Le mythe de la classe moyenne et la fracture sociale
Fracture sociale : l'enjeu de 2007
http://www.lesechos.fr/journal20060526/lec1_idees/4426008.htm
Le 29 mai 2005, il y a tout juste un an, près de 55 % des électeurs français ont choisi de dire « non » au Traité constitutionnel européen. Parmi eux, 60 % d'employés et 81 % d'ouvriers. Le rejet est massif. Il n'est pas complètement surprenant. Quatorze ans plus tôt, la banquise a commencé à craquer : le 20 septembre 1992, près de 45 % des ouvriers et 40 % des employés ont déjà dit « non » au traité de Maastricht, le grand dessein européen du second septennat Mitterrand. Refus d'une Europe libérale perçue comme menaçante ? Pas seulement. Les milieux populaires sont en train de décrocher du système. A l'époque, certains le perçoivent bien, Jacques Chirac notamment qui, en 1995, fait toute sa campagne électorale sur le thème de la fracture sociale. Un sociologue, Emmanuel Todd, et un économiste, Henri Guaino, ont contribué à lui ouvrir les yeux. Mais la fracture ne se résorbe pas. Au contraire. En 2002, c'est Lionel Jospin qui en est la grande victime. L'électorat populaire l'abandonne et le 21 avril, dans l'ensemble du salariat, Jean-Marie Le Pen arrive en tête des votes devant Jacques Chirac et le candidat socialiste. En 2005, c'est le président de la République qui, à son tour, se retrouve le premier sanctionné par le « non » à l'Europe. Mais, à ses côtés, figurent aussi tous les partis gouvernementaux, l'UMP, le PS, l'UDF qui ont appelé à dire « oui », et plus globalement les élites qui, parfaitement à l'aise dans la mondialisation, refusent de voir le malaise ou plutôt le mal-être des milieux populaires. Et en 2007, qui sera la victime ?
http://www.lesechos.fr/journal20060526/lec1_idees/4426008.htm
Le 29 mai 2005, il y a tout juste un an, près de 55 % des électeurs français ont choisi de dire « non » au Traité constitutionnel européen. Parmi eux, 60 % d'employés et 81 % d'ouvriers. Le rejet est massif. Il n'est pas complètement surprenant. Quatorze ans plus tôt, la banquise a commencé à craquer : le 20 septembre 1992, près de 45 % des ouvriers et 40 % des employés ont déjà dit « non » au traité de Maastricht, le grand dessein européen du second septennat Mitterrand. Refus d'une Europe libérale perçue comme menaçante ? Pas seulement. Les milieux populaires sont en train de décrocher du système. A l'époque, certains le perçoivent bien, Jacques Chirac notamment qui, en 1995, fait toute sa campagne électorale sur le thème de la fracture sociale. Un sociologue, Emmanuel Todd, et un économiste, Henri Guaino, ont contribué à lui ouvrir les yeux. Mais la fracture ne se résorbe pas. Au contraire. En 2002, c'est Lionel Jospin qui en est la grande victime. L'électorat populaire l'abandonne et le 21 avril, dans l'ensemble du salariat, Jean-Marie Le Pen arrive en tête des votes devant Jacques Chirac et le candidat socialiste. En 2005, c'est le président de la République qui, à son tour, se retrouve le premier sanctionné par le « non » à l'Europe. Mais, à ses côtés, figurent aussi tous les partis gouvernementaux, l'UMP, le PS, l'UDF qui ont appelé à dire « oui », et plus globalement les élites qui, parfaitement à l'aise dans la mondialisation, refusent de voir le malaise ou plutôt le mal-être des milieux populaires. Et en 2007, qui sera la victime ?
A lire les travaux de
deux chercheurs, Philippe Guibert et Alain Mergier, que vient de
publier la Fondation Jean-Jaurès (1), la question mérite d'être posée
et sérieusement. Cette « enquête sur les milieux populaires », qui
marie études statistiques et témoignages recueillis au lendemain de la
crise des banlieues, porte un titre très explicite, « le descenseur
social » ou comment la République, au lieu d'être une promesse
d'ascenseur social, est devenue, pour une partie de ses citoyens, une
menace de déclassement. Comment l'Etat, au lieu de protéger contre
cette aspiration vers le bas, semble au contraire l'institutionnaliser
à travers le fonctionnement défectueux des services publics de l'emploi
ou de l'école. Ce drame, on le percevait certes, à de multiples signes
: le taux de chômage très élevé dans certaines parties du territoire,
la crise des banlieues, le poids des fractures territoriales mises en
valeur par l'économiste Eric Maurin, la montée du vote protestataire...
Mais il manquait encore d'une réelle mesure de l'ampleur du phénomène.
L'enquête le fournit. C'est un choc. Un an après le « non » - massif -
au référendum sur le Traité constitutionnel européen, un an avant
l'élection présidentielle de 2007, personne ne pourra plus dire qu'il
l'ignorait.
Ce que l'enquête rappelle, ce
sont d'abord des chiffres, bruts mais parlants : les employés et les
ouvriers en France représentent 15 millions de personnes, 30 % de la
population de plus de 15 ans et plus de la moitié de la population
active. Salaire moyen : 1.300 euros nets par mois. Démographiquement
parlant, électoralement parlant, les milieux populaires sont un groupe
central, le second derrière les retraités (30,3 %), loin devant les
professions intermédiaires (6 millions de personnes), les cadres et
professions intellectuelles (4 millions) et les non-salariés (2,5
millions).
Ce que l'enquête pulvérise,
c'est le mythe unificateur de la classe moyenne. Le concept, né dans
les années 1960, est resté pertinent tout au long des années 1970 :
grâce au mouvement de convergence des modes de vie, il y avait bien en
France un ensemble homogène de citoyens qui partageaient le sentiment
de pouvoir accéder au standard de vie du moment. Ils le pouvaient grâce
à leur travail ou aux études qu'ils faisaient suivre à leurs enfants.
Mais ce mouvement n'a pas survécu aux années de crise. Entre les
employés et les ouvriers d'une part, les catégories intermédiaires et
les cadres d'autre part, le fossé s'est creusé : davantage de chômage -
les ouvriers ont été les premiers touchés par la réduction de l'emploi
industriel - et davantage de précarité - un tiers des salariés des
milieux populaires ne connaissent pas le contrat à durée indéterminée.
Car la tertiarisation de l'économie s'est traduite par l'émergence d'un
nouveau « prolétariat des services » particulièrement exposé à la
précarité.
Autre fossé, celui creusé par
l'échec scolaire : à 15 ans, 59 % des enfants d'ouvriers ont redoublé
au moins une fois contre 17 % des enfants de cadres. La promotion par
le diplôme est pour le moins réduite. Conséquence, « 1 % seulement d'enfants d'ouvriers ou d'employés dans les grandes écoles ».
S'ajoute enfin à cela une ségrégation territoriale, fondée sur le coût
du foncier, qui entretient le « descenseur » social parce qu'elle fige
des situations au lieu de favoriser la mobilité : les milieux
populaires vivent de plus en plus entre eux. Et, à cause de cette
concentration, ils sont, plus que les autres, exposés aux maux de la
société française : le chômage, la précarité, l'échec scolaire, la
violence et les incivilités.
Ce que
l'enquête révèle enfin, à travers les témoignages recueillis, c'est un
nouveau type d'affrontement social : il n'est plus vertical - classe
contre classe, comme la gauche l'a longtemps imaginé - mais horizontal
: la peur du voisin a remplacé l'affrontement avec le « bourgeois » ;
la crainte du déclassement social, le sentiment d'injustice alimentent
la xénophobie et parfois même le racisme. « Je ne suis pas raciste
mais, franchement, ceux qui profitent le plus du système c'est toujours
les mêmes : les familles entières qui vivent d'alloc... » Quant au
discours politique classique, il est inaudible parce qu'assimilé à
l'impuissance de l'Etat à accomplir ses missions d'intégration.
Le
défi pour 2007 est là. Arrêter le « descenseur social ». Faire repartir
la machine dans le bon sens. La prise de conscience a été lente mais
elle progresse. A droite comme à gauche. D'autant qu'il y a des perches
à saisir dans le discours de ceux qui se vivent comme des déclassés :
ils n'en veulent pas tous à la République, affirment les auteurs de
l'enquête. Ils demandent au contraire que la République joue son rôle
en leur permettant de se « construire une vie personnelle et familiale ».
Ce qu'ils revendiquent, ce n'est pas l'assistanat, mais au contraire le
droit de s'intégrer par le travail, par les études. Une dimension que
Nicolas Sarkozy a été le premier à capter depuis 2002 et dont certains
à gauche - Fabius, Strauss-Kahn, Royal - commencent à prendre la
mesure. Autre signe d'une prise de conscience : la question du
logement, celle de l'éducation s'annoncent absolument centrales dans
tous les projets, ce qui était loin d'être le cas en 2002.
Que la droite et la gauche se disputent la reconquête des milieux populaires est une bonne nouvelle. « Recoller les deux France »,
dit Laurent Fabius. Mais, stratégiquement, on voit bien qu'une
hésitation encore demeure. Faut-il noyer le cas des milieux populaires
dans un discours plus général sur la classe moyenne, ce qui a pour
intérêt d'unifier la représentation nationale dans un discours
englobant et positif. Ou bien faut-il admettre que les écarts se sont
tellement creusés depuis les années 1990, que l'ascenseur social ne se
rétablira qu'au prix d'une effort massif et sélectif en direction des
milieux populaires. De tous les débats qui ont affleuré depuis 2002
celui sur la discrimination positive est de loin le plus dérangeant. A
ce jour, il n'a pas été ouvertement tranché.
FRANÇOISE FRESSOZ est éditorialiste aux « Echos ». ffressoz@lesechos.fr http://blogs.lesechos.fr/fressoz
A découvrir aussi
- Régimes spéciaux: l'UMP désavoue Fillon
- Les mutuelles taxées pour soulager l'assurance-maladie
- Pour Alain Minc, les dépenses de santé des "très vieux" sont un "luxe"
Retour aux articles de la catégorie SOCIAL - SANTE - RETRAITES -
⨯
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 81 autres membres