Lamy «Il y a une dose de xénophobie dans le protectionnisme»
COMMENTAIRES
Maintenant, quand on est contre la mondialisation sans restriction, on est xenophobe.
Et ce type se prétend socialiste. AVec des socialistes comme ça, qui a besoin de libéraux
«Il y a une dose de xénophobie dans le protectionnisme»
http://www.liberation.fr/actualite/economie_terre/327728.FR.php
La quadruple crise - financière, énergétique, alimentaire et climatique - bouleverse-t-elle la marche du monde ?
Ces crises s’interpénètrent, même si elles obéissent à des cycles différents. Elles matérialisent l’interdépendance du monde et illustrent les deux visages de la mondialisation. La bonne nouvelle, c’est qu’il existe désormais des amortisseurs. La crise financière ne s’est pas, pour l’instant, exportée en Chine, en Inde, ou au Brésil ; les subprimes n’ont contaminé qu’une partie du système. La crise alimentaire touche les Philippines ou le Kenya, mais pas les pays développés. En revanche, le changement climatique concerne l’ensemble de la planète, et il n’y a pas de réponse autre que collective.
Les risques sont-ils systémiques ?
Clairement. Les signaux d’alarmes n’ont pas manqué. Pourquoi les produits hors bilan des banques ont-ils échappé à la régulation ? Pourquoi la FAO [Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, ndlr] a-t-elle dénoncé en vain la baisse des stocks et le désinvestissement dans l’agriculture ? Pourquoi la lutte contre le changement climatique se met-elle si lentement en branle alors que les risques pour la planète sont avérés ? Mais il n’y a pas de déterminisme de la crise. Les hommes ont les clés en main. D’un côté, le Programme alimentaire mondial appelle à mobiliser 750 millions de dollars [476 millions d’euros] pour éviter les émeutes de la faim ; de l’autre, les banques centrales injectent des dizaines de milliards de dollars pour stabiliser des banques qui ont joué avec le feu…
Choquant ?
On peut toujours comparer. Un mois de guerre américaine en Irak avec le budget de la lutte contre le paludisme. Le prix d’une bombe nucléaire française avec le coût d’un centre universitaire d’excellence… Quand on passe, comme moi, la moitié de son temps dans les pays en développement, c’est évidemment choquant…
Les fonds souverains, néo-acteurs de la finance mondiale,«dérogent», selon vous, «aux règles du capitalisme chez eux pour les appliquer ailleurs». Pourquoi ?
C’est une évolution du capitalisme. Ces fonds viennent de pays entrés récemment dans le capitalisme, et qui n’en maîtrisent pas tous les codes. Les fonds souverains sont révélateurs d’une période de mutation qui voit arriver de nouveaux joueurs.
Assiste-t-on à une crise décisive du capitalisme ?
Le capitalisme avance par crises, il en connaîtra d’autres. Sa faiblesse, ce sont les bulles qui enflent puis éclatent ; sa force, c’est qu’il n’y a pas d’autre système qui ait pu passer l’épreuve de la réalité. Il est parvenu à trouver en lui les réponses à ces crises. Mais il a besoin de régulation. Je dirige une organisation où le capitalisme a accepté le plus de régulation. Dans les années 30, l’effet domino de pratiques protectionnistes, consécutif à la crise financière, et mêlé à la xénophobie a, parmi d’autres causes, conduit à la guerre mondiale. Je ne connais aucun protectionnisme qui ne porte une dose de xénophobie et de nationalisme. C’est sur le «plus jamais ça» d’après-guerre que s’est bâti le système actuel. Sur fond de règles communes, de réciprocité et d’évolution pragmatique. OMC, FMI et Banque mondiale sont nés de cette matrice…
Avec des résultats contestés et contestables…
La régulation financière n’a pas prospéré autant que la régulation commerciale ! Le concept de base du FMI, les taux de change fixes, a explosé dans les années 70 et n’a pas été remplacé. Le concept de base de l’OMC, lui, a été accompagné d’un concept, d’une volonté politique, plus tard d’une machinerie institutionnelle, les trois conditions sine qua non pour s’émanciper de l’attraction westphalienne de la souveraineté entière des Etats-Nations. C’est l’absence de volonté politique pour réguler la finance qui a freiné le FMI. A l’OMC, on a commencé sans outillage institutionnel, avec trois négociateurs dans un coin lors de la création du Gatt [l’ancêtre de l’OMC, ndlr]. Mais avec une réelle volonté politique…
Et le credo du libre-échange, cher à l’OMC…
Plus exactement la volonté d’ouvrir progressivement les échanges. Une ouverture équilibrée, avec des concessions réciproques. Cycle après cycle, on a traité les obstacles aux échanges. On l’a fait, en fonction de rapports de forces politiques qui ont évolué, longtemps dominés par la «Quad» (Etats-Unis, Europe, Japon, Canada) qui doivent désormais partager le pouvoir avec les pays émergents. En fonction, aussi, de l’évolution des obstacles aux échanges (tarifs douaniers, restrictions quantitatives, normes et standards). A sa naissance, en 1994, l’OMC a mis en place un système contraignant sans précédent dans le système international. Et les pays en développement ont réussi à faire reconnaître la nécessité de discipline en matière agricole, comme les pays développés l’avaient fait pour les produits industriels.
L’OMC est perçue par les ONG et des pays du sud comme une des racines de la crise alimentaire.
Au contraire ! A côté de facteurs conjoncturels, la cause fondamentale tient à l’évolution du mode alimentaire dans les pays émergents. La demande ne colle plus avec l’offre. On peut l’ajuster : il demeure des réserves de productivité importantes dans les pays en développement. Mais la courroie de transmission entre la demande et l’offre, c’est le commerce.
Ce sont donc les plans d’ajustement structurels de la Banque mondiale et du FMI qu’il faut incriminer ?
Les pays d’Afrique subsaharienne ont encore la possibilité d’appliquer des tarifs douaniers de 60 à 80 % pour les produits agricoles dans le cadre de l’OMC. Ils appliquent environ 20 % en moyenne. Leurs marges de manœuvre existent. Certains paient le prix de programmes d’ajustement négociés avec le FMI et la Banque mondiale dans les années 90 en contrepartie de financements indispensables. Heureusement, cette mode a beaucoup évolué. Il est facile de faire des institutions internationales des boucs émissaires, plus délicat de se pencher sur les politiques des pays riches.
Faut-il sortir l’agriculture de l’OMC ?
Le débat a toujours existé entre les Etats qui pensent que l’agriculture, c’est comme les pneus ou les chaussettes, et ceux pour qui ce n’est pas un produit comme les autres. Les premiers sont souvent exportateurs nets (Australie, Brésil), les seconds, importateurs nets (Japon, Suisse, UE). Le débat a évolué avec l’Uruguay round [qui a lancé l’OMC, ndlr] et la volonté des pays du Sud d’y inclure l’agriculture. De la même manière, ils ont mis vingt ans à faire admettre que le textile et l’habillement étaient un produit comme les autres.
Vous voulez «renforcer le système commercial au moyen de règles plus transparentes, prévisibles et équitables». Elles ne l’étaient donc pas ?
Évidemment. La preuve, c’est que les pays en développement, qui représentent trois quarts des membres de l’OMC, veulent obtenir des changements aux règles. Pas question pour eux de sortir l’agriculture de l’organisation. C’est le cœur du cycle de développement de Doha [lancé en 2001, ndlr]. Sortir l’agriculture, cela revient au retour à la loi de la jungle. Bien sûr, des pays comme la France ou la Suisse peuvent, sous conditions, continuer à aider leurs paysans. Mais ce ne sont pas la France et la Suisse qui vont nourrir le monde, c’est l’inverse. Si le raisonnement à Bruxelles ou à Tokyo, c’est qu’on nourrira la planète via des subventions ou des superprotections dans les pays riches, cela ne convaincra guère les pays pauvres.
Encore moins l’OMC ?
A l’OMC, on ne négocie pas des dogmes, mais des règles communes. Eliminer, par exemple, les 20 % des subventions agricoles européennes et américaines les plus perturbatrices pour l’agriculture des pays en développement. Par ailleurs, les droits de douanes sur l’agriculture restent beaucoup plus élevés en moyenne que les droits sur les produits industriels…
Vous pensez aboutir en mai sur le cycle de Doha ?
Je dirais plutôt juin pour un accord sur plusieurs points essentiels pour passer à la conclusion avant la fin de l’année. Je ne suis ni décideur, ni devin. Je suis, selon les moments, sage-femme, chien de berger, monsieur météo ou chef d’orchestre. Mais les conditions politiques et techniques sont enfin réunies sur trois sujets-clés : subventions agricoles, droits de douane agricoles et industriels.Pour boucler l’Uruguay round, il a fallu huit ans. Le Doha Round a commencé en 2001. On travaille par consensus pour changer les règles du jeu international.
L’image de l’OMC a-t-elle changé depuis son fiasco à Seattle, en 1999 ?
La notoriété de l’OMC est encore meilleure que son image. On a travaillé sur la transparence, l’accès aux documents, aux réunions, l’ouverture à la société civile. La jurisprudence a évolué : on n’est plus dans le syndrome pré-Seattle où l’OMC allait couper la tête de toute protection de l’environnement qui aurait empiété sur le commerce! Quand je discute avec les ONG et les associations, personne ne demande plus l’abolition de l’OMC.
La croissance du commerce mondial pourrait se replier à 4,5 % en 2008, contre 5,5 % en 2007.
L’objectif de l’OMC n’est pas de produire des bons chiffres, c’est des échanges plus ouverts et plus justes. La croissance du commerce, c’est un thermomètre qui varie avec la croissance. Et avec un coefficient multiplicateur. Il y a trente ans, le rapport entre croissance et commerce était de 1 à 1,5. Aujourd’hui, il est de 1 à 3 en raison de l’évolution des systèmes de production : un iPod chinois exporté aux Etats-Unis pour 100 dollars, c’est 8 dollars de chinois, 60 dollars pour la carte japonaise, 10 dollars de fabrication en Thaïlande, du transport et du marketing.
Le commerce est-il vraiment soluble dans la nécessité environnementale ?
Il peut même aider beaucoup. Si les Egyptiens devaient produire toutes les céréales qu’ils consomment, il n’y aurait plus une goutte d’eau dans le Nil ! On prend toujours l’exemple des roses kenyanes importées par des magasins britanniques. Mais quand on parle empreinte carbone, il faut voir tous les éléments de la chaîne. Si un Britannique achète des roses néerlandaises chez Tesco et rentre chez lui en 4x4, il est plus dommageable à l’environnement que s’il achète des roses africaines venues en avion et rentre chez lui en métro.
Qu’avez vous appris sur la diplomatie à l’OMC ?
Je suis passé par l’univers solide (l’administration française), l’univers liquide (la communauté européenne) pour rejoindre un univers gazeux (l’institution internationale). Produit de Paris et de son système napoléonien, centralisé ; passé par Bruxelles, vaisseau spatial institutionnel bourré d’énergie, j’ai atterri dans un monde où il est plus difficile d’agréger des molécules. C’est plus lent, aléatoire, c’est un travail de Pénélope. On jongle entre l’effroyablement technique et le déterminant politique. Et quand je parle avec le président du Brésil, ce qui l’intéresse, ce n’est pas de savoir si les produits spéciaux dans l’agriculture sont basés sur la racine carrée des produits sensibles, c’est de savoir si Bush va bouger, si l’Inde avance. L’OMC, c’est les deux.
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