Le tunnel de 57km du Lyon-Turin coûterait 2,2 milliards à la France, qu’en est-il ?
De nombreuses informations circulent sur le Lyon-Turin, nous proposons d’examiner ici le coût du Tunnel Transfrontalier à partir des textes officiels. Pour en connaître le budget il est nécessaire de connaître le périmètre de l’investissement ce qui est chose facile puisque la France et l’Italie se sont engagées par voie de traité que la loi d'orientation des mobilités n'a pas remis en cause.
1- Projet Lyon-Turin : les infrastructures à construire ?
L’engagement consiste à : (article 1 de l’accord du 29 janvier 2001)
« Les Gouvernements français et italien s'engagent par le présent accord à construire ou à faire construire les ouvrages de la partie commune franco-italienne, nécessaires à la réalisation d'une nouvelle liaison ferroviaire mixte marchandises-voyageurs entre Lyon et Turin et dont la mise en service devrait intervenir à la date de saturation des ouvrages existants »
Pour le commun des mortels, la partie commune est le tunnel transfrontalier. C’était vrai en 2001 mais le nouvel accord ratifié change radicalement la donne et définit la partie comme suit : (article 4 de l’accord du 30 janvier 2012)
- En France, d’une section de 33 kilomètres environ franchissant le massif de Belledonne et comprenant les tunnels à double tube de Belledonne et du Glandon
- D’un tunnel à double tube de 57 kilomètres environ entre Saint-Jean-de-Maurienne, en France, et Suse- Bussoleno, en Italie, creusé dans les Alpes, sur les territoires français et italien et incluant trois sites de sécurité à La Praz, Modane et Clarea
- D’un tunnel à double tube d’environ 19,5 kilomètres situé sur le territoire italien entre Suse et Chiusa S. Michele
L’accord conclu en 2012 a rendu indissociable la réalisation du tunnel transfrontalier des sections française et italienne, respectivement de 33km à la charge de la France et 19,5 km à la charge de l’Italie. L’engagement réciproque des deux pays défini en 2012 est bien supérieur au seul tunnel transfrontalier.
Par conséquent, l’engagement financier ne se résume pas au seul financement du tunnel mais doit s’apprécier pour la totalité de l’engagement réciproque : la France est exposée pour environ 5 milliards de plus pour la réalisation à sa charge des tunnels Belledonne Glandon (33 km) et l’Italie pour environ 3 milliards de plus pour la réalisation à sa charge des tunnels en Italie (19,5 km).
L’engagement des deux pays n’étant pas le même sur leurs territoires respectifs, le traité en a tenu compte dans le financement du tunnel transfrontalier.
2- Qui paie quoi ?
Pour équilibrer les financements de chacun des deux États, il a été décidé dès le 5 mai 2004 que l’Italie ayant moins d’infrastructures à financer sur son territoire, financerait une part plus importante du tunnel transfrontalier.
Un nouvel accord sur la répartition du financement a été conclu le 27 septembre 2011, qui prend en compte la nouvelle définition de la partie commune et l’article 18 de l’accord du 30 janvier 2012 a formalisé une répartition inégale :
« Déduction faite de la contribution de l’Union européenne …. la clef de répartition retenue s’établit à 42,1 % pour la Partie française et à 57,9 % pour la Partie italienne, dans la limite du coût estimé au stade du projet, certifié par un tiers extérieur. Au-delà de ce coût certifié, les coût sont répartis à parts égales entre la Partie française et la Partie italienne »
La plus forte participation financière de l’Italie, alors que seuls 12 km du tunnel transfrontalier sont construits sur son territoire, se justifie par l’engagement de la France, en contrepartie de ce financement supérieur, de construire 33 km de tunnel à sa charge alors que l’Italie n’est engagée qu’à la construction de 19,5km à sa charge.
Ces dispositions de financement inégal rendent l’engagement des 33km d’accès français, indissociable de celui du tunnel transfrontalier. En construisant le tunnel de base la France se trouve engagée financièrement à la construction de la partie française de la « partie commune ».
Un problème surgit ici car l’enquête publique du tunnel transfrontalier a été réalisée en 2006 alors que la France n’était engagée qu’à construire le tunnel transfrontalier. L’analyse socio-économique se trouve donc profondément modifiée par l’engagement pris qui est très supérieur à celui de ce seul tunnel.
3/ l’évaluation de 8,6 milliards pour le tunnel transfrontalier est-elle réaliste ?
La question mérite d’être abordée avec précision car au-delà de ce coût la répartition entre les deux États est de 50/50. (Article 18 de l’accord du 30 janvier 2012)
Le coût annoncé de 8,6 milliards pour le tunnel transfrontalier a été évalué par la société Tractebel qui déclare sur son site Internet avoir travaillé pour Lyon-Turin Ferroviaire de 2002 à 2006 et de 2009 à 2013. L’évaluation ne peut donc pas être qualifiée d’indépendante ni même impartiale.
L’analyse coût-bénéfice qui conclut à un résultat positif, présentée au parlement européen en avril 2015 a été réalisée par Monsieur Oliviero Baccelli. Il se trouve que ce dernier a omis de préciser aux députés européens venus l’écouter qu’il avait été nommé administrateur de Lyon-Turin Ferroviaire/ TELT le 23 février précédent.
Il ne pourra pas être reproché à qui que ce soit de douter de la qualité de ces études (évaluation du coût, évaluation de la rentabilité socio-économique) à la lecture de la définition de la notion de conflit d’intérêt telle que la définit le ministère de la justice :
« Un conflit d’intérêts naît d’une situation dans laquelle une personne employée par un organisme public ou privé possède, à titre privé, des intérêts qui pourraient influer ou paraître influer sur la manière dont elle s’acquitte de ses fonctions et des responsabilités qui lui ont été confiées par cet organisme »
Il est d’autant plus légitime de s’interroger sur ces études que le 2 décembre 2014, Hubert du Mesnil estimait le coût du tunnel transfrontalier à 12 milliards et l’Italie vient d’estimer le coût du tunnel à 12,3 milliards.
L’expérience du tunnel du Saint Gothard en Suisse renforce encore l’interrogation : long de 57 km sous les Alpes, ouvert en 2016, il a coûté 11,3 milliards €, pour la même longueur (57km contre 57,5km), bi-tube, avec une section de plus petit diamètre.
4/ La France construira-t-elle la contrepartie à laquelle elle s’est engagée ?
Le Conseil d’Orientation des Infrastructures a exclu les accès français du projet Lyon-Turin dans ses 3 scenarios pour les programmes d’investissement pour la simple raison que la programmation des investissements s'arrête en 2032 et que l'examen des accès a été reporté à après 2038 notant ainsi page 77 de son rapport concernant les accès du Lyon-Turin « les caractéristiques socio-économiques apparaissent à ce stade clairement défavorables »
https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/2018.02.01_rapport_coi.pdf.
En respectant la déclaration de la Ministre et le texte du projet de loi « LOM », il n'y a pas d'investissement prévu. Selon la LOM, le gouvernement a choisi de suivre le 2ème scenario et donc de ne pas inscrire dans le programme des investissements la contrepartie donnée pour obtenir un financement supérieur de l’Italie pour le tunnel transfrontalier.
Pendant les débats de la LOM, il a été mentionné de demander un nouvel examen du calendrier d'investissement par le COI, la possibilité d'une euro-vignette (+50% sur les péages alpins) et d'un appel à la banque européenne d'investissement pour financer le projet; ces pistes ne sont ni validées, ni chiffrées et les accès du Lyon-Turin sont bien absents du plan pluriannuel d'investissement chiffré de la LOM votée en Juin 2019.
A contrario, le COI a opté, comme toutes les administrations depuis 1998, pour l'utilisation de la ligne existante entre Dijon et St-Jean de Maurienne, qu'il recommande de moderniser pour un montant estimé à 700M€.
Dès lors, en l'absence d'engagement chiffré de l'état dans son budget à l'horizon 2032, la France s’expose à une demande légitime de l’Italie qui pourra faire valoir le non-respect de l’engagement de la France de construire 33km de tunnel à ses frais pour demander de rééquilibrer le financement du tunnel transfrontalier
5/ L’engagement de la France pour les 33km n’est pas tenable.
Un autre problème surgit concernant l’enquête publique de 2012 portant sur les accès français au tunnel transfrontalier : celle-ci ne prévoit pas de tunnels à double tube pour les 33 km mais seulement un seul tube. L’engagement donné par la France viole donc la charte de l’environnement qui prévoit la consultation préalable de la population (article 7 de la charte de l’environnement préambule de la constitution).
« Article 7. - Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement. »
CONCLUSION : L’engagement financier de la France pour le tunnel transfrontalier est donc bien supérieur aux 2,2 milliards annoncés.
Ce montant ne tient en effet pas compte de l’engagement de contrepartie, il sous-estime le coût du tunnel et ne tient pas compte non plus du financement de la France au budget de l’Union Européenne qui la conduit à financer l’Europe pour obtenir une subvention.
En application du traité, le financement auquel la France doit faire face est de l’ordre de 7 à 8 milliards d’euros au minimum.
PS: Le montant ci-dessus n'est qu'une partie du projet en France; il manque environ 100 km de LGV d'accès au tunnel transfrontalier entre l'agglomération de Lyon et l'entrée du tunnel de Belledonne, dont plusieurs tunnels (Avressieux, Chartreuse, Epine) et le raccordement au contournement ferroviaire de l'agglomération Lyonnaise (CFAL) dont la seule part revenant au projet Lyon-Turin a été chiffrée à plus de 900 M€, financement pris en compte dans l'enquête publique du CFAL.
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