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La zone euro, vue de Suisse - Le temps de Geneve

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C'est plus clair vu du dehors : convergence fiscale vers le mode allemand, austerité pour les mauvais élèves sous l'autorité de l'allemagne, ou dehors

La zone euro, un petit air de Cacanie

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La récente mise en place de mécanismes de prêt d’urgence est une solution typiquement européenne. Plutôt que de chercher à contraindre les pays à la vertu fiscale, l’UE a préféré employer un moyen technique pour «identifier» les problèmes et les «traiter» au travers d’une batterie de punitions. Par Marc Flandreau

La crise grecque a ouvert un nouveau chapitre de l’histoire de l’euro – chapitre dont les détails restent à écrire mais dont les grandes lignes sont d’ores et déjà fixées. D’un autre côté, par bien des aspects, c’est «business as usual» ou plutôt en l’occurrence «Europe as usual».

La récente mise en place de mécanismes de prêt d’urgence continue en effet sur la lancée d’une logique beaucoup plus ancienne, qui a été à l’œuvre tant dans la création du Système monétaire européen que plus tard dans la constitution adoptée pour l’euro. Mais en même temps, ce faisant, les décisions du week-end dernier, en poussant jusqu’au bout une logique ancienne, ont à leur façon innové en ce sens qu’elles fournissent la nouvelle règle du jeu.

Regardons en détail tant l’esprit que la lettre de la récente création de prêts d’urgence pour un total de 750 milliards d’euros. Primo, le plus gros de la responsabilité financière des garanties qui sont accordées est assumé par l’Allemagne. La France est aussi concernée, mais comme il faudra l’accord des deux, le pouvoir du plus récalcitrant sera le plus important. Secundo, les pays ayant recours à ces prêts devront recevoir la bénédiction du FMI (dont on sait bien que l’acronyme en anglais IMF signifie en réalité «It’s Mostly Fiscal»). Et tertio, en échange la Banque centrale européenne s’engage à être bon camarade: elle accordera sa liquidité généreusement lorsqu’elle prendra en gage les instruments financiers dudit pays.

Autrement dit, la zone euro, plutôt que de se donner les moyens politiques de contraindre les pays à la vertu fiscale, a mis en place un mécanisme technique permettant «d’identifier» les problèmes et de fournir des cadres opérationnels pour les «traiter» au travers d’une batterie de punitions. Grâce au truchement de «l’expertise du FMI», on a externalisé dans le domaine du jugement scientifique l’identification de la délinquance fiscale.

Cette solution rappelle bien sûr de similaires «solutions» déjà trouvées dans le passé. De même que les électeurs Allemands n’auraient pas fait confiance à une Banque centrale européenne qui n’aurait pas été solidement ancrée sur les bonnes terres de la rigueur monétaire, ce que l’influence de la Bundesbank au sein de la BCE et les règles de fonctionnement garantissent aujourd’hui, de même il n’était pas question de blanc-seing fiscal en dehors de la rigueur du FMI dont l’austérité en la matière est légendaire. Autrement dit, la pièce qui vient de se jouer est familière pour tous les fans du spectacle Europe. On a juste fait un peu circuler les rôles.


Donc ce qu’il y a de typique dans cet accord, c’est qu’il continue sur cette même logique adoptée de façon récurrente dans la construction de l’Europe économique. Que ce soit refus ou incapacité, les Européens n’ont jamais fédéralisé les problèmes de gouvernement fiscal. En même temps, ils décidaient de partager un certain nombre d’institutions d’utilité collective: le marché commun naguère, la monnaie unique plus récemment.

De cette combinaison de forces centrifuges et centripètes résultent fatalement des tensions, dont la principale s’avère être le précaire équilibre financier de la zone. Un «choc exogène» (expression utilisée par les économistes pour dire un coup de la fortune) suffit à révéler la fragilité de l’ensemble. Le choc exogène, en l’occurrence, a été la crise du «subprime» qui, après avoir consacré un bref triomphe de Keynes, puisqu’il a été fashion pendant un temps de laisser filer les déficits pour soutenir l’économie, est revenue avec une vengeance pour prendre les Etats endettés à défaut. Elle s’est alors soudain attaquée à ceux qui avaient eu l’audace ou la négligence d’être keynésiens sans en avoir les moyens.

La solution trouvée après de longues et douloureuses négociations devait forcément être parfaitement inévitable et horriblement banale. Les esprits plus littéraires ne pourront sans doute s’empêcher de repenser à ce que Robert Musil écrivait à propos de la Cacanie lorsqu’il se plaisait à taquiner l’Empire austro-hongrois d’avant 1914. Là aussi prévalait, dans un maquis de forces centripètes et centrifuges que les historiens continuent de sonder, le dieu moqueur des crises permanentes et de leur inévitable résolution en une ultime tentative de faire se comprendre des langues que la chute de Babel avait pourtant pris soin de séparer.

Désormais, avec le mécanisme qui a été créé par les membres de l’Eurozone, on en sait un peu plus sur ce qui se passe quand un pays ne peut plus soutenir sa dette. D’abord, les marchés se mettront à frémir et le pays sera mis en observation. Tel le marin grec avec les monstres de la mythologie, le pays sera alors pris entre Charybde et Scylla. Charybde: c’est les marchés, les spéculateurs et la mauvaise presse financière. Scylla: c’est le FMI, l’austérité, les années de vaches maigres.


Surtout, et c’est là le point décisif et pourtant, encore une fois, tellement prévisible, ce sera l’Allemagne qui décidera du destin du pays. Bien sûr, rien ne sera fait en face à face: on dira que les marchés ne croient pas à la stabilité fiscale de tel ou tel, que le FMI juge précaires ses finances publiques. L’Allemagne n’aura plus qu’à appuyer sur le bouton. Bien sûr, le truchement du FMI et des autres fétiches de l’économie (la rigueur, les marchés et plans d’ajustement) n’est là que pour faire oublier la violence de la confrontation sous-jacente.

Telle est donc la nouvelle zone euro: finalement la même qu’avant, mais consacrant un peu plus et un peu plus fortement la puissance économique et politique de l’Allemagne. Forcément: en théorie des jeux, celui qui gagne le plus est celui qui a le moins à perdre. Et on imagine bien que l’Allemagne ne souffrirait pas forcément beaucoup de revenir au Deutsche Mark.

La question qui reste posée pour l’avenir, c’est celle de savoir quels calculs feront les pays en difficulté. L’attraction de l’euro sera-t-elle suffisante pour les encourager à avaler toutes les amères potions que les docteurs de l’économie leur prescriront? Ou bien retrouveront-ils le chemin de la dévaluation et du flottement dont l’Angleterre, la Suède montrent qu’ils ne sont, sinon faciles, du moins pas inconciliables avec l’idée de marché commun? En fin de compte, l’Allemagne parviendra-t-elle à amener ses partenaires aux bonnes pratiques fiscales qu’elle affirme affectionner? Ou bien tout cela n’aboutira-t-il qu’à chasser de la zone euro ces Etats membres plus fragiles dont certains affirmaient qu’il n’aurait jamais fallu les y faire entrer? La Grèce partie, demain peut-être le Portugal, voire l’Espagne ou l’Italie? En bout de course, les mêmes causes produisant les mêmes effets, ne va-t-on pas réinventer, peu à peu, le défunt Système monétaire européen?




19/05/2010
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