«La gauche doit savoir où elle habite»
«La gauche doit savoir où elle habite»
Présidentielle La bataille à gauche Jean-Pierre Chevènement souhaite voir naître un grand parti qui récupère les valeurs républicaineshttp://www.liberation.fr/actualite/politiques/elections2007/252413.FR.php
Pilier de la campagne de Royal, Jean-Pierre Chevènement plaide
pur un nouveau
«grand parti de gauche rassembleur» qui n'exclue pas de nouer
des alliances au centre.
Cette défaite, c'est la faute de la candidate, de la
stratégie, du projet ?
Très clairement, ce n'est pas de la faute de la candidate, qui a
donné le meilleur d'elle-même. C'est le résultat de l'état relatif
de la gauche et de la droite. Nicolas Sarkozy a su, depuis des
années, détourner un certain nombre de valeurs républicaines : le
travail c'est un comble ! l'effort, le mérite, la nation même,
valeurs que la gauche n'aurait jamais dû laisser choir. Notre
candidate a cherché à les récupérer. Elle a insisté sur
l'indissociabilité des droits et des devoirs, le «gagnant-gagnant»,
le refus de l'assistanat. Mais elle ne pouvait, à elle seule,
pallier en peu de mois l'insuffisance d'une réflexion et d'une
action collectives.
Une panne qui remonte au désastre du 21 avril 2002
?
Bien avant. Depuis la fin des années 80, le PS n'a pris aucune
distance avec son tournant social-libéral. Il ne l'a ni critiqué,
ni assumé. Il n'a pas fait sa conversion républicaine, il a fait,
sans le dire, sa conversion libérale. Les socialistes auraient pu
prendre le temps de trier le bon grain de l'ivraie. Mais, sous
François Mitterrand, c'était le règne des «Commandements de Dieu».
Puis vint l'époque d'un «droit d'inventaire» qui, de fait, n'a
jamais été exercé. Enfin, depuis le 21 avril 2002, la gauche s'est
tétanisée. Il n'y a pas eu de critique réfléchie des années 1997-
2002. Cette période est devenue taboue. Ségolène Royal a été amenée
à faire des avancées qui étaient plutôt des échappés belles mais
solitaires, sur des questions comme la République, la nation, dont
on ne parlait plus beaucoup à gauche depuis longtemps, la sécurité
ou l'Education.
Avec «l'ordre juste», ou l'autorité, certains
reprochent à Royal de s'être placée sur le terrain de
l'adversaire...
C'est une erreur fondamentale. Historiquement, ce sont des
valeurs républicaines. Mai 68 a été un moment de l'Histoire mais il
serait absurde de lui opposer Jules Ferry. Moi-même, j'ai souhaité
que l'école de la République relève les défis de la modernité dès
que je suis devenu ministre de l'Education en 1984. L'habileté de
Sarkozy a été d'enfermer la gauche dans cette caricature de laxisme
et d'esprit soixante-huitard. La gauche n'avait pourtant aucune
raison de se laisser ainsi «encager». Sarkozy a exploité
abusivement les incidents de la gare du Nord en rejetant Ségolène
Royal du côté des délinquants. Sarkozy a amalgamé dans une sorte
d'enclos les immigrés, les «assistés» et les délinquants, en
dressant contre eux la masse des «honnêtes gens», comme on disait
au XIXe siècle. C'est la technique classique du bonapartisme :
«Que les méchants tremblent et que les bons se rassurent
!»
Alors, sur quelles bases refonder la gauche
?
Il faut que la gauche récupère la République, dont les valeurs
sont aussi le travail, la liberté, la laïcité, le refus des
communautarismes, le patriotisme, etc. Elle doit se réapproprier le
regard républicain, qui s'oppose au regard ethnique et voit dans
l'autre ses qualités avant de voir s'il a le cheveu crépu ou la
tignasse blonde. Il est nécessaire de trouver ces «points justes»
qui permettront à la gauche de reconquérir une hégémonie
culturelle.
Redoutez-vous que les dirigeants du PS veuillent
«rénover» la gauche en s'inspirant de Tony Blair ?
Sur beaucoup de choses, Tony Blair n'a pas eu tout faux, par
exemple sur les services publics. Et je l'ai moi aussi souvent cité
:
«Dur avec le crime, dur avec les causes du crime.» Mais on ne
peut pas importer en France le modèle britannique. Depuis deux
siècles, le modèle français, c'est le modèle républicain. La gauche
doit se doter d'un projet ouvert à ceux qui se disent
sociaux-démocrates, communistes, radicaux, démocrates, chrétiens
progressistes et, bien sûr, aux républicains de tradition
socialiste, qui sont beaucoup plus nombreux que les adhérents du
MRC.
Vous souhaitez un nouvel Epinay ?
A terme, oui. Le cycle inauguré en 1971 s'est achevé. Il n'y a
plus de bipolarité du monde. L'influence du PCF est résiduelle.
Cela ne veut pas dire qu'il faille plier devant la globalisation,
la dictature de l'actionnariat, le capitalisme financier sans
frontières. Il faut comprendre le monde pour le transformer. La
gauche française manquerait à sa vocation si elle n'était que
gestionnaire. Il faut trouver le centre de gravité d'un grand parti
de gauche, rassembleur, qui renoue avec un débat d'idées qui nous a
beaucoup manqué depuis une vingtaine d'années.
Ce parti pourrait-il se tourner vers le centre
?
Il ne doit exclure aucune stratégie d'alliances, mais les
alliances ne viennent qu'après. Avant de pratiquer l'ouverture, il
faut savoir où l'on habite, sinon l'on n'est qu'un camp volant. Je
suis contre une gauche sans domicile fixe. Bâtir un nouveau parti
réformiste ? Pourquoi pas. Mais avec une grille de lecture du monde
et la volonté de le changer.
Quel rôle doit jouer Royal ?
Elle a un rôle évident. On ne rassemble pas impunément 17
millions d'électeurs. Mais je crois à la force de l'élaboration
collective.
Vous souhaitez des états généraux de la gauche
?
Pourquoi pas ? Mais il faut que ce genre de rendez-vous soit
bien préparé. Quelle perspective pour la France dans la
mondialisation ? Telle est la question à laquelle la gauche doit
répondre. Il y a dans la société française un bouillonnement qu'il
faut savoir capter. Nous avons su le faire, sur un projet, lors du
congrès d'Epinay. Il faut le refaire. Pour ma part, j'y consacrerai
mes efforts.
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