Nicolas Sarkozy est-il digne de la fonction ?
Nicolas Sarkozy est-il digne de la fonction ?
http://www.marianne2.fr/Nicolas-Sarkozy-est-il-digne-de-la-fonction_a177202.html?preaction=nl&id=2934975&idnl=25630&Par Philippe Bilger. Après l'affaire Pérol, la palinodie mexicaine du couple présidentiel repose la question de l'éthique, mais surtout de la capacité de l'hôte de l'Elysée à se conduire comme le président de tous les Français.
Au
nom du citoyen inconnu, parce que ce billet prétend avec une totale
immodestie refléter l'humeur de tous. J'aurais pu choisir pour titre
«une indignation démocratique», mais quelle outrance polémique, ou «un
conseil d'ami», mais quelle familiarité choquante à l'égard du
président de la République. Je persiste donc dans ma volonté d'écrire
en tentant d'exprimer ce qui me semble être un point de vue général tel
que je peux le percevoir ici ou là, dans les cercles officiels (quand
ils osent la parole) et/ou dans les réunions privées.
Un
président de la République n'est pas digne de cette fonction si,
profondément et dans sa pratique quotidienne, même dans ses moments de
détente où son image continue d'importer à ses concitoyens, il ne se
veut pas président et responsable de tous les Français. Ce ne sont pas
évidemment ses choix politiques qui permettront la réalisation de ce
consensus, de cette unité qui évite à une société de se déchirer pour
l'essentiel comme pour l'accessoire, pour le conjoncturel comme pour le
fondamental.
La balance républicaine
Il
est naturel, et sain d'une certaine manière, que les orientations et
l'action gouvernementales clivent et suscitent opposition et
résistance. C'est la manifestation même de l'identité et de la force
d'une politique que les contradictions qu'elle appelle et auxquelles
elle survit. Ce qui crée un lien légitime, valable pour tous, c'est la
morale, c'est la qualité du regard que le président porte sur la
fonction présidentielle et donc l'adhésion de la communauté nationale à
l'allure de son président dans l'exercice de ses fonctions, dans les
coulisses officieuses aussi bien que dans sa large part officielle.
L'éthique
renvoie à une esthétique du rôle présidentiel si superbement et
évidemment assumé qu'il comblerait, sur ce plan, partisans ou
adversaires de sa politique. Le président, ainsi, demeure vraiment
au-dessus d'une mêlée dans laquelle, se dédoublant, il a aussi un titre
éminent à intervenir en qualité de gouvernant suprême le temps d'un
quinquennat. La morale n'est pas un luxe, une surabondance inutile, un
ornement superfétatoire mais le fond même du tissu d'un pays, d'abord
caractérisé par la relation d'estime et de confiance que malgré TOUT
les citoyens veulent continuer à cultiver avec LEUR président, même
s'ils ont voté hier pour son adversaire.
Sur ce registre, rien n'est jamais vraiment dérisoire et tout compte
dans la balance républicaine. C'est aussi parce qu'il s'agit de morale
qu'un magistrat a le droit d'écrire sur elle puisque naturellement le
respect de l'éthique, le souci de l'élégance dans l'apparence comme
pour le profond concernent l'ensemble des citoyens et que ce n'est pas
«faire» de la politique que se placer sur ce terrain mais exercer une
vigilance et une exigence qu'on devrait souhaiter de la part de tous.
Cela ne conduit pas, en effet, à privilégier un camp contre l'autre
mais à signifier, toutes tendances confondues, ce qu'on espère en
démocratie de son président - pour pouvoir demeurer fier de la fonction
qu'il exerce en notre nom. Cet orgueil civique, la gauche comme la
droite ont besoin de l'éprouver. S'abandonner exclusivement aux
empoignades partisanes me semble un dévoiement par rapport à ce qu'une
présidence doit présenter d'universel. Il faut pouvoir respecter qui on
a choisi, qui on n'approuve pas. Il y a le flot et l'écume.
Une polémique tout sauf imbécile
Comment échapper à cette réflexion sur la charge présidentielle après
les équivoques péripéties mexicaines du récent voyage du président de
la République et de son épouse ? Je les prétends, en dépit de leur
caractère apparemment futile dans l'immensité des problèmes du monde et
de la crise française, préoccupantes et révélatrices d'un comportement
qui définitivement semble avoir mis au rancart le souci des apparences
: une exigence à inscrire pourtant au fronton de la démocratie au
quotidien. L'affaire Pérol ne cesse pas de montrer, et de plus en plus
gravement, avec quelle désinvolture un tantinet méprisante l'Etat
considère l'Etat de droit comme un empêcheur d'agir selon son bon
plaisir (Médiapart). L'épisode mexicain nous conduit à une
interrogation sur le rapport que le chef de l'Etat entretient avec le
concept de pompe républicaine. Celui-ci signifie que l'onction
démocratique et la dignité qui doit nécessairement en découler ne
s'effacent pas au prétexte que le président aurait fermé les portes sur
son univers personnel. Certes, le président est une personne mais la
personne du président, durant tout son mandat, est condamnée à demeurer
étrangère à tout ce qui serait de nature à obscurcir la puissance et la
légitimité du vote qui un jour l'a porté au pinacle. Il n'y a jamais de
repos ni de rémission pour la majesté en mouvement. En pleine lumière
ou rideaux tirés. Ou, alors, on ne s'engage pas dans une voie où une
forme d'austérité et de rigueur est indissociable du pouvoir qui vous a
été dévolu et dont on a évidemment accepté les contraintes
consubstantielles à la qualité de son exercice. Bref, cette polémique
est tout sauf «imbécile» comme le dit trop rapidement Georges Tron,
villepiniste de l'UMP. Ce propos, que je n'ose qualifier, montre à quel
point la classe politique, dont Tron est un acteur très présent, ne
comprend rien à l'intégrité et à la nouveauté radicale qu'elle
représenterait aujourd'hui.
Nicolas
Sarkozy et son épouse ont passé les nuits du 6 et 7 mars dans un
superbe complexe hôtelier : El Tamarindo beach and Golf Resort.
Celui-ci est géré par le beau-fils d'un milliardaire mexicain à la
réputation que d'aucuns qualifient de sulfureuse, Roberto Hernandez
Ramirez, ami du président Felipe Calderon. Il semblerait que les frais
de ce séjour se soient élevés, sécurité comprise, à la somme non
négligeable de 50 000 euros. Le dimanche 8 mars, le couple présidentiel
a retrouvé le président Felipe Calderon. Le lendemain, un dîner
officiel a été offert par ce dernier et Roberto Hernandez Ramirez y
assistait (Le Parisien, Marianne 2, le site du Nouvel Obs, Le Monde).
Qui
a payé les frais du séjour privé ? Au fil des informations
contradictoires, sous la pression notamment d'un opposant socialiste
mexicain qui a exigé des informations des services de la Présidence,
on peut tenir pour acquis aujourd'hui que le chef de l'Etat mexicain
n'a rien déboursé mais que des «entrepreneurs» ont réglé les dépenses
personnelles de «notre» couple présidentiel. En l'occurrence,
ces entrepreneurs paraissent se réduire à un seul : Roberto Hernandez
Ramirez.
Qui peut dénier
à Nicolas Sarkozy le droit de prendre deux jours de repos, même dans un
cadre somptueux et somptuaire ? Certes, on peut préférer le goût du
confort, qui est bien élevé, à l'obsession du luxe, qui est vulgaire.
Mais au prétexte que la crise existe et qu'elle mord la plupart des
situations familiales et professionnelles, ce serait vraiment trop
exiger du chef de l'Etat qu'un ascétisme à la hauteur de ce que
beaucoup de citoyens ont à affronter dans leur vie. L'essentiel, c'est
de dénoncer le pire et de le combattre, non de feindre d'en être
victime.
De Gaulle payait les goûters de ses petits enfants
Ce
qui me frappe et sur quoi, à mon sens, on n'a pas assez insisté, ce
sont moins les modalités du paiement par un autre des frais d'un séjour
purement privé - modalités au demeurant guère reluisantes - que le fait
incontestable que le couple présidentiel n'a pas jugé bon de régler
lui-même les dépenses afférentes à son escapade intime de deux jours.
C'est cette abstention qui ne laisse pas de m'étonner, pour ne pas dire
plus. Comment se fait-il que le couple, avec un partage aussi
clairement établi entre le privé et le public, n'ait pas choisi
l'attitude qui allait de soi, prendre en charge lui-même ce qui
relevait de la phase festive ? Le président de la République, pour des
raisons légitimes, a fait fortement revaloriser le salaire de
l'occupant de l'Elysée et son épouse, c'est de notoriété publique,
jouit de revenus considérables. Rien n'empêchait que Nicolas Sarkozy,
dans un pays étranger où son comportement personnel aussi bien
qu'officiel importait à la France, assumât ce qui lui incombait de
fait.
Qu'encore une fois
il me soit permis de rappeler l'honnêteté proverbiale du général de
Gaulle qui, à l'Elysée, prenait à sa charge les goûters de ses
petits-enfants et séparait soigneusement ce qui se rapportait à sa
consommation personnelle et ce qui concernait les frais liés à la
gestion de l'Etat. Cet exemple me paraît d'autant plus éclairant qu'il
est révélateur de la nécessité de la morale comme facteur d'unité d'un
pays et pour favoriser une admiration collective. Il l'est d'autant
plus qu'on ne cesse pas, sur un plan politique, de faire référence au
gaullisme, pour s'en inspirer ou s'en détacher.
La récente
décision présidentielle sur notre retour dans le commandement militaire
intégré de l'OTAN en constitue une parfaite illustration. Pourquoi le
gaullisme n'est-il invoqué que sur le plan international et
pratiquement jamais pour la pratique de l'Etat et les
comportements personnels ? Pourquoi le statufier comme visionnaire
et oublier l'homme respectueux de la morale au quotidien, en France ou
ailleurs ? Imagine-t-on le Général, s'il avait eu l'idée si peu
accordée à son tempérament d'un séjour privé au Mexique quand il y a
été accueilli triomphalement, se «faire inviter» par je ne sais quel
entrepreneur? Pourtant, l'absolue modernité de de Gaulle réside moins
dans ses leçons politiques, puisque la principale était précisément de
s'adapter à la force des choses et au fil du temps, que dans sa volonté
d'incarner de manière exemplaire la France où qu'il se trouve et
quelque position qu'il ait. Il manifestait une intuition, une
conscience infiniment sensibles à l'image qu'il donnait, à l'allure
qu'il avait et ce, moins pour lui que pour inspirer un superbe orgueil
à ses compatriotes. Comme j'aurais aimé que Nicolas Sarkozy ne soit pas
aussi étranger qu'il l'est, dans beaucoup des séquences dont il est le
protagoniste, au net, au limpide, au transparent, à l'irréfutable !
Pourquoi, pour des moments aussi faciles à gérer que ce séjour intime
au Mexique, tant de trouble et de controverses ? Pourquoi toujours
rendre douteux ce qui aurait mérité d'être vécu comme une
parenthèse insoupçonnable ?
J'en
reviens à ce culte des apparences trop dédaigné par le président.
Celui-ci ne pressent-il pas que mon «citoyen inconnu» peut se sentir
humilié parce que «son» président se laisse ainsi «traiter» au Mexique
? La France est-elle à ce point misérable et chiche que son président,
pourvu d'une belle aisance, et son épouse privilégiée soient obligés de
se laisser convier à l'étranger par des tiers qui certes doivent en
être flattés... Mais nous, les Français ? Le président, qu'il le
regrette ou non, nous emporte à la semelle de ses souliers et tout ce
qui est de nature à affecter sa dignité nous affecte. Certes, ce n'est
pas, comme on dit, l'affaire du siècle mais cela va bien au-delà de la
querelle et de l'identité du généreux mécène. Il est question de la
démocratie dans cette histoire, de notre fierté, de notre confiance, de
NOTRE président. Il y va de nous et de lui, de lui pour nous, de nous
en face de lui.
Contrairement
à ce que ce temps laisse trop souvent entendre, la clé du succès réside
dans un retour à une morale pointilliste et globale. Dans les petites
choses comme dans les grands moments. Dans la vie la plus simple comme
dans l'appareil de l'Etat. Contre le délitement, l'éthique comme
colonne vertébrale. La morale comme coeur d'un monde qui semble l'avoir
oubliée.
Le président sait pourtant qu'avec lui, la France est partout, et nous avec elle. Même au Mexique.
Lire les autres billets de Philippe Bilger sur son site Justice au singulier
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