Le rôle central de l'industrie de la volaille dans la crise de la grippe aviaire
Qui est le dindon de la farce ?
Le rôle central de
l'industrie de la volaille dans
la crise de la grippe aviaire
GRAIN | Février 2006
Lire le communiqué de presse (2 mars 2006)
Ce n'est pas la volaille
de basse-cour ou la volaille
élevée en plein air qui alimente la vague
actuelle de cas de grippe aviaire sévissant dans
plusieurs endroits du monde. La souche mortelle H5N1 de la grippe
aviaire est essentiellement un problème de pratiques
d'élevage de volaille industrielles. Son
épicentre se trouve dans les fermes d'élevage
industriel de Chine et d'Asie du sud-est et -- alors que les oiseaux
sauvages peuvent transporter la maladie, au moins sur de courtes
distances -- son vecteur principal est l'industrie avicole
multinationale extrêmement automatisée qui envoie
ses produits et les déchets de ses élevages
autour du monde par une multitude de canaux.
Les petits
éleveurs de volaille et la diversité biologique
ainsi que la sécurité alimentaire locale qu'ils
soutiennent souffrent pourtant sévèrement des
retombées de cette crise. Et, pour aggraver les choses, les
gouvernements et les organismes internationaux, suivant les
hypothèses éronnées sur la
manière dont la maladie se répand et s'amplifie,
continuent à prendre des mesures pour imposer le confinement
et poussent à industrialiser davantage le secteur avicole.
Dans la pratique, ceci signifie la fin de l'aviculture à
petite échelle qui fournit la nourriture et les moyens
d'existence à des centaines de millions de familles
à travers le monde. Cet article apporte une nouvelle
perspective sur l'histoire de la grippe aviaire qui conteste les
hypothèses actuelles et remet les projecteurs là
où ils devraient être : sur l'industrie
multinationale de la volaille.
Des hommes dans des combinaisons de caoutchouc blanc et portant des masques à gaz attrappant des poulets dans les villages … Des poulets vendus et abattus sur les marchés de volaille vivante… Des oiseaux sauvages traversant le ciel… Telles sont typiquement les images diffusées par les médias dans leur couverture de l'épidémie de la grippe aviaire. Rares sont les photos représentant la prospère industrie multinationale avicole. Il n'y a pas de prises de vues de ses fermes d'élevage industriel frappées par le virus, et aucune image de ses camions surpeuplés transportant des poulets vivants ni de ses fabriques de produits alimentaires transformant « les sous-produits de la volaille » en alimentation pour poulets.
Le choix des images envoie un message clair : la grippe aviaire est un problème d'oiseaux sauvages et d'élevage de volaille en basse-cour, et non celui de l'industrie moderne. C'est comme ça que l'élément d'information le plus fondamental nécessaire à la compréhension des récents cas de contamination par la grippe aviaire est exclu de la représentation qui en est donnée.
La grippe aviaire n'a vraiment rien de nouveau. Elle coexiste plutôt paisiblement avec les oiseaux sauvages, les élevages de volaille à petite échelle et les marchés de volaille vivante depuis des siècles. Mais la vague de souches extrêmement pathogènes de grippe aviaire qui a décimé la volaille et tué des gens à travers la planète ces dix dernières années est sans précédent -- comme l'est l'industrie multinationale avicole aujourd'hui.
Concentré de poulet
La transformation de la production de volaille en Asie ces dernières décennies est stupéfiante. Dans les pays d'Asie du sud-est où la plupart des cas de grippe aviaire sont concentrés -- la Thaïlande, l'Indonésie, et le Viet Nam -- la production a été multipliée par 8 en seulement 30 ans, passant d'environ 300 000 tonnes de viande de poulet en 1971 à 2 440 000 tonnes en 2001. La production de poulet de la Chine a triplé pendant les années 90 pour passer à plus de 9 millions de tonnes par an. Pratiquement toute cette nouvelle production de volaille a été produite dans des fermes industrielles concentrées à l'extérieur des villes principales et intégrées dans les systèmes de production transnationaux. [1] C'est l'endroit de reproduction idéal pour les souches hautement pathogènes de la grippe aviaire -- comme la souche H5N1 menaçant d'éclater en pandémie de grippe humaine. [2]
Néanmoins, les nombreux articles, rapports et documents de stratégie sortant de l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), l'Organisation mondiale de la santé (OMS) et des organismes gouvernementaux compétents contiennent à peine quelques bribes au sujet des implications de la volaille industrielle dans la crise de la grippe aviaire. Au lieu de cela, ils désignent les basses-cours des fermes, avec des appels à des contrôles plus stricts sur leur fonctionnement et à une plus vaste « restructuration » du secteur avicole. Les grosses compagnies de l'industrie avicole essaient même d'utiliser les cas de grippe aviaire comme « occasion » d'éliminer ce qui reste de la production de volaille à petite échelle. [3] « Nous ne pouvons pas contrôler les oiseaux migrateurs mais nous pouvons sûrement mettre toute notre énergie à fermer définitivement autant d'élevages de volaille de ferme que possible » a déclaré Margaret Say, directrice du Conseil pour l'exportation des volailles et des œufs des Etats-Unis pour l'Asie du Sud-Est.
Les réactions de quelques scientifiques ne sont pas moins scandaleuses. Des chercheurs du Royaume-Uni recherchent des poulets transgéniques résistants à la grippe aviaire. « Une fois obtenue l'autorisation réglementaire, nous pensons que cela ne prendra que quatre à cinq ans pour multiplier assez de poulets et remplacer toute la popualtion du monde, » a déclaré Laurence Tiley, professeur de virologie moléculaire à l'université de Cambridge. [4]
L'élevage à la ferme n'est pas un passe-temps futile pour les populations rurales. C'est le noeud de la sécurité alimentaire et des revenus agricoles pour des centaines de millions de pauvrex ruraux en Asie et ailleurs, fournissant un tiers des protéines consommées pour une famille rurale moyenne. [5] Presque toutes les familles rurales en Asie gardent au moins quelques poulets pour la viande, les oeufs et même l'engrais et c'est souvent les seuls animaux d'élevage que les fermiers pauvres peuvent se permettre. La volaille est par conséquent cruciale pour leurs méthodes d'agriculture diversifiée, tout comme la diversité génétique de la volaille des petites fermes est cruciale à la survie à long terme de l'aviculture en général.
La FAO le sait. Avant la crise asiatique de la grippe aviaire, cette organisation vantait les avantages de la volaille de basse-cour pour les populations rurales pauvres et la biodiversité et avait lancé des programmes pour l'encourager. [6] Mais aujourd'hui, avec la souche H5N1 aux portes de l'Europe de l'Ouest, il est plus commun d'entendre la FAO parler des risques de l'élevage de la volaille en basse-cour. C'est une erreur imprudente. En ce qui concerne la grippe aviaire, l'aviculture diversifiée de petite taille est la solution, pas le problème.
La volaille de basse-cour est une solution, pas le problème
Louise Fresco, Directrice générale adjointe de la FAO [7]
L'argument utilisé contre l'élevage de la
volaille en basse-cour se présente
généralement comme ceci : dans les cours des
fermes, la volaille vagabonde à l'air libre, entrant en
contact fréquent avec les oiseaux sauvages portant le virus
de la grippe aviaire et avec les humains vulnérables
à la transmission. On dit donc que ces fermes
représentent un bouillon de culture où la maladie
circule constamment. Les élevages de volaille à
la ferme sont également frustrants pour les
autorités à cause de leur nature même
-- de petite taille, en plein air, dispersés et informels --
caractéristiques qui rendent difficile la mise en
application de leurs deux mesures de contrôle principales :
l'abattage et la vaccination.
L'argument est largement accepté par les gouvernements dans le monde, et aujourd'hui la plupart des lois et politiques concernant les fermes pour le contrôle de la grippe aviaire cherchent à maintenir la volaille séparée des oiseaux sauvages, comme on peut le voir dans le tableau 1.
Tableau 1: Mesures de contrôle de la grippe aviaire pour la volaille de basse-cour dans quelques pays
Pays |
Mesure |
Autriche |
Interdiction d'élever de la volaille en plein air entre octobre et décembre. L'ordonnance est prolongée de manière illimitée autour des zones où les cygnes infectés par le virus H5N1 ont été trouvés. |
Canada |
Interdiction d'élever de la volaille en plein air dans la Province du Québec. |
Chine |
Le gouvernement provincial de Anhui a décrété que tous les élevages de basse-cour devaient être gardés en cage. Interdiction totale de la volaille de basse-cour à Hong-Kong. |
Croatie |
Interdiction d'élever de la volaille en plein air pendant la période de migration. |
France |
Interdiction d'élever de la volaille en plein air, avec des exceptions. |
Allemagne |
Interdiction d'élever de la volaille en plein air. |
Italie |
Les oiseaux élevés en plein air (15 à 20% du secteur avicole) doivent être gardés sous des filets. |
Pays-Bas |
Interdiction d'élever de la volaille en plein air, avec des exceptions. |
Nigéria |
Interdiction de la volaille de basse cour et des oiseaux dans le Territoire fédéral principal d'Abuja. |
Norvège |
Interdiction d'élever de la volaille en plein air dans huit comtés du sud. |
Slovénie |
Interdiction d'élever de la volaille en plein air. |
Suède |
Interdiction d'élever de la volaille en plein air. |
Suisse |
La volaille doit rester dans des enclos sous abrit. |
Thailande |
Restrictions pour les canards élevés en plein air. Interdiction des marchés de volaille vivante à Bangkok et déménagement des abattoirs vers les banlieues des villes. Collectivisation forcée des petits élevages de volaille dans les provinces centrales. |
Ukraine |
Interdiction de la vente de volaille vivante et des produits issus de la volaille fabriqués par les familles rurales dans la Région autonome de Crimée. L'interdiction ne s'applique pas aux volailles industrielles. |
Viet Nam |
Interdiction de l'élevage de volaille dans les villes et les grandes villes. |
Généralement, ces lois et politiques sont totalement impraticables pour les petits fermiers. En Asie du Sud-Est, les gouvernements, avec l'appui de la FAO, encouragent des fermiers à installer des filets ou des clôtures en bambou pour leur volaille. Mais les coûts, estimés à 50 à 70 US$, sont hors de portée pour les petits agriculteurs en Asie, qui gagnent habituellement moins de 1 US$ par jour, et, dans des endroits comme la Thaïlande, où de telles mesures ont été décrétées, cela a immédiatement obligé les petits fermiers à abandonner la volaille. [8] Même les fermiers biologiques en Suisse abandonnent leur élevage parce qu'ils ne peuvent pas se permettre les coûts supplémentaires pour mettre leurs oiseaux à l'intérieur. [9] En outre, les fermiers biologiques qui ne permettraient pas à leus animaux d'élevage le libre accès à l'extérieur, comme les normes biologiques l'exigent partout autour du monde, risquent de perdre leur certification biologique. Les impacts de ces mesures sont déjà vrais pour les éleveurs même si la grippe aviaire n'est pas présente dans leurs secteurs -- et même s'il n'y a aucune preuve permettant d'affirmer que garder les oiseaux à l'intérieur permet d'arrêter le virus. [10]
Pourquoi les oiseaux sauvages et la volaille ne devraient-ils pas se
mélanger ?
La FAO, Novembre 2005 [11]
En dépit de telles déclarations de la FAO ou de l'OMS, il y a peu de preuves attestant que les oiseaux migrateurs portent et transmettent le virus H5N1 fortement pathogène. Après recherche de la maladie chez des centaines de milliers d'oiseaux sauvages, les scientifiques n'ont que très rarement identifié des oiseaux porteurs de la grippe aviaire sous une forme fortement pathogène. [12] Comme la FAO l'a énoncé très récemment en novembre 2005, « Jusqu'ici, un examen approfondi des oiseaux migrateurs cliniquement normaux dans les pays infectés n'a produit aucun résultat positif pour le virus H5N1. » [13] Presque tous les oiseaux sauvages qui ont été testés positifs pour la maladie étaient morts et, dans la plupart des cas, ont été trouvés près des élevages de volaille domestique infectés. Même avec les cas actuels de H5N1 chez des oiseaux sauvages en Europe, les experts sont d'accord pour dire que ces oiseaux ont probablement contracté le virus dans la région de la Mer Noire, où le virus H5N1 est bien établi dans la volaille, et sont morts alors qu'ils se dirigeaient vers l'Ouest pour échapper aux conditions exceptionnellement froides dans le secteur.
Un incident connu cité à charge contre les oiseaux sauvages a été un cas de contamination massive de H5N1 parmi des oies dans le lac Qinghai, en Chine du Nord. Une théorie a été rapidement construite sur la façon dont le virus a ensuite été transporté vers l'Ouest par les oiseaux migrateurs, au Kazakhstan, en Russie et même enTurquie. Mais les organisations de défense des oiseaux, et notamment l'organisation BirdLife international, ont fait remarquer que beaucoup d'élevages de volaille se trouvaient autour du lac Qinghai. Elles ont également noté qu'il y a une exploitation de pisciculture dans le secteur dont la FAO avait aidé à la construction, et que les fientes de poulet sont fréquemment employées comme nourriture et engrais dans les exploitations de pisciculture intégrée en Chine. [14] En outre, beaucoup de trains et routes relient la région du lac Qinghai aux secteurs où la grippe aviaire s'est manifestée, comme de Lanzhou, origine de la volaille infectée qui a précedemment déclenché l'apparition du virus H5N1 au Thibet, à 2 400 km de distance. [15] Cependant, aucun de ces scénarios différents n'a vraiment attiré l'attention de la FAO ou des autres principales autorités internationales.
La faiblesse principale de la théorie des oiseaux migrateurs est que la diffusion géographique de la maladie ne correspond pas avec les itinéraires et les saisons de migration. « Aucune espèce n'émigre de Qinghai, en Chine, de l'Ouest vers l'Europe de l'Est, » indique le Dr Richard Thomas de BirdLife. « Le tracé des cas de contamination suit les itinéraires des routes principales et des voies de chemin de fer, pas les voies aériennes. Et il est difficile d'expliquer l'absence de cas en Afrique, en Asie du Sud et du Sud-Est et en Australasie cet automne, si les oiseaux sauvages sont les porteurs primaires. » [16] Si les oiseaux migrateurs transmettent la maladie, pourquoi la grippe aviaire n'a-t-elle pas frappé les Philippines ou la Birmanie, et pourquoi a-t-elle été confinée à quelques exploitations commerciales au Laos, quand chacun des trois pays est entouré par des pays infectés par la grippe aviaire ? Même s'il est possible que les oiseaux migrateurs transportent la maladie, comme les cas récents en Europe le suggèrent, il y a des vecteurs beaucoup plus significatifs de transmission qui devraient être au centre de l'attention. Il n'y a simplement aucune bonne raison à fermer les écoutilles et à obliger au confinement de la volaille.
Poulets de basse-cour : vecteurs ou victimes?
Les groupes de défense des oiseaux nous ont aidés à comprendre à quel point les oiseaux sauvages sont les victimes et non les vecteurs de la forme fortement pathogène de la grippe aviaire. [17] Les souches fortement pathogènes de la grippe aviaire se développent dans la volaille, très probablement dans la volaille exposée à des souches plus bénignes qui vivent naturellement dans les populations sauvages d'oiseaux. Dans des exploitations d'élevage de volaille surpeuplées, le virus bénin évolue rapidement vers des formes plus pathogènes et fortement transmissibles, capables de sauter les espèces et de se propager de nouveau chez les oiseaux sauvages, qui sont sans défense contre la nouvelle souche. Dans ce sens, H5N1 est un virus de volaille tuant les oiseaux sauvages, et non le contraire. [18]
Le même argument se tient pour la production de volaille à petite échelle. La grippe aviaire n'évolue pas vers des formes fortement pathogènes dans des élevages de volaille de basse-cour, où la faible densité et la diversité génétique maintiennent la charge virale à des niveaux bas. Les volailles de basse-cour sont les victimes de souches de grippe aviaire qui leur sont apportées d'ailleurs.
Quand des fermes sont séparées de la source de la grippe aviaire fortement pathogène, le virus semble s'éteindre ou évoluer vers une forme moins pathogène.
La FAO et l'Organisation mondiale pour la santé des
animaux
(OIE) signalent qu'il est prouvé que le virus H5N1 s'adapte
au poulet de village de la même manière qu'il
s'est adapté aux canards domestiques et qu'il y a
« de plus en plus de preuves que la survie du virus dans la
volaille des petits exploitants dépend de la
densité des volatiles ». [19] C'est dans les
exploitations de volaille industrielles surpeuplées et
confinées que la grippe aviaire, comme d'autres maladies,
évolue rapidement et se développe (voir
encadré 1).
Encadré 1 : Les leçons de la maladie de Newcastle (peste aviaire) Curieusement, dans toutes les discussions sur la grippe aviaire il est très peu fait référence aux expériences analogues avec d'autres maladies. La maladie de Newcastle (peste aviaire) est déjà devenue endémique dans la plupart des zones d'aviculture et la vaccination contre la maladie est devenue désormais une activité de routine pour les aviculteurs du monde. Tout comme la grippe aviaire, Newcastle existe sous des formes pathogènes bénignes et virulentes. Dans sa forme endémique, la maladie de Newcastle n'est pas vraiment un souci ; elle ne tue généralement que quelques poussins dans un groupe infecté et n'entraîne qu'occasionnellement la mort à grande échelle, lorsque les oiseaux sont prédisposés à la maladie. Le virus devient un problème majeur lorsqu'il entre dans les élevages industriels. Selon les chercheurs Alders et Spradbrow, « dans les grandes unités commerciales avicoles, le virus s'introduit dans les élevages par une faille dans la sécurité alimentaire [par la nourriture, les personnes, les œufs, les véhicules], par l'introduction d'oiseaux infectés dans les fermes multi-âges, ou par voie aérienne provenant d'une propriété voisine. Une fois que quelques oiseaux sont infectés, la propagation aux autres volatiles se fera principalement par voie aérienne. De grands élevages produiront de grandes quantités de virus aériens, qui peuvent se répandre vers les autres élevages avec les mouvements de l'air. » [20] C'est dans ce contexte que la maladie peut muter dans une forme hautement pathogène et décimer des élevages entiers. En 1998, la maladie s'est déclenchée en Australie, tuant 10 000 poulets et a mené à l'abattage de 100 000 autres. Ce cas de contamination a pris les autorités au dépourvu, tant les stricts contrôles sanitaires avaient apparemment tenu le pays à l'abri des souches hautement pathogènes depuis 60 ans. « Nous avions pensé qu'elle avait été introduite de l'étranger », a déclaré Jeff Fairbrother, le Directeur exécutif de la Fédération australienne de la viande de volaille. Cependant, les recherches ultérieures menées par des virologistes ont montré que la souche endémique s'était introduite dans l'élevage industriel et avait muté sous une forme virulente. [21] Les Autorités australiennes n'ont pas répondu en s'attaquant aux volailles ou aux oiseaux sauvages potentiellement porteurs de la maladie et elles ne se sont pas contentées des déclarations des industriels portant sur la « biosécurité » de leurs exploitations. Elles ont rendu la vaccination obligatoire pour les fermes possédant 500 volailles et plus. Qu'en est-il des volailles de basse-cour? Selon les brochures d'information du gouvernement sur les foyers d'épidémie: « Non. Une forme très bénigne de virus de la peste aviaire est présente dans tous les Etats. Ce qui signifie que la souche ne peut muter en une forme virulente ; elle ne constitue donc aucune menace pour les oiseaux. Les foyers de maladie existant sur le continent entre 1998 et 2002 ont été provoqués par la mutation d'une souche endémique bénigne (connue sous le nom de virus V4) en une souche virulente du virus. Tous les preuves disponibles montrent que, pour qu'une telle mutation se fasse, il faut un grand nombre d'oiseaux dans une petite zone pour « générer » le processus de mutation du virus. En termes simples, un petit nombre d'oiseaux ne peut pas générer assez de virus pour déclencher le processus de mutation. » [22] |
Ce sont les liens entre la production familiale et le
système industriel de production de volaille -- dans les
deux sens -- qui sont si problématiques. Les cours de ferme
ou basses-cours peuvent agir comme des réservoirs, comme la
FAO le dit, hébergeant la grippe aviaire hors d'atteinte des
autorités jusqu'à ce qu'elle réussisse
à pénétrer par la suite dans des
exploitations intensives de volaille. Là, la maladie se
développe et peut évoluer vers des formes plus
fortement pathogènes pouvant potentiellement se transmettre
entre les humains. [23] Les basses-cours sont
également souvent
intimement liées au système industriel, par les
marchés, les intrants (comme les poussins d'un jour et
l'alimentation) et même par les services
vétérinaires. L'occasion est toujours
là pour que la grippe aviaire fortement pathogène
passe du système industriel aux élevages de
volaille à petite échelle ou vice-versa.
Pourquoi le Laos est-il une exception?
La raison principale pour laquelle le Laos n'a pas souffert des manifestations généralisées de grippe aviaire comme ses voisins est qu'il n'y a presque aucun contact entre les élevages de volaille à petite échelle, qui produisent presque tout l'approvisionnement domestique de volaille, et ses exploitations commerciales, qui sont intégrées à des compagnies étrangères de volaille. Selon le ministère de l'agriculture des Etats-Unis :
La production de volaille au Laos est principalement une production de petits paysans, qui élèvent des espèces locales de poulets élevés en plein air à côté de leurs habitations, pour la viande et les oeufs, la plupart du temps consommés par la famille ou vendus localement pour en tirer un revenu... Un village moyen a autour de 350 poulets, canards, dindes et cailles élevés en petites basses-cours dispersées parmi les maisons du village où il y a environ 78 familles, et où ce sont les femmes qui sont principalements responsables des élevages. Des canards, des dindes, et les cailles sont également élevés, avec quelques oies en quantité négligeable dispersées dans le pays. Les quelques exploitations commerciales du pays (moins de 100 au total, dont 89 situées près de Vientiane) approvisionnent les zones métropolitaines avoisinantes. … La biosécurité et l'utilisation de la technologie sont minimales, avec peu de soins vétérinaires disponibles que ce soit de la part du privé ou du gouvernement. [24]
En d'autres termes, le Laos abonde en poulets élevés en plein air, mêlés aux canards, aux cailles, aux dindes et aux oiseaux sauvages. Ce sont principalement des poulets indigènes, qui couvrent plus de 90% de la production totale de volaille du Laos. Si l'élevage en plein air et les oiseaux migrateurs sont responsables de la propagation de la grippe aviaire, on devrait s'attendre à ce que la maladie fasse rage à travers le pays. Ceci ne s'est pas produit. En fait, les basses-cours familiales du pays ont été à peine touchées.
Selon le même rapport du Ministère de l'Agriculture des Etats-Unis :
Un total de 45 cas de contamination ont été confirmés, avec 42 cas qui se sont produit dans des entreprises commerciales (fermes d'élevage et de ponte), dont 38 à Vientiane, la capitale et principale ville du Laos. Cinq autres cas de contamination se sont manifestés dans la province de Savannakhet (dans une ferme produisant des œufs et dans de peits élevages) et deux autres dans la province de Champasak (dans des productions d'œufs). Les petits propriétaires qui ont trouvé la grippe aviaire dans leurs élevages étaient localisés près d'élevages commerciaux atteints par la maladie.
Le Laos a efficacement enrayé la maladie en fermant la frontière à la volaille de Thaïlande et en éliminant les poulets dans les exploitations commerciales. Ils ont été moins concernés par la maladie se répandant à partir des fermes affectées parce que, à la différence de la Thaïlande et du Viet Nam, les petits paysans au Laos ne se fournissent pas auprès des grandes compagnies en poussins de un jour et en alimentation pour la volaille. Et, en dehors de la capitale, la volaille est produite et consommée localement. La production de volaille est également plus dispersée au Laos. Elle est moins dense, moins intégrée et moins homogène -- caractéristiques qui empêchent la propagation de la grippe aviaire et son évolution vers des formes plus pathogènes.
L'expérience du Laos suggère que la clef de la protection de la volaille élevée en basse-cour et des personnes contre la grippe aviaire est de les protéger contre la volaille industrielle et ses produits dérivés. Cela est relativement facile à faire dans un pays comme le Laos où il y a peu de fermes industrielles, peu d'utilisation d'intrants extérieurs et essentiellement des systèmes alimentaires locaux. Il est beaucoup plus difficile d'extirper le système industriel du système de production de volaille à petite échelle en Thaïlande, en Indonésie ou en Chine, où les deux systèmes sont très intimement liés par la géographie, les marchés et la production. Dans ces pays, la « restructuration » de la production de volaille par des moyens qui soutiennent les petites exploitations exige un changement de direction à 180 degrés pour s'écarter d'une production industrielle intensive, intégrée et globalisée. Ce n'est pas, cependant, ce que la FAO et les gouvernements ont à l'esprit quand elles parlent de « restructuration ».
« Restructurer » la production de volaille
Derrière l'attaque contre les élevages de volaille en basse-cour, il y a un programme plus sinistre. Sur la première page de la Stratégie globale pour le contrôle progressif de la grippe aviaire de la FAO et de l'OIE, on peut lire:
Il devient également de plus en plus évident que beaucoup de réservoirs de l'infection peuvent être trouvés dans le monde en voie de développement, en particulier parmi les animaux d'élevage des zones à faibles revenus; c'est à dire parmi les ruraux pauvres. Ceci entraîne des risques sérieux pour le secteur des animaux d'élevage, qui est confronté à une demande en expansion rapide de protéines animales alimentaires dans beaucoup de pays en voie de développement, liée à l'urbanisation croissante, à l'augmentation des revenus disponibles, et qui fait passer l'alimentation d'une alimentation à base de féculents à une alimentation à base de protéines. Il y a là des opportunités considérables pour la croissance économique, en particulier dans les zones rurales, à tirer de ce processus, communément appelé 'Révolution de l'élevage'.
Qu'est devenu le soutien apporté de longue par la FAO à l'aviculture diversifiée? Cette organisation est soudainement préoccupée par la protection de l'industrialisation de la production de volaille (par exemple la « révolution de l'élevage ») contre les risques venus de l'aviculture à petite échelle. Elle a même commencé à parler ouvertement d'une industrie de la volaille restructurée du futur en Asie qui aura:
• des marchés plus concentrés, avec des producteurs moins nombreux et plus importants
• des zones de production de volaille où l'infrastructure pourra être concentrée
• une compartimentation pour les pays d'exportation, organisée de telle manière qu'un cas de contamination mineur d'un compartiment ne puisse presque pas affecter les exportations
• les marchés de volaille vivante déplacés aux périphéries des villes, avec moins de commerçants autorisés, un abattage centralisé et un grand nombre de points de vente dans les supermarchés des grandes villes
• moins de petits producteurs
• et où il sera obligatoire d'enfermer toute la volaille dans des endroits clos. [25]
Ce serait la mort des petits élevages de volaille en Asie.
Seulement pour le Viet Nam, la FAO admet que la mise en place de
« zones de production » aurait comme
conséquence la perte de revenus pour un million de petits
producteurs commerciaux. [26] Malheureusement, la
plupart des
gouvernements ne semblent que trop désireux d'adopter une
telle restructuration.
Les précédents rapports de la FAO allaient dans un sens différent. « Les principaux bénéficiaires de la montée subite de la demande [pour la viande en Asie] sont les producteurs et les transformateurs à grande échelle, urbains, et disposant de gros capitaux et les consommateurs urbains des classes moyenne et privilégiée. La majorité écrasante des pauvres n'en bénéficie pas, » a déclaré Hans Wagner, Responsable du département de production et de la santé animale du bureau Asie-Pacifique de la FAO. [27] Aujourd'hui, les pauvres de l'Asie ne semblent plus avoir d'importance.
Encadré 2 : La grippe aviaire et la biodiversité de la volaille Tout comme la « Révolution verte », la soi-disant « Révolution de l'élevage » qui a déferlé sur l'Asie ces dix dernières années a entraîné une rapide érosion génétique. Les systèmes de production locaux ont été remplacés par des systèmes intégrés qui reposent sur une seule source de stock génétique parental et les petites exploitations ont été encouragées à abandonner leurs races locales pour des races à haut rendement qui ne sont souvent pas adaptées aux conditions locales. Il en résulte que nombre de petits éleveurs dépendent désormais d'un nombre très limité d'espèces modernes qui ont été développées pour des exploitations industrielles. « Beaucoup de pays en développement considèrent encore les espèces provenant des pays industrialisés comme étant plus productives, bien qu'ils rencontrent des difficultés à les reproduire dans des conditions environnementales souvent difficiles », déclare Irène Hoffmann, Responsable du service de la production animale de la FAO. « Développer des ressources génétiques animales à la ferme dans leur environnement de production est l'approche la plus efficace pour maintenir une diversité génétique, [et pour apporter] une garantie contre de futures menaces telles que la famine, la sécheresse et les épidémies. » [28] Il est plus facile et moins coûteux de s'occuper d'espèces locales lorsqu'elles sont adaptées à l'environnement et peuvent chercher leur propre nourriture. D'ailleurs, elles seront en général plus rentables auprès des consommateurs qui paieront un supplément pour un goût et des caractéristiques physiques supérieurs. [29] Des éleveurs et un certains nombre d'agences et d'organisations, y compris la FAO, ont pris des mesures pour inverser la tendance à la perte de la diversité avicole. Cette année, la FAO devrait diffuser son Rapport sur l'état des ressources zoogénétiques dans le monde, dans lequel elle réitérera son engagement à soutenir la diversité génétique à la ferme, le savoir traditionnel et les pratiques agricoles visant à la maintenir et à l'améliorer. [30] Au milieu de tout ce tapage autour de la grippe aviaire, l'organisation est toutefois restée silencieuse sur la diversité génétique. Il n'a été fait aucune déclaration sur la manière dont l'uniformité génétique contribue au problème, et rien n'a été dit sur la manière dont les poulets indigènes pourraient résister à la maladie, même s'il existe des rapports sur des volailles locales qui ont survécu au virus H5N1. [31] Apparemment, il n'y a pas non plus eu de réflexion sur le fait que l'abattage de masse pourrait détruire la diversité aviaire locale. Joseph Domenech, Inspecteur vétérinaire en chef de la FAO déclare que tout doit être mis en œuvre pour protéger la diversité aviaire locale, particulièrement en Asie, région d'origine des poulets domestiques. Toutefois, quand on le questionne sur les programmes d'abattages de masse que la FAO encourage à faire promulguer par les gouvernements en pleine flambée de grippe aviaire, il admet que l'abattage est « inconsidéré » et que la FAO ne fait rien pour changer la situation. [32] |
Les usines à produire de la maladie
En septembre 2004, les autorités cambodgiennes ont
rapporté cependant un autre cas de grippe aviaire dans l'une
des quelques exploitations commerciales du pays. Cette fois, les
autorités ont identifié la source de la
contamination: des poussins fournis à la ferme par Charoen
Pokphand (CP), la compagnie thaïe qui est le plus grand
producteur de volaille et d'aliments pour volaille de l'Asie. Les
manifestations de la grippe aviaire au Cambodge ont
été généralement
confinées au secteur commercial du pays. Et toutes les
exploitations commerciales du Cambodge sont liées d'une
manière ou d'une autre au CP, que ce soit par des contrats
ou par l'achat des intrants comme les poussins d'un jour et
l'alimentation que le CP importe de Thaïlande. [34]
Le CP a nié les accusations cambodgiennes, mais au Laos, les cas de grippe aviaire se sont limités aux élevages de volaille important l'alimentation et les poussins de Thaïlande. Cela semble être aussi le cas en Birmanie, où il a été rapporté un cas de contamination d'une fermeindustrielle aprovisionnée en poussins par Charoen Pokphand. [35]
Le CP est en fait presque partout présent là où la grippe aviaire s'est déclarée. En Thaïlande, base de l'empire de Charoen Pokphand, et pays où il a introduit pour la première fois ses systèmes de production verticalement intégrés, il est lié par contrats de production à environ 10 000 éleveurs, contrôlant la chaîne entière de production, de l'alimentation aux ventes de volaille au détail. C'est aussi le plus grand fournisseur de poussins de chair en Chine, avec un établissement d'incubation dans la province de Lanzhou infestée par la grippe aviaire qui produit neuf millions de poussins par an. [36] En Indonésie, le CP domine l'industrie d'alimentation pour la volaille et est le fournisseur du numéro un en poussins pour les élevages de poulets de chair et de poules pondeuses. Le CP contrôle également la moitié du secteur avicole industriel au Viet Nam, où, en février 2004, l'armée a été mobilisée pour abattre 117 000 oiseaux infectés par la grippe aviaire à l'une des fermes de Charoen Pokphand dans la province d'Ha Tay. [37] Le CP est même important en Turquie, l'un des derniers centres de grippe aviaire déclarée, où il contrôle autour de 12% de la production de la volaille du pays via ses filiales. [38]
Cela ne veut pas dire que Charoen Pokphand soit l'unique
responsable de
la crise actuelle de la grippe aviaire. Bien que la compagnie soit au
premier rang des suspects, le problème va plus loin que
Charoen Pokphand : c'est un problème
systémique. Le commerce international de la volaille est
avant tout un commerce qui échappe à tout
contrôle. Voir le nombre de poulets vivants vendus dans
certains pays d'Europe de l'Est récemment touchés
par des cas de grippe aviaire dans le Tableau 2. Dans la seule Ukraine,
presque 12 millions de poulets vivants ont été
importés en 2004. Les nombres réels sont presque
certainement plus élevés, étant
donné le marché noir bien connu de volaille
circulant dans la région. [39] La
Société
Hastavuk en Turquie gère le deuxième plus
important établissement d'incubation d'Europe, avec une
capacité de production de plus de 100 millions d'oeufs
à couver par an, dont une partie substantielle est
exportée vers Europe de l'Est et le Moyen-Orient. Les oeufs
à couver sont bien connus pour propager la grippe aviaire. [40]
Cependant, en dépit des risques certains, il n'y a
pratiquement pas de réglementation ni de surveillance du
commerce de la volaille et des oeufs dans la région.
Tableau 2 : Exportations et importations de poulets vivants (2004)
Pays |
Exportations |
Importations |
Roumanie |
260 000 |
16 178 000 |
Russie |
1 351 000 |
11 724 000 |
Turquie |
4 155 000 |
1 821 000 |
Ukraine |
1 802 000 |
11 827 000 |
Source: FAO Stat, FAO, Rome, 2005.
Le commerce interne de volaille se présente de la
même manière. Les médias ont
été très rapides à sauter
sur les oiseaux migrateurs quand on a
révélé les cas de grippe aviaire dans
un village isolé de la Turquie orientale. Mais plus tard,
une fois que les villageois ont commencé à donner
leur version de l'histoire, il est apparu qu'il y a un grand
élevage industriel tout près envoie
régulièrement des camions à la ville
pour vendre la vieille volaille au rabais. Un camion de ce type avait
été expédié deux semaines
avant que le cas de contamination ait été
découvert. [41] La FAO admet que le
commerce de volaille
diffuse le virus H5N1 en Turquie et relève même la
pratique courante des entreprises commerciales de volaille qui envoient
par camion d'importants chargements de volaille de qualité
médiocre aux fermiers pauvres. [42]
Le commerce mondial de l'alimentation pour la volaille, un
autre
facteur dans cette pagaille
généralisée, est dominé par
les mêmes compagnies. Un des ingrédients ordinaire
dans l'alimentation industrielle des poulets, et dans la plupart de
l'alimentation animale industrielle, est composé par les
« déchets de
volaille ». C'est un euphémisme pour
désigner tout ce qu'on trouve sur le sol des
élevages industriels: matières
fécales, plumes, litière, etc. [43] La viande de
poulet, sous l'étiquette « farine de sous-produits
animaux », entre également dans l'alimentation
industrielle des poulets. [44] L'OMS déclare
que la grippe
aviaire peut survivre dans des fèces des volatiles
jusqu'à 35 jours et, dans une mise à jour
récente à sa fiche d'information sur la grippe
aviaire, elle mentionne l'alimentation comme milieu possible pour la
diffusion de la grippe aviaire entre les fermes. [45] Les
autorités russes désignent l'alimentation comme
l'une des principales sources suspectées d'être
à l'origine du cas de contamination par le virus H5N1 dans
un gros élevage industriel dans la province de Kurgan,
où 460 000 oiseaux ont été
tués. [46] Cependant, globalement,
rien n'est fait pour
renforcer les réglementations ou la surveillance de
l'industrie alimentaire. Au lieu de cela il semble souvent que c'est
l'industrie, et non les gouvernements, qui dirige les
opérations.
Encadré
3 : De la pandémie et des brevets
Le virus H5N1 a été pour la première fois signalé et identifié lorsqu'il a fait ses premières victimes à Hong Kong en 1997. quelques années plus tard, en 2003, des décès similaires ont été signalés au Viet Nam et ensuite en Thaïlande. L'année suivante, il tuait des personnes plus loin enIndonésie, en Chine et au Cambodge. Jusqu'à la mi-2005, la grippe aviaire était généralement considérée comme un problème « asiatique ». A l'époque, l'Organisation mondiale de la Santé prit la considérable décision politique d'annoncer au monde que nous étions au bord d'une pandémie humaine mondiale qui pourrait tuer 150 millions de personnes. Comme prévu l'effet fut spectaculaire. La grippe aviaire est essentiellement une maladie de la volaille. L'OMS compte moins de 200 cas humains confirmés de H5N1 et moins de 100 décès, la plupart dûs au contact avec des poulets infectés. La grande inquiétude vient de ce que le H5N1 est appelé à muter en une forme facilement transmissible d'humain à humain. Après tout, les virus grippaux se reproduisent de manière incroyable et anarchique, générant de constantes mutations. Si cela doit arriver, les conséquences pourraient être immédiates et graves, car on suppose que la plupart des humains n'ont pas d'anticorps contre le H5N1. La déclaration de l'OMS a déclenché pour la première fois des inquiétudes concernant la grippe aviaire en Occident. En un rien de temps, les projecteurs se sont fixés sur le géant pharmaceutique suisse Roche. Roche possède la licence exclusive pour fabriquer le Tamiflu (le nom commercial de l'oseltamivir) un antiviral passant pour avoir des effets réduisant la propagation de la grippe aviaire chez les humains. Il a été développé et breveté par Gilead Sciences, une compagnie pharmaceutique américaine qui a donné à Roche le droit exclusif de fabriquer la pilule. Sous les feux attentionés des grands médias, le Tamiflu -- et Roche -- sont soudainement devenus la réponse à la pandémie potentielle. Il n'est cependant pas sûr du tout que Tamiflu soit d'un grand secours si la pandémie humaine se déclenchait. L'efficacité du Tamiflu est hautement contestée, et entraîne également des effets secondaires importants. Il réduit effectivement les symptômes de la grippe, mais pris à faible dose il pourrait en fait agraver l'extension de la maladie par une rapide émergence des souches résistantes et/ou parce les personnes malades, se sentant mieux, se méfieraient moins de ne pas infecter les autres personnes. Le risque de faible dosage est bien réel. La raison en est qu'il existe un pénurie de Tamiflu à l'échelle mondiale. La version de Roche est fabriquée avec de l'acide shikimique fait à partir de cosses de badiane de Chine, dont les meilleures ne proviennent que de quatre provinces de la Chine du Sud-Ouest. (Un bon 90% de sa production est acheté par Roche). Et Roche s'est montré peu enclin à accorder des sous-licences sur les droits de produire le médicament. L'autre raison est que Roche recommande l'usage prophylactique du Tamiflu pour la grippe humaine, bien qu'il ne soit pas efficace. Au Viet Nam, de nombreuses personnes prenant du Tamiflu sont mortes du H5N1 parce que le médicament n'est efficace que si vous le prenez dans les 18 heures suivant l'infection. Faire de l'argent sur le dos de la misère Le Tamiflu a cependant été une vraie mine d'or pour ses propriétaires. Le brevet appartient à Gilead alors que Roche en possède la licence exclusive. Les ventes de Tamiflu de Roche -- un médicament qui ne se vendait presque pas avant la déclaration de l'OMS -- ont grimpé jusqu'à 400% en 2005 tandis que le bénéfice des royalties de Gilead, provenant du brevet, augmentaient de 166%. Aux Etats-Unis, l'industrie pharmaceutique est intimement liée aux plus hautes sphères du gouvernement. En novembre 2005, Bush a annoncé un ensemble de mesures internes pour combattre une éventuelle pandémie grâce à une enveloppe de 1,4 milliards de dollars US destinés à acheter du Tamiflu. Ce fut un cadeau non seulement pour Roche et Gilead, mais également pour des personnes comme le Secrétaire à la défense Donald Rumsfeld, membre du conseil d'administration et ancien président de Gilead. Il possède actuellement environ entre 5 et 25 millions de dollars US du capital de Gilead, faisant de lui sans doute le plus gros actionnaire. D'autres personnes devraient profiter de cette politique : les membres du conseil d'administration de Gilead : George Schultz, ancien secrétaire d'Etat américain du conseiller de campagne de Bush ; Etienne Davignon, vice-président de Suez-Tractebel et président honoraire de Bilderberg, et John W Madigan qui, entre autres choses, siège au Conseil industriel pour la défense, un comité consultatif des entreprises au Ministère de la défense américain. Par delà les inévitables théories du complot, la plus grande controverse vint de la manière dont Roche gérait la question des licences. La pression pour autoriser les pays pauvres à fabriquer ou acheter des formes génériques de l'oseltamivir a été grande : quelque 150 fabricants de génériques et des gouvernements ont demandé une sous-licence. Roche, pris entre le désir de garder une bonne image de marque pour ses relations publiques, d'une partet ses propres actionnaires d'autre part, n'a pas cédé, malgré la pression de Gilead, des gouvernements, et même de Kofi Annan, qui a surgi comme par enchantement pour annoncer qu'il ne voulait pas répéter la crise des médicaments contre le SIDA. Finalement, Roche a décidé d'assouplir sa position sur certains points et d'accorder quelques sous-licences, mais le mal était fait. Encore une fois, le conflit entre les intérêts commerciaux exclusifs, protégés par les brevets, et l'intérêt supérieur social de la santé publique que les gouvernements sont censés servir, a été mis à nu. |
« Faites-nous confiance » : Ce que dissimulent
l'industrie et les gouvernements
En Indonésie, fin 2005, avec la grippe aviaire qui faisait rage à travers le pays et qui tuait des gens, le Ministre de l'Agriculture a dit aux médias que les 11 plus grandes fermes de volaille utilisaient certaines lois pour bloquer les inspections de leurs exploitations. Le CP, naturellement, a nié les accusations. « Aussi longtemps qu'elles suivent nos procédures, nous leur faisons toujours bon accueil » a déclaré Sudirto Lim, porte-parole de CP Indonésie. [47] Les petits fermiers n'ont évidemment pas le loisir de dicter les procédures d'inspection -- les autorités surgissent simplement dans leurs maisons et saisissent leurs poulets, qu'elles soient bienvenues ou pas.
En Thaïlande, l'industrie et le gouvernement ont été au courant des manifestations de la grippe aviaire des mois avant que la pression publique ait finalement forcé le gouvernement à reconnaître les cas de contamination par la grippe aviaire en janvier 2005. L'industrie a profité de ce laps de temps pour nettoyer ses stocks à fond et s'occuper de ses bénéfices. Les ouvriers travaillant à l'usine de volaille de Centaco près de Bangkok ont dit aux chercheurs Chanida Chanyapate et Isabelle Delforge que dans le mois qui a précédé la reconnaissance officielle des cas de contamination par le gouvernement, on leur a demandé de travailler beaucoup plus d'heures supplémentaires que d'habitude. « Avant novembre, nous traitions environ 90 000 poulets par jour. Mais à partir de novembre et jusqu'au 23 janvier, nous avons dû tuer environ 130 000 poulets chaque jour. » Ils ont vu beaucoup de poulets malades arriver dans l'usine et on leur a ordonné de les conditionner, même s'ils étaient déjà morts de la maladie. « Nous n'avons pas su quelle maladie c'était, mais nous avons compris que la direction se dépêchait de traiter les poulets avant le passage d'une inspection vétérinaire. » [48]
En attendant, en Ukraine, le gouvernement, conformément à l'avis de ses grandes compagnies de volaille, a refusé de mettre en application les programmes de vaccination ou les quarantaines obligatoires dans la région de la Crimée, où les cas de grippe aviaire font rage depuis septembre 2005, en raison de la perte potentielle pour les exportations vers l'Union européenne. Le gouvernement a au commencement ignoré ce que rapportaient les villageois, qui ont commencé se plaindre des décès mystérieux de volaille en septembre 2005, et ensuite, quand il a fini par agir, il a rassuré le public en lui disant que la grippe aviaire s'était seulement déclarée dans des basses-cours des fermes et que le poulet des élevages industriels était complètement sûr. Immédiatement après, on a appris que trois cas s'étaient déclaré dans des élevages industriels en Crimée. [49]
L'industrie de la volaille la proclamé la « biossécurité » de ses exploitations. Son refrain est qu'il est facile d'isoler ses systèmes intégrés de la grippe aviaire. Mais à maintes reprises, la grippe aviaire a pu s'infiltrer et a causé des contaminations massives dans desélevages industriels : en Australie (1976, 1985, 1992, 1994, 1997), aux Etats-Unis (1983, 2002, 2004), en Grande-Bretagne (1991), au Mexique (1993-1995), à Hong Kong (1997), en Italie (1999), au Chili (2002), aux Pays-Bas (2003) et au Canada (2004), pour ne citer que quelques exemples en dehors de ceux de la crise récente de la grippe aviaire.
En 2004, un certain nombre de cas de contamination se sont produits dans plusieurs élevages de poulet ultra-modernes au Japon. L'une de ces fermes, parmi les plus grandes du pays, n'a pas prévenu les autorités quand ses poulets ont commencé à mourir en grand nombre. Au lieu de cela il a envoyé un contingent de 15 000 oiseaux à l'abattoir plus tôt que prévu. Le gouvernement n'a découvert ce cas de contamination que grâce à une source anonyme. [50] La même chose s'est produite en Ukraine où l'un des élevages industriels touché par la grippe aviaire en Crimée a attendu une semaine pour prévenir les autorités, ne prenant aucune mesure de sécurité pendant ce temps. [51] Et plus récemment en Inde, les autorités locales ont indiqué que le virus H5N1 s'était déclaré pour la première fois et s'était répandu à partir d'un élevage industriel possédé par la plus grande compagnie de volaille du pays. Le gouvernement du district fit adresser à la va-vite un avertissement aux établissements d'incubation de Venkateshwara pour, selon la Loi de police de Bombay, « source de nuisance publique et de menace pour la santé » mais la compagnie continue de clamer que ses locaux sont sains et de nier son implication dans la propagation de la maladie. [52]
Encadré 4 : Quand la grippe aviaire frappe l'Afrique Lorsqu'en février 2006 une manifestation du
virus
H5N1 a été confirmée au Nigeria, la
FAO et une grande partie de la communauté scientifique
internationale ont encore une fois montré du doigt les
oiseaux migrateurs, même si l'exploitation industrielle
infectée n'était pas à
proximité de zones humides migratoires et qu'il n'existait
aucune preuve d'infection ou de morts en série parmi les
oiseaux sauvages dans la zone. [
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