L’Université pour tous? Non!
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Les pieds dans le plat.Bonne conscience d'une éducation BAC + 5 pour tous, implicitement condescendante vis à vis de boulots de qualification "inférieure", mythe du monde de la connaissance et post industriel, contre le monde réel qui a besoin de toutes les qualifications.
L’Université pour tous? Non!
http://www.letemps.ch/Page/Uuid/704a1388-cd5b-11de-9f85-8b0d8ae1b681|0Sociologue français de l’éducation, François Dubet analyse la proposition des Académies suisses des sciences, d’élever fortement la part d’universitaires. Il estime qu’il serait mieux de qualifier davantage certains emplois que de prôner l’université pour tous
Septante pour cent des jeunes ayant un diplôme du niveau supérieur: la proposition des Académies suisses des sciences (LT du 5.09.09) n’en finit pas de faire débat. Elle reproduit pourtant des prescriptions répétées chaque année par l’OCDE. Sociologue, professeur à l’Université Bordeaux II et directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, François Dubet s’est spécialisé dans la question de l’égalité des chances (L’Ecole des chances, Seuil, 2004). Récemment invité par le PS genevois en campagne, il livre son analyse.
Le Temps: Une forte augmentation du nombre de diplômés, est-ce une évolution inexorable?
François Dubet: Cela relève d’un dogme, d’une croyance. Imposée par l’idée de la société de la connaissance: il faut élever le niveau de formation de la population car nous n’avons pas de pétrole, etc. En outre, et cela me paraît encore plus discutable, les politiques prétendent que c’est fatalement bon pour l’égalité des chances dans la société. Or, certains pays du tiers-monde ont ouvert des pléthores d’universités, et les diplômés se retrouvent chauffeurs de taxis, tandis que le tiers de la population ne sait pas lire. La qualité d’un système de formation ne se juge pas sur le nombre d’étudiants et de savants, mais sur le niveau moyen, de base, des jeunes à 16 ans.
– Il faudrait donc cesser de montrer l’université comme horizon ultime?
– Le problème réside dans l’inflation scolaire. La machine à produire des diplômes, qui crée des aspirations élevées, et la machine à produire des emplois correspondant à ces aspirations, ne fonctionnent pas du tout au même rythme. Voyez en France: nous avons des milliers d’étudiants dans la rue tous les deux ans parce qu’ils se rendent compte que la promesse qu’on leur a faite ne tient pas. Il faut donc des formations diversifiées.
– La Suisse le fait d’une certaine manière, avec la formation professionnelle…
– Oui, ou comme en Allemagne. Leur système est scandaleusement inégalitaire, mais ils ont longtemps compensé par une formation professionnelle de très bonne qualité, ce qui permet de récupérer des jeunes. Je pourrais le dire autrement: dans tous les pays occidentaux, l’un des rares gisements d’emplois est constitué par les services à la personne. On ferait peut-être mieux de qualifier davantage ces emplois que de prôner l’université pour tous.
- Que des parents veuillent le meilleur pour leur enfant, n’est-ce pas compréhensible?– Nous terminons une recherche aux résultats surprenants. Plus les gens croient que l’école est habilitée à répartir les individus dans les positions sociales, donc plus ils croient à la méritocratie scolaire – plus les inégalités scolaires sont fortes. Pour une raison très simple: si vous pensez que le destin de votre enfant se joue totalement à l’école, vous aurez intérêt, dans les stratégies que vous déploierez, à creuser les inégalités, en cherchant les soi-disant meilleures écoles, en ne voulant pas de minorités dans la classe, en payant des cours privés, etc.
– Et ainsi, on installe les inégalités?
– Oui. Car contrairement à l’idée reçue, l’école n’est pas favorable à l’égalité des chances. Le type d’intelligence requis conforte les classes favorisées. L’école transforme des inégalités de naissance illégitimes en inégalités légitimes de mérite scolaire. Comprenez-moi, je ne suis pas un sociologue gauchiste, à peine un social-démocrate modéré. Je constate simplement ce forcing sur l’école. Tout se passe comme si l’on partait du principe qu’on ne peut pas transformer le travail dans les entreprises, ni égaliser les conditions sociales: il ne reste donc qu’une seule carte, le volontarisme scolaire.
– Pourquoi en est-on arrivé là?
– Pendant 50 ans en Europe, on a dit que la justice sociale consistait à réduire les inégalités de positions sociales. Et grosso modo, on l’a fait: on a pris de l’argent aux riches, on l’a basculé vers les moins riches, et on a resserré l’éventail. Depuis 20 ans, avec la mondialisation, il y a eu basculement idéologique. On fait une autre promesse: «Si vous êtes courageux, bosseur à l’école, vous vous en sortirez.» Il n’est plus grave que la mère fasse des ménages, il faut que son enfant soit capable de sortir de cet état – parce qu’on a renoncé à mieux payer les gens qui font les ménages. C’est pour cette raison que dans tous les pays d’Europe, la gauche est dans un épouvantable pétrin: car ce nouveau discours – on ne touche pas aux inégalités, mais les meilleurs peuvent s’en sortir – a toujours été la tasse de thé de la droite…
– L’OCDE affirme qu’un pays ayant de nombreux universitaires aura de meilleures finances publiques, voire une meilleure santé publique…
– Oui, l’OCDE mène un très fort lobbying. Ce raisonnement revient à dire que plus les individus font des études longues, mieux ils seront payés, plus ils seront vertueux et en bonne santé, moins ils seront racistes. Or, non. Le contre-exemple nous est fourni par les Etats-Unis. Près de 70% des jeunes y font des études supérieures, et ce pays a des inégalités sociales abominables, un niveau de civisme faible, un taux de criminalité extrêmement élevé. Ce qui fait du bien aux individus ne fait pas forcément du bien à la société – ou alors, il faudrait que tous les individus en retirent du bien.
– L’OCDE a néanmoins le mérite de bousculer les gouvernements…
– Les gens de l’OCDE, qui sont animés de bonnes intentions, ne font qu’appliquer leur méthode de benchmarking. Et ils sortent toujours la Finlande, la Norvège, la Suède et le Danemark. Donc, les Ougandais, les Français, les Suisses s’entendent dire: devenez Suédois! Certes, cela a des effets positifs: je viens d’un pays qui a affiché une vanité ridicule, PISA l’a secoué. Mais il faut comprendre la logique complète de l’OCDE: si on la suit, on se retrouve dans une situation à la grecque, avec une jeunesse surqualifiée, et en colère. A mon sens, il vaut donc mieux mettre l’effort en bas du système qu’en haut. Et ne pas s’en tenir qu’à l’école
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