Revue de presse - Savoie

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Nicolas Sarkozy est-il digne de la fonction ?

Nicolas Sarkozy est-il digne de la fonction ?

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Par Philippe Bilger. Après l'affaire Pérol, la palinodie mexicaine du couple présidentiel repose la question de l'éthique, mais surtout de la capacité de l'hôte de l'Elysée à se conduire comme le président de tous les Français.

Au nom du citoyen inconnu, parce que ce billet prétend avec une totale immodestie refléter l'humeur de tous. J'aurais pu choisir pour titre «une indignation démocratique», mais quelle outrance polémique, ou «un conseil d'ami», mais quelle familiarité choquante à l'égard du président de la République. Je persiste donc dans ma volonté d'écrire en tentant d'exprimer ce qui me semble être un point de vue général tel que je peux le percevoir ici ou là, dans les cercles officiels (quand ils osent la parole) et/ou dans les réunions privées.

Un président de la République n'est pas digne de cette fonction si, profondément et dans sa pratique quotidienne, même dans ses moments de détente où son image continue d'importer à ses concitoyens, il ne se veut pas président et responsable de tous les Français. Ce ne sont pas évidemment ses choix politiques qui permettront la réalisation de ce consensus, de cette unité qui évite à une société de se déchirer pour l'essentiel comme pour l'accessoire, pour le conjoncturel comme pour le fondamental.

La balance républicaine

Il est naturel, et sain d'une certaine manière, que les orientations et l'action gouvernementales clivent et suscitent opposition et résistance. C'est la manifestation même de l'identité et de la force d'une politique que les contradictions qu'elle appelle et auxquelles elle survit. Ce qui crée un lien légitime, valable pour tous, c'est la morale, c'est la qualité du regard que le président porte sur la fonction présidentielle et donc l'adhésion de la communauté nationale à l'allure de son président dans l'exercice de ses fonctions, dans les coulisses officieuses aussi bien que dans sa large part officielle.

L'éthique renvoie à une esthétique du rôle présidentiel si superbement et évidemment assumé qu'il comblerait, sur ce plan, partisans ou adversaires de sa politique. Le président, ainsi, demeure vraiment au-dessus d'une mêlée dans laquelle, se dédoublant, il a aussi un titre éminent à intervenir en qualité de gouvernant suprême le temps d'un quinquennat. La morale n'est pas un luxe, une surabondance inutile, un ornement superfétatoire mais le fond même du tissu d'un pays, d'abord caractérisé par la relation d'estime et de confiance que malgré TOUT les citoyens veulent continuer à cultiver avec LEUR président, même s'ils ont voté hier pour son adversaire.

Sur ce registre, rien n'est jamais vraiment dérisoire et tout compte dans la balance républicaine. C'est aussi parce qu'il s'agit de morale qu'un magistrat a le droit d'écrire sur elle puisque naturellement le respect de l'éthique, le souci de l'élégance dans l'apparence comme pour le profond concernent l'ensemble des citoyens et que ce n'est pas «faire» de la politique que se placer sur ce terrain mais exercer une vigilance et une exigence qu'on devrait souhaiter de la part de tous. Cela ne conduit pas, en effet, à privilégier un camp contre l'autre mais à signifier, toutes tendances confondues, ce qu'on espère en démocratie de son président - pour pouvoir demeurer fier de la fonction qu'il exerce en notre nom. Cet orgueil civique, la gauche comme la droite ont besoin de l'éprouver. S'abandonner exclusivement aux empoignades partisanes me semble un dévoiement par rapport à ce qu'une présidence doit présenter d'universel. Il faut pouvoir respecter qui on a choisi, qui on n'approuve pas. Il y a le flot et l'écume.

Une polémique tout sauf imbécile
Comment échapper à cette réflexion sur la charge présidentielle après les équivoques péripéties mexicaines du récent voyage du président de la République et de son épouse ? Je les prétends, en dépit de leur caractère apparemment futile dans l'immensité des problèmes du monde et de la crise française, préoccupantes et révélatrices d'un comportement qui définitivement semble avoir mis au rancart le souci des apparences : une exigence à inscrire pourtant au fronton de la démocratie au quotidien. L'affaire Pérol  ne cesse pas de montrer, et de plus en plus gravement, avec quelle désinvolture un tantinet méprisante l'Etat considère l'Etat de droit comme un empêcheur d'agir selon son bon plaisir (Médiapart). L'épisode mexicain nous conduit à une interrogation sur le rapport que le chef de l'Etat entretient avec le concept de pompe républicaine. Celui-ci signifie que l'onction démocratique et la dignité qui doit nécessairement en découler ne s'effacent pas au prétexte que le président aurait fermé les portes sur son univers personnel. Certes, le président est une personne mais la personne du président, durant tout son mandat, est condamnée à demeurer étrangère à tout ce qui serait de nature à obscurcir la puissance et la légitimité du vote qui un jour l'a porté au pinacle. Il n'y a jamais de repos ni de rémission pour la majesté en mouvement. En pleine lumière ou rideaux tirés. Ou, alors, on ne s'engage pas dans une voie où une forme d'austérité et de rigueur est indissociable du pouvoir qui vous a été dévolu et dont on a évidemment accepté les contraintes consubstantielles à la qualité de son exercice. Bref, cette polémique est tout sauf «imbécile» comme le dit trop rapidement Georges Tron, villepiniste de l'UMP. Ce propos, que je n'ose qualifier, montre à quel point la classe politique, dont Tron est un acteur très présent, ne comprend rien à l'intégrité et à la nouveauté radicale qu'elle représenterait aujourd'hui.

Nicolas Sarkozy et son épouse ont passé les nuits du 6 et 7 mars dans un superbe complexe hôtelier : El Tamarindo beach and Golf Resort. Celui-ci est géré par le beau-fils d'un milliardaire mexicain à la réputation que d'aucuns qualifient de sulfureuse, Roberto Hernandez Ramirez, ami du président Felipe Calderon. Il semblerait que les frais de ce séjour se soient élevés, sécurité comprise, à la somme non négligeable de 50 000 euros. Le dimanche 8 mars, le couple présidentiel a retrouvé le président Felipe Calderon. Le lendemain, un dîner officiel a été offert par ce dernier et Roberto Hernandez Ramirez y assistait (Le Parisien, Marianne 2, le site du Nouvel Obs, Le Monde).

Qui a payé les frais du séjour privé ? Au fil des informations contradictoires, sous la pression notamment d'un opposant socialiste mexicain qui a exigé des informations des services de la Présidence,  on peut tenir pour acquis aujourd'hui que le chef de l'Etat mexicain n'a rien déboursé mais que des «entrepreneurs» ont réglé les dépenses personnelles de «notre» couple présidentiel. En l'occurrence, ces entrepreneurs paraissent se réduire à un seul : Roberto Hernandez Ramirez.

Qui peut dénier à Nicolas Sarkozy le droit de prendre deux jours de repos, même dans un cadre somptueux et somptuaire ? Certes, on peut préférer le goût du confort, qui est bien élevé, à l'obsession du luxe, qui est vulgaire. Mais au prétexte que la crise existe et qu'elle mord la plupart des situations familiales et professionnelles, ce serait vraiment trop exiger du chef de l'Etat qu'un ascétisme à la hauteur de ce que beaucoup de citoyens ont à affronter dans leur vie. L'essentiel, c'est de dénoncer le pire et de le combattre, non de feindre d'en être victime.

De Gaulle payait les goûters de ses petits enfants 

Ce qui me frappe et sur quoi, à mon sens, on n'a pas assez insisté, ce sont moins les modalités du paiement par un autre des frais d'un séjour purement privé - modalités au demeurant guère reluisantes - que le fait incontestable que le couple présidentiel n'a pas jugé bon de régler lui-même les dépenses afférentes à son escapade intime de deux jours. C'est cette abstention qui ne laisse pas de m'étonner, pour ne pas dire plus. Comment se fait-il que le couple, avec un partage aussi clairement établi entre le privé et le public, n'ait pas choisi l'attitude qui allait de soi, prendre en charge lui-même ce qui relevait de la phase festive ? Le président de la République, pour des raisons légitimes, a fait fortement revaloriser le salaire de l'occupant de l'Elysée et son épouse, c'est de notoriété publique, jouit de revenus considérables. Rien n'empêchait que Nicolas Sarkozy, dans un pays étranger où son comportement personnel aussi bien qu'officiel importait à la France, assumât ce qui lui incombait de fait.

Qu'encore une fois il me soit permis de rappeler l'honnêteté proverbiale du général de Gaulle qui, à l'Elysée, prenait à sa charge les goûters de ses petits-enfants et séparait soigneusement ce qui se rapportait à sa consommation personnelle et ce qui concernait les frais liés à la gestion de l'Etat. Cet exemple me paraît d'autant plus éclairant qu'il est révélateur de la nécessité de la morale comme facteur d'unité d'un pays et pour favoriser une admiration collective. Il l'est d'autant plus qu'on ne cesse pas, sur un plan politique, de faire référence au gaullisme, pour s'en inspirer ou s'en détacher.

La récente décision présidentielle sur notre retour dans le commandement militaire intégré de l'OTAN en constitue une parfaite illustration. Pourquoi le gaullisme n'est-il invoqué que sur le plan international et pratiquement jamais pour la pratique de l'Etat et les comportements personnels ? Pourquoi le statufier comme visionnaire et oublier l'homme respectueux de la morale au quotidien, en France ou ailleurs ? Imagine-t-on le Général, s'il avait eu l'idée si peu accordée à son tempérament d'un séjour privé au Mexique quand il y a été accueilli triomphalement, se «faire inviter» par je ne sais quel entrepreneur? Pourtant, l'absolue modernité de de Gaulle réside moins dans ses leçons politiques, puisque la principale était précisément de s'adapter à la force des choses et au fil du temps, que dans sa volonté d'incarner de manière exemplaire la France où qu'il se trouve et quelque position qu'il ait. Il manifestait une intuition, une conscience infiniment sensibles à l'image qu'il donnait, à l'allure qu'il avait et ce, moins pour lui que pour inspirer un superbe orgueil à ses compatriotes. Comme j'aurais aimé que Nicolas Sarkozy ne soit pas aussi étranger qu'il l'est, dans beaucoup des séquences dont il est le protagoniste, au net, au limpide, au transparent, à l'irréfutable ! Pourquoi, pour des moments aussi faciles à gérer que ce séjour intime au Mexique, tant de trouble et de controverses ? Pourquoi toujours rendre douteux ce qui aurait mérité d'être vécu comme une parenthèse insoupçonnable ?

J'en reviens à ce culte des apparences trop dédaigné par le président. Celui-ci ne pressent-il pas que mon «citoyen inconnu» peut se sentir humilié parce que «son» président se laisse ainsi «traiter» au Mexique ? La France est-elle à ce point misérable et chiche que son président, pourvu d'une belle aisance, et son épouse privilégiée soient obligés de se laisser convier à l'étranger par des tiers qui certes doivent en être flattés... Mais nous, les Français ? Le président, qu'il le regrette ou non, nous emporte à la semelle de ses souliers et tout ce qui est de nature à affecter sa dignité nous affecte. Certes, ce n'est pas, comme on dit, l'affaire du siècle mais cela va bien au-delà de la querelle et de l'identité du généreux mécène. Il est question de la démocratie dans cette histoire, de notre fierté, de notre confiance, de NOTRE président. Il y va de nous et de lui, de lui pour nous, de nous en face de lui.

Contrairement à ce que ce temps laisse trop souvent entendre, la clé du succès réside dans un retour à une morale pointilliste et globale. Dans les petites choses comme dans les grands moments. Dans la vie la plus simple comme dans l'appareil de l'Etat. Contre le délitement, l'éthique comme colonne vertébrale. La morale comme coeur d'un monde qui semble l'avoir oubliée. 

Le président sait pourtant qu'avec lui, la France est partout, et nous avec elle. Même au Mexique.


Lire les autres billets de Philippe Bilger sur son site Justice au singulier


16/03/2009
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