Revue de presse - Savoie

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Le vrai et le faux dans la crise géorgienne

Le vrai et le faux dans la crise géorgienne

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Entre la guerre des mots et des images, la vérité est la première victime du conflit.

Stéphane Bussard, Collaboration: Natacha Stroot
Lundi 25 août 2008


La chaîne de télévision russe ORTa donné le ton il y a quelques jours au journal de 21 heures. Elle montrait comment les chaînes de télévision occidentales, Sky News et CNN en tête, ont utilisé les images des bombardements géorgiens de la capitale ossète Tskhinvali pour illustrer les attaques russes de la ville géorgienne de Gori. Le Nouvel Observateur consacre son dernier numéro à la revanche russe. A côté d'une photo qui montre une maison incendiée par des miliciens ossètes, le titre dit tout: «Géorgie, sous la botte de la Russie». La une de l'hebdomadaire L'Express n'est pas moins explicite: «Pourquoi la Russie nous menace». D'emblée, une question affleure: qui est l'agresseur? Directeur de Pervyi Kanal, la première chaîne de TV russe, Konstantin Ernst explique qu'il a fallu deux ou trois jours pour qu'un analyste américain reconnaisse sur CNN que c'était Tbilissi qui avait commencé la guerre. Guerre des mots et des images. Les médias parlent de nouvelle Guerre froide. Mais qu'en est-il vraiment?

• La guerre était-elle une surprise?

De nombreux facteurs démontrent que ce n'en était pas une. Dans le New York Times, l'analyste militaire Thom Shanker le prouve. En juillet, la Russie a mené un vaste exercice terrestre dénommé «Caucase 2008» au nord de la frontière géorgienne. «L'exercice correspondait exactement à ce que les Russes ont fait en Géorgie quelques semaines plus tard», souligne l'expert. Parallèlement, plus de 1000 conseillers militaires américains étaient en Géorgie pour un exercice en juillet que Tbilissi a décrit comme une opération axée sur la lutte antiterroriste. Les deux armées étaient manifestement prêtes à en découdre. Directeur du Centre pour la gouvernance internationale à l'Institut de hautes études internationales et du développement à Genève, Daniel Warner* a formé des diplomates et près de 300 fonctionnaires géorgiens pendant douze ans pour le compte de la Confédération. Il est persuadé d'une chose: «Avec autant de conseillers militaires américains, vous n'allez pas me faire croire que Washington a été surpris par la réplique russe. Fait d'ailleurs étonnant: le responsable de l'aide humanitaire au sein de l'administration américaine est le ministre de la Défense. On peut douter que les avions qui ont apporté l'aide à Tbilissi ne contenaient que de la nourriture. C'est encore une provocation pour Moscou.»

• Quelles ont été les prémices de la guerre?

Quand Mikhaïl Saakachvili arrive au pouvoir en janvier 2004, son objectif premier est la réunification du pays en ramenant l'Abkhazie, l'Ossétie du Sud et l'Adjarie dans l'ensemble national géorgien. Daniel Warner souligne un fait édifiant: «Il y a moins d'un an, le président Saakachvili a rebaptisé le Ministère de résolution des conflits en Ministère de la réintégration (territoriale).» Pour l'Adjarie, peuple formé de Géorgiens à majorité musulmane, l'offensive pacifique lancée par le président est fructueuse et Moscou ne bronche pas. Au printemps 2004, une rencontre entre Saakachvili et Vladimir Poutine se passe plutôt bien. Le président russe propose à Tbilissi un contrat de voisinage que son homologue géorgien refuse. Le temps joue toutefois contre la Géorgie avec l'autonomie de facto des deux républiques indépendantistes d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud. Contrairement à la croyance, les Ossètes du Sud n'ont jamais eu de passeports géorgiens. S'ils se voient remettre un passeport russe, c'est pour pallier la disparition de leur passeport soviétique. Les Russes n'agissent pas par idéalisme pour défendre les minorités du Caucase. Leur objectif vise surtout à éviter l'encerclement de l'OTAN. Ils utilisent les deux républiques pour faire contrepoids à Tbilissi. «Pour reprendre le contrôle des deux territoires, explique Eric Hoesli*, spécialiste de la Russie et du Caucase, les Géorgiens ont commencé une guérilla systématique.»

En été 2007, les tensions entre Moscou et Tbilissi s'intensifient. Les autorités géorgiennes dénoncent le tir d'un missile russe sur leur territoire. «Une mission internationale formée de représentants polonais et baltes a été dépêchée et a confirmé qu'il s'agissait bien d'un missile russe. Quand une délégation de Moscou est venue vérifier les faits, les Géorgiens avaient fait exploser le missile en question sur lequel figuraient des inscriptions en anglais...», relate Eric Hoesli qui s'étonne que les conclusions de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) n'aient jamais été publiées. A contrario, Moscou a toujours nié avoir abattu des drones géorgiens au-dessus de l'Abkhazie. «C'était grotesque de le nier. Des vidéos montraient clairement des avions russes», souligne Eric Hoesli.

• Les forces d'interposition russes étaient-elles des troupes d'occupation déguisées?

Les forces russes d'interposition sont aujourd'hui présentées par le pouvoir géorgien et par une partie des Occidentaux comme des belligérants. Elles se sont pourtant constituées sur mandat de l'ONU, puis de la Communauté des Etats indépendants. Andreas Gross, qui a été un observateur des dernières élections présidentielles russe et géorgienne pour le compte du Conseil de l'Europe, le répète: «Les Géorgiens ont tiré sur des forces de maintien de la paix russes. Si ces forces étaient avant tout russes, nous en portons une part de responsabilité. Les Nations unies auraient dû insister sur le caractère multinational de ces forces d'interposition. Mais aujourd'hui, on ne peut pas reprocher aux Russes d'avoir été quasiment les seuls à répondre à l'appel onusien.»

• La guerre des mots et des images

Andreas Gross ne s'étonne pas de l'utilisation tendancieuse qui est faite de l'information: «La vérité est la première victime de la guerre.» Mais les Géorgiens et les Occidentaux ne sont pas les seuls à orienter l'information. Que ce soient dans les prémices du conflit ou durant les hostilités, les autorités russes ne se sont pas privées de «canaliser» l'information. Quand les télévisions russes présentaient le président géorgien Mikhaïl Saakachvili, il ne parlait que l'anglais, prouvant qu'il est proche des Américains. Il mordillait aussi sa cravate devant l'écran. Dans la manipulation des informations, les Russes ont su en faire bon usage à l'interne. Au plan international en revanche, leur maîtrise des médias a été moins convaincante. Pour Andreas Gross, la Géorgie a très bien été «éduquée par la droite américaine». Elle a ressorti des slogans très prégnants de l'Histoire pour mener une propagande totale destinée à discréditer Moscou: Poutine c'est Hitler, la non-intervention des Occidentaux équivaut à l'abandon des Sudètes à l'Allemagne nazie en 1938 à Munich. La Russie a à son tour recouru à Munich pour avertir qu'il ne fallait pas laisser l'agresseur (la Géorgie) impuni. La surenchère verbale et la propagande brouillent une lecture objective des faits. Dans une récente tribune, les philosophes français André Glucksmann et Bernard-Henri Lévy contribuent au flou général: «Qui a tiré, cette semaine, le premier? La question est obsolète.» Eric Hoesli s'insurge contre ce relativisme qui travestit les faits.

• Le conflit oppose-t-il une autocratie russe à une démocratie géorgienne?

La Russie est majoritairement présentée comme l'autocratie qui menace la démocratie géorgienne. Andreas Gross nuance: «Les deux scrutins ont été organisés de façon autoritaire. Dans les deux cas, on est loin de la démocratie. L'OSCE a publié deux rapports à l'issue de l'élection géorgienne de janvier 2008. Le premier était trop positif. Le second a apporté de sérieux correctifs, mais il n'a pas attiré l'attention des médias occidentaux.» Pour influer sur la perception des deux acteurs, les compétences ne sont pas égales. «La Russie, poursuit le membre du Conseil de l'Europe, n'a aucune sagesse dans l'utilisation de la force (hardpower). Elle a, par sa riposte brutale, reproduit des images évoquant les interventions soviétiques à Budapest en 1956 et à Prague en 1968. Elle a revitalisé les anciennes angoisses liées à la Guerre froide. Elle doit donc se débarrasser de la mentalité héritée de l'ère soviétique pour montrer qu'elle est digne de confiance.»

Ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov ne dit pas le contraire: «Nous sommes des enfants en matière d'utilisation des médias [...], mais nous étudions les leçons données par nos aînés (américains) qui ont accumulé une longue expérience d'utilisation du quatrième pouvoir.» Pour Dominique Wolton, spécialiste de l'information et de la communication, le conflit russo-géorgien montre que rien n'a vraiment changé en termes de couverture médiatique: «La professionnalisation de l'information, la complémentarité des médias n'ont pas suffi, au cours de cette guerre, à réduire les stéréotypes, les vieilles représentations de la Russie.» Et le directeur de recherche du CNRS d'ajouter: «Si la mondialisation de l'information ne permet pas d'appréhender davantage la planète dans sa complexité et pousse à une analyse mécanique voire dichotomique, alors elle n'a pas produit les effets escomptés. De plus, les médias n'ont pas l'habitude d'une crise qui dure et qui, par conséquent, ne répond pas à leur logique.»

• Pourquoi la perception de la Russie peine à changer?

«Les Russes n'ont jamais compris pourquoi l'OTAN n'a pas été dissoute avec l'effondrement de l'URSS et pourquoi leur pays est toujours perçu dans une continuité avec l'Union soviétique. Ce sentiment est encore renforcé par l'installation d'un bouclier antimissile en République tchèque et en Pologne», insiste Andreas Gross. Si la perception de la Russie peine à changer, Daniel Warner a son explication. Aux Etats-Unis, les russologues deviennent de plus en plus rares. On a oublié l'école russe de la diplomatie. Du coup, la perception est dictée par la vision de responsables issus de la Guerre froide. Prenez Condoleezza Rice. Soviétologue, elle n'a pas joué de rôle pour consolider les liens entre Moscou et Washington. Un jour on lui demandera: «Who lost Russia? (Qui a perdu la Russie?)»

• Les conséquences de la guerre de l'information?

Eric Hoesli est convaincu que le conflit en Géorgie augure de nouveaux rapports de force au sein même de l'Union européenne. Car il y a les pays qui veulent des liens étroits avec la Russie, dont l'économie est très complémentaire, à condition que Moscou accepte les valeurs européennes. Et il y a ceux qui, avec les Etats-Unis, misent sur la division de l'UE face à la Russie. Dominique Wolton n'est pas moins inquiet: «La grande différence d'avec la Guerre froide, c'est que les Russes reçoivent désormais les médias occidentaux. Cela risque d'accentuer encore leur méfiance envers l'Occident.»


25/08/2008
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