Pourquoi la survie à long terme de l'euro est improbable
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un article assez brillant de prospective. Quand les historiens donnent des leçons aux historiensPourquoi la survie à long terme de l'euro est improbable
http://www.latribune.fr/actualites/economie/international/20110215trib000601439/pourquoi-la-survie-a-long-terme-de-l-euro-est-improbable.htmlDans un long entretien à La Tribune, Niall Ferguson, professeur d'histoire à l'université de Harvard, porte un regard pessimiste sur l'Europe. Il se dit certain que les mouvements populistes ont de beaux jours devant eux. Et il s'interroge sur les effets de la montée en puissance de la Chine.
Vous êtes l'un des premiers à avoir analysé la crise qui a touché l'économie mondiale à partir de 2007. Pouvons-nous dire que nous sommes aujourd'hui sortis de cette crise ?
Le monde a dû faire face une grande dépression. Heureusement, nous avons eu recours à des mesures fiscales et monétaires massives qui nous ont permis d'en atténuer les effets. Et aujourd'hui, après ces mesures de soutien excessives, nous avons la gueule de bois. Celle-ci prend la forme d'une crise de dette souveraine, qui s'étend chaque fois qu'un pays est attaqué par les marchés financiers, parce qu'il trop endetté. Est-ce que cet enchaînement va aller au-delà de la zone euro et traverser l'Atlantique ou prendre la direction du Japon ? J'en suis convaincu depuis un petit moment, parce que les déficits ou l'endettement de ces pays n'ont rien à envier à ceux que nous surnommons les Pigs, je veux parler du Portugal, de la Grèce, de l'Irlande ou de l'Espagne. Voilà pourquoi je m'attends à un changement significatif de la perception des investisseurs, sur l'aspect risqué des obligations japonaises ou américaines. Changement qui se traduirait par un mouvement à la hausse des taux d'intérêt nominaux, avec des conséquences très importantes pour ces pays. C'est le grand risque que court actuellement l'économie mondiale, étant donnée la taille des économies japonaise et américaine.
Lors du dernier World Economic Forum à Davos, de nombreux
intervenants ont insisté sur l'écart croissant entre la bonne santé des
économies émergentes et le marasme des pays industrialisés.
Partagez-vous cette analyse?
Sur un plan historique la crise financière est un épiphénomène. Il
s'agit d'un événement relativement discret qui intervient dans le
contexte d'un déplacement massif du pouvoir économique de l'Occident
vers l'Orient. En réalité, cette crise n'a fait qu'accélérer ce
transfert, qui avait débuté bien avant 2007.
Est-ce que dans l'histoire, le monde a connu de tels transferts de pouvoir?
Si on regarde un peu plus d'un siècle en arrière, on a connu un
phénomène comparable, lorsque les États-Unis et l'Allemagne ont pris le
pas sur la Grande Bretagne dans le palmarès des puissances
industrielles. Dans le premier cas, ce changement s'est fait en douceur,
les Etats-Unis doublant la Grande Bretagne dans les années 1870, et
cette dernière acceptant très bien sa relégation graduelle d'un statut
de senior à celui de junior dans le cadre d'un partenariat
anglo-américain. En revanche, dans le cas de l'Allemagne, même si ce
pays avait des affinités culturelles avec la Grande Bretagne, le
résultat a été un conflit désastreux. Aujourd'hui, lorsqu'on se penche
sur la relation sino-américaine, on peut se poser des questions. Est-ce
que le partenariat économique sino-américain va continuer à exister ?
S'il devait disparaître, par quoi serait-il remplacé ? Par une simple
compétition entre deux rivaux, ou par quelque chose de plus sérieux,
voire par un conflit?
Quel est votre pronostic?
Je ne suis pas fondamentalement pessimiste et je ne crois pas que nous
sommes à l'aube d'un nouveau type de guerre froide, ou qu'un jour
éclateront de véritables guerres entre les États-Unis et la Chine. Ce
n'est pas inévitable. Mais parallèlement, si l'on considère l'importance
de la demande chinoise en matières première, demande qui va aller en
s'amplifiant, et l'offre mondiale de ces ressources minières ou
naturelles, il parait probable qu'une rivalité va s'instaurer entre les
puissances occidentales et la Chine. Ce ne serait pas une surprenant,
dans la mesure où la plupart des grands conflits de l'ère moderne ont eu
pour enjeu des matières premières. Au XVIe et XVIIe, on s'est battu
pour l'or et l'argent, au XVIIIe pour le sucre et les épices, au XIXe
pour le charbon, au XXe siècle pour le pétrole...Voilà pourquoi je ne
serais pas surpris de voir le partenariat sino-américain, qui remonte à
1972, prendre fin. Et je pense que nous assistons actuellement à sa
désintégration.
Vous vous placez dans une perspective de long terme ?
Pas tant que ça. En fait, on entend déjà beaucoup de critiques chinoises
sur la politique américaine. Quand j'étais à Pékin en novembre dernier,
les Chinois ne cessaient de taper sur Ben Bernanke pour sa politique
monétaire QE2. Sur le plan militaire, la visite à Pékin du Secrétaire à
la défense Robert Gates en janvier a été marquée par des signaux très
symboliques de la montée en puissance militaire de la Chine. Nous avons
déjà des preuves que ce mariage prend l'eau. La réalité, c'est que ce
qu'on appelle la Chinamérique se résumait à un mariage économique entre
un épargnant et un dépensier et j'ai toujours pensé que des alliances de
cette nature ne durent pas. Passé un certain point, il s'agit d'une
amitié très illusoire. Et pour des raisons essentiellement économiques,
on va surgir des frictions entre les deux puissances.
Au cours de la prochaine décennie, il est peu probable que ces tensions
prennent un tour militaire mais sur le plan diplomatique, on voit déjà
les Chinois entrain de se positionner dans la région Asie Pacifique. À
Séoul par exemple, les Coréens reconnaissent que la Chine est déjà
devenue la puissance dominante. Que c'est le pays avec lequel ils ne
veulent pas avoir d'ennuis. Or Washington n'a pas encore pris la pleine
mesure de ce changement. Sans doute parce qu'au cours de la dernière
décennie, les administrations successives se sont surtout concentrées
sur le Moyen Orient et les conflits en Irak et en Afghanistan. Mais au
cours de la même période, la Chine a émergé si rapidement, qu'en termes
de PIB calculé en parité de pouvoir d'achat, la Chine, en y incluant
Taïwan et Hongkong a déjà atteint la taille des États-Unis. Et pourtant,
les Américains sont toujours persuadés que le partenariat
sino-américain est inscrit dans la durée. "Ils ont besoin de nous autant
que nous avons besoin d'eux", expliquent les officiels américains. Mais
ils se trompent : chaque année, la Chine a de moins en moins besoin des
États-Unis. Inversement, les États-Unis ont de plus en plus besoin de
la Chine.
La crise de la dette souveraine semble s'être calmée en Europe, et pourtant vous restez pessimiste. Pourquoi ?
Il y a déjà dix ans, j'avais annoncé que la zone euro serait une entité
instable parce qu'une union monétaire sans une union fiscale n'est pas
durable. Cette analyse a été validée par la crise. Actuellement, je
crois que la situation reste très fragile, et peut aisément se résumer
par une question : l'électeur chrétien-démocrate allemand est-il prêt à
accepter un changement institutionnel conduisant à des transferts de
revenus de l'Allemagne vers la périphérie de l'Europe? La réponse est
non ! Jusqu'à la réunification du pays, il était admis que l'Allemagne
était le financier du processus d'intégration européenne. Elle devait
fournir la première contribution au budget européen : pour la génération
d'Helmut Kohl, il s'agissait d'une sorte de réparation après la
Deuxième Guerre Mondiale. Les nouvelles générations allemandes ne
ressentent pas la même obligation. Ce qui pose un problème majeur, parce
que s'il n'y a plus personne pour faire des chèques, le processus
d'intégration européenne ne peut pas continuer. En fait, il pourrait
même aller à rebours.
Donc le premier problème est cet obstacle politique, Angela Merkel ne
peut pas ou ne veut pas expliquer aux citoyens allemands ordinaires
pourquoi ils doivent continuer à financer ce processus. Il y aurait
pourtant une réponse très simple : si les Allemands refusent de
continuer à payer, les banques des Lander allemands vont couler. Car il
ne s'agit pas d'une crise de la dette souveraine, mais d'une crise
bancaire, dont l'épicentre se situe en Allemagne. Mais ce raisonnement
échappe complètement à l'opinion allemande, qui pense qu'elle travaille
dur et doit payer pour ses voisins paresseux.
Pourquoi dites-vous que la construction européenne peut même aller à rebours ?
Nous vivons une période de désintégration économique, qui est très
profonde et structurelle. Si vous regardez les coûts unitaires du
travail, depuis la création de la zone euro en 1999, vous constatez une
divergence, et non une convergence, ce qui est très problématique. Dans
la période précédente, on aurait résolu le problème avec des
dévaluations dans les pays devenus trop chers. Aujourd'hui, le seul
ajustement possible passerait par des réductions nominales de salaires
aux travailleurs Grecs, Irlandais, Portugais ou Espagnols, ce qui semble
très difficile.
Vous voyez un risque d'éclatement de la zone euro ?
Ce risque est réel et je pense que ce serait une grande erreur de croire
que simplement parce que l'Euro existe maintenant, il sera toujours là
dans 10 ans. Le manque de volonté politique en Allemagne et la
désintégration structurelle à l'œuvre dans la zone euro sont les deux
facteurs qui rendent la survie à long terme de l'euro improbable.
Parallèlement, du point de vue de Berlin, l'euro est un mal nécessaire,
parce que sans lui, les Allemands auraient les mêmes problèmes que les
Suisses avec leur monnaie trop forte. Le meilleur argument pour la
survie de la zone euro est qu'elle sert très efficacement les intérêts
de l'industrie allemande.
Vous voulez dire à cause de son taux de change ?
Exactement ! Rappelez-vous de la signification de la zone euro : il
s'agit d'un accord qui donnait aux pays excessivement endettés comme la
Belgique ou l'Italie les taux d'intérêt bas allemands, l'Allemagne
bénéficiant en retour d'un taux de change plus faible. C'était ça, le
deal ! Mais le problème aujourd'hui, est qu'en l'absence de transferts
du centre vers la périphérie et sans une véritable intégration du marché
du travail, le seul moyen de maintenir la zone euro dans sa forme
actuelle passe par la déflation dans les pays périphériques. Ou alors,
il faudrait que la Banque centrale européenne introduise des
assouplissements quantitatifs, du type QE2 et se montre beaucoup plus
agressive dans la monétisation de la dette...
Ca vous parait envisageable ?
La solution la plus simple pour résoudre la crise de la zone euro serait
que Trichet se transforme en Bernanke, adopte le QE2 et achète des
obligations, et affaiblisse un peu l'euro. Les chinois pourraient
répondre favorablement à cela en achetant encore plus de la dette des
Pigs. L'autre solution, plus dure, serait de demander aux Grecs ou aux
Irlandais de transformer leur déficit de 10% du PIB en un excédent de 5%
du PIB, et c'est impossible ! D'autant qu'il y a un facteur qu'il ne
faut jamais sous estimer en période d'après crise: ce sont les
conséquences politiques.
Jusqu'à présent, on est plutôt parvenu à les éviter...
Oui, mais il s'agit d'une combustion lente ! Les gens ont souvent du mal
à réaliser que l'histoire ne se déroule pas au rythme d'un match de
football. Les événements vont à leur rythme, mais déjà nous voyons dans
de nombreux pays européens des tournants politiques majeurs, brisant de
façon irréversible le consensus qui existait entre les chrétiens et
sociaux démocrates depuis l'après-guerre. Je suis convaincu que le
populisme va devenir de plus en plus puissant en Europe. Or il est
difficile de croire que les populistes seront de vibrants défenseurs du
projet européen, car leur fonds de commerce, c'est le nationalisme et la
xénophobie.
Quand on regarde l'Histoire, quelle est la meilleure solution
pour sortir d'une crise de la dette ? Et combien de temps cela peut
prendre ?
Il y a bien eu un pays qui avait une dette dépassant 200% de son PIB,
qui n'a pas fait défaut, et qui n'a pas connu l'inflation. Il s'agit de
la Grande Bretagne après la bataille de Waterloo. Entre 1815 et 1914, la
dette britannique a été réduite, grâce à une croissance forte, grâce à
des excédents du budget primaire et grâce enfin à des taux d'intérêts
bas. La Grande Bretagne pouvait, c'est vrai, compter sur deux avantages :
la révolution industrielle et l'apport de son empire colonial.
Malheureusement, c'est le seul cas que je connaisse. Et en dehors de
cette exception, tous les pays ayant accumulé des dettes trop
importantes au regard de leur PIB ont été conduits au défaut ou à
l'inflation, selon que la dette était libellée dans leur propre monnaie
ou dans une devise étrangère. Nous voyons donc bien ce qui risque de se
passer : les pays qui ne peuvent pas imprimer de la monnaie vont faire
défaut, comme l'Irlande, la Grèce et peut-être d'autres. Les autres,
ceux qui peuvent créer de la monnaie, à commencer par les États-Unis,
connaîtront l'inflation et des dépréciations monétaires. C'est aussi
cela, la leçon de l'Histoire.
PORTRAIT
Niall Ferguson, un écossais à la fibre braudélienne
Niall Ferguson, professeur d'histoire à Harvard mais aussi auteur d'ouvrages historico-économiques et de documentaires pour la télévision et commentateur très recherché par les médias, fait rarement dans la sobriété. Le prochain livre de ce quadragénaire écossais diplômé d'Oxford, qui sortira en Grande Bretagne au mois de mars, s'intitule tout simplement « Civilization ». Un ouvrage que son auteur qualifie de « braudélien », en référence au célèbre historien français (1902-1985), et qui a pour ambition de décrypter les différents facteurs ayant permis l'essor et la domination de l'Occident sur le reste du monde pendant 5 siècles. Facteurs qui, ont diparu ou dont l'Occident n'a plus le monopole, analyse l'auteur.
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