Revue de presse - Savoie

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Le populisme a bon dos

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PAUL FABRA

S'il fallait désigner par une seule appellation les forces à l'égard desquelles l'immense majorité des électeurs du « non » ont voulu exprimer leur méfiance, ou leur hostilité, mondialisation s'imposerait. En conclure que le commun dénominateur des opposants à la « Constitution pour l'Europe » est un commun refus de la « modernité » serait un pas de trop.

Venant principalement des rangs de la droite extrême - surtout, ne feignons pas d'ignorer que celle-ci a d'emblée donné le « la » de la campagne référendaire -, on y a entendu des voix s'élever contre l'expérience de la monnaie unique. L'euro aurait été un fauteur de vie chère. Vraiment ? Il n'est pour rien dans le gonflement, destructeur d'ordre social, de la bulle immobilière ; ou, alors, demandons à la BCE qu'elle remonte ses taux ! Par contre, le grand marché européen sans frontières intérieures n'a pas tenu ses promesses. Nos entreprises sont exposées en première ligne aux rafales de la concurrence sauvage.

Incroyable mais vrai : le projet de Constitution en a rajouté en matière de désarmement, déjà pratiquement total, des gouvernements nationaux face aux courants d'exportations de plus en plus erratiques en provenance de l'extérieur. Contrairement à ce que prétendent les autorités de Bruxelles (le gouvernement français faisait la même chose jusqu'à dimanche dernier), la longue partie III n'est pas une simple compilation harmonisée des traités européens antérieurs - sous-entendu : elle doit rester en vigueur même si la Constitution ne voit jamais le jour ! Le compilateur, la Convention Giscard, a passé... au pilon la dernière parcelle de pouvoir national, étroitement encadré pourtant, dont pouvait disposer un gouvernement pour intervenir en cas de « difficultés économiques » internes causées par l'abaissement forcené des frontières communautaires.

Le traité de Nice (décembre 2000) comporte une disposition en ce sens. L'article 134 y reprend une clause du traité fondateur de 1957, signé à Rome dans un contexte inverse. Le monde était à l'époque en train de reconstituer les bases d'un sain libre-échange, il s'en éloigne tous les jours sous l'effet du système dollar. La clause en question stipule qu'« en cas d'urgence » la Commission peut « autoriser » un Etat membre à prendre « les mesures de protection nécessaires » ; elle est en droit d'en « décider à tout moment » la suppression. Eh bien, on ne retrouve plus trace de cette ultime sauvegarde dans le texte nettoyé par les soins de la Convention (1). Il en est de même d'un autre article relatif à l'instauration, très temporaire et très conditionnelle, d'aides à l'exportation. En effet, un véritable texte-balai !

Il ne s'agit pas de prendre le parti des protectionnistes de toujours. Mais « un développement harmonieux du commerce mondial » (article III-314 de la Constitution transposé lui aussi du traité de Rome) est devenu hors de portée. Le système monétaire adéquat pour le réguler a disparu avec armes et bagages. Ce n'est pas une raison pour se précipiter dans un détestable système autarcique. Ce devrait en être une pour prévoir par étapes le rétablissement d'une préférence communautaire pour favoriser les échanges à l'intérieur du « marché institutionnel ». On l'avait conçu à cet effet. En attendant, de quel droit stigmatiser les électeurs récalcitrants ? Pour sauver l'emploi, ils ont le juste soupçon qu'il faut détourner les entreprises moyennes de l'exemple donné par les entreprises du CAC 40. Elles font en moyenne 85 % de leurs chiffres d'affaires à l'étranger.

Contrairement à ce qu'on a aussi entendu en haut lieu, voter pour la Constitution européenne, c'est par excellence un choix de politique intérieure ! L'expérience de l'euro aurait dû mettre en garde les partisans les plus lucides du fédéralisme, à croire que les Marjolin n'existent plus. Même une monnaie unique, lancée avec grand succès, n'a pas produit l'effet espéré, qui se dérobe toujours : faire surgir de la plus poussée des initiatives d'intégration économique les conditions d'une Europe politique. Nos gouvernants ne tireront-ils jamais argument de la déception pour changer de méthode ?

Le projet de Constitution repose sur l'idée qu'en soi tout élargissement du champ des décisions prises à la majorité est une avancée dans la voie de l'Europe politique. Erreur magistrale, largement partagée par les milieux dirigeants français. Un Jean Monnet avait conscience de la pseudo-évidence. Un tel programme consiste à multiplier les cas où des décisions prises à Bruxelles par une majorité d'Etats doivent obligatoirement être appliquées dans les pays minoritaires (chacun des membres de l'Union le sera un jour). Par hypothèse, ces mêmes décisions s'y trouvent en contradiction avec des lois nationales démocratiquement adoptées. La démocratie nationale est bafouée, on n'en connaît pas d'autre. Après Maastricht, Amsterdam, Nice, le projet de traité fait de nouveaux « progrès » dans cette direction. Et on s'étonne que les électeurs s'en alarment.

Au stade où nous en sommes, tout progrès de l'Europe politique est conditionné par l'extension franche, et non par la contraction, des domaines où l'unanimité est la règle (ce point était soulevé dans notre chronique précédente, plaidant pourtant pour un « oui »). Le risque d'échec est grand, mais il n'y a pas d'autre chemin. Les gouvernements devraient le comprendre. Ils se sont tous retrouvés du même avis pour adopter la Constitution dont ils disent penser tant de bien ! Chacun d'eux a jalousement gardé son droit de veto pour les questions qui les intéressent le plus.

Quel rapport a tout cela avec la mondialisation ? Les institutions internationales, y compris celles de Bruxelles, adoptent spontanément un horizon d'universalité. Leur degré d'influence se mesure principalement au degré d'élimination des frontières. Quelle que soit la hauteur de leurs ambitions, elles ont du mal à les concilier avec le respect proclamé des particularités nationales. De puissantes résistances en résultent. Les préjugés croisés de la politique s'y perdent. En France, les grosses caisses de la droite extrême ont plus d'une fois dominé l'orchestre improvisé et assourdissant du « non ». Il sera difficile de l'ostraciser comme avant. Dans les discours de George Bush Jr., on chercherait en vain le mot de « globalization ». Le succès électoral du nationalisme américain s'explique aussi par ce silence.


07/06/2006
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