d'instruction que l'école publique laïque, institution organique de
la République dont Condorcet faisait le levier de l'émancipation
générale et de la citoyenneté éclairée. Bien sûr, pour cela, il
importe que l'école publique assume pleinement les missions que les
familles sont en droit d'attendre d'elles. Elle ne le fait pas
toujours, dira-t-on, et le réseau des écoles privées se trouve
ainsi conduit à combler certaines de ses carences, notamment en
matière d'encadrement des élèves. Il faut à l'évidence oeuvrer pour
élever la qualité du service public d'instruction et d'éducation,
ce qui implique, entre autres, une priorité absolue des deniers
publics pour l'école publique.
Les services publics doivent être à l'abri de toute accusation
de partialité et de discrimination. La loi de 2004 interdisant de
porter ostensiblement des signes religieux distinctifs à l'école a
eu le mérite de rappeler les principes de la laïcité et de fixer
clairement les barrières. La laïcité garantissant la liberté des
consciences permet l'émancipation notamment des jeunes filles et
des femmes, pour certaines enfermées dans des modèles sexistes.
Garantir l'accès de toutes et de tous, garantir la mixité dans les
pratiques culturelles, sportives, associatives, c'est faire vivre
la laïcité. L'école laïque veut voir dans chaque enfant cette part
d'universalité qui en fait un sujet porteur de droits égaux, sans
distinction de sexe, d'orientation sexuelle, de culture d'origine,
de conviction spirituelle. Dans un monde en plein déchirement, elle
reste un des seuls lieux soustraits aux groupes de pression
religieux, idéologiques, ou économiques. Il est grand temps de
rappeler cette fraternité qui advient dans le partage du meilleur
de l'être humain : la liberté de la conscience qui juge en
connaissance de cause, et fonde ainsi la citoyenneté sur une
lucidité agissante.
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