Revue de presse - Savoie

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Salaires, pouvoir d'achat : Bernard Maris - mars 2005

LEMONDE.FR | 29.03.05 | 18h04  •  Mis à jour le 05.04.05 | 09h12
Chat modéré par Constance Baudry et Karim El Hadj

Stéphane : D'où vient l'impression que tout augmente ? Depuis le passage à l'euro, n'y a-t-il pas eu inflation constante des prix ?

Bernard Maris : Oui. Il y a eu un phénomène d'arrondissement au prix supérieur. Beaucoup d'entreprises et de commerçants ont profité du changement de monnaie pour augmenter les prix. C'est surtout vrai dans les boulangeries, la presse, etc. Mais le phénomène s'est tassé depuis 3 ans. L'inflation reste faible.



Paupolette : Je voudrais savoir pourquoi la question du pouvoir d'achat a remplacé celle des salaires depuis quelque temps.

Bernard Maris : En fait, parce que les possibilités de négociation directe des salaires sont réduites. C'est une manière détournée de parler des salaires.

Seb : Quelle est l'évolution du pouvoir d'achat ? Est-elle la même pour toutes les couches de la société ?

Bernard Maris : L'évolution du pouvoir d'achat à la hausse est plus faible pour les salariés de base. Les cadres supérieurs, les patrons d'entreprise, les professions libérales (médecins surtout) s'en tirent mieux.

Pierrot : Est-ce que la hausse des salaires des fonctionnaires est vraiment justifiée par rapport à la situation actuelle ? Par exemple, compte tenu du chômage et des inégalités privé-public, n'y aurait-il pas eu d'autres choses plus bénéfiques pour l'Etat à faire avec cet argent ?

Bernard Maris : Dans la mesure où le privé ne connaît pas de hausse des salaires, c'est vrai que ça paraît injuste. Cela dit, qu'est-ce qu'une hausse des salaires : un partage des gains de productivité. Depuis 3 ans, les gains de productivité sont accaparés par les entreprises au détriment de leurs salariés. La hausse des salaires des fonctionnaires doit se justifier par des gains de productivité. Comment mesurer la productivité de la fonction publique ?

Etujohanne : Pourquoi a-t-on perdu de vue que la hausse du pouvoir d'achat est une solution à la reprise de l'économie ?

Bernard Maris : Parce que depuis 1982 l'économie fonctionne sur le principe de la compression des salaires. On estime que dans une économie sans inflation, la compétitivité des nations ne peut provenir que de la pression sur le coût du travail. Cela dit, la hausse du pouvoir d'achat comme solution à la faible croissance ne se justifie que si l'économie est fermée. Autrement dit, si les gains de pouvoir d'achat ne se portent pas sur des produits étrangers. L'Europe est un continent fermé à 90 %. Mais une hausse isolée du pouvoir d'achat dans un seul pays ne profiterait à personne. Contrairement aux Etats-Unis, à peu près aussi fermés que l'Europe, où une hausse du pouvoir d'achat de l'ensemble de la population bénéficie à l'économie américaine. Par exemple, Microsoft a distribué 35 milliards de dollars de dividendes, qui du fait de la dispersion des actions Microsoft, ont engendré une forte hausse du pouvoir d'achat de la population américaine de plus de 1 %, l'an dernier.

Elo : A qui profitent les bénéfices records de nos entreprises ?

Bernard Maris : Les bénéfices des entreprises ne sont que très partiellement réinvestis. Ils sont distribués sous forme de dividendes, qui pour 50 % partent à l'étranger. Une grande partie est utilisée en rachats d'actions, c'est-à-dire en destruction de capital, afin de faire monter artificiellement la valeur des actions. On a donc des profits qui sont partiellement détruits pour raréfier le capital. C'est comme si un propriétaire d'immeuble en détruisait une partie pour faire monter la valeur locative de ce qui reste.

"L'AVÈNEMENT D'UNE SOCIÉTÉ DE RENTE"

Caro : Les entreprises distribuent des dividendes et rachètent des actions, plutôt que d'augmenter les salaires... Pourquoi un tel arbitrage ? Pensez-vous que ce soit le symptôme d'une crise du capitalisme, de l'avènement d'une économie de rentiers ?

Bernard Maris : C'est le symptôme d'une crise du capitalisme dans les pays du Nord. Les bénéfices investis le sont dans les pays émergents (tant mieux pour eux). Le fait que les entreprises arbitrent en faveur de la rente qui naît de la rareté au lieu de parier sur ce qui fait en dernière mesure la valeur du capital productif, c'est-à-dire le travail, trahit l'avènement d'une société de rente qui n'a plus confiance dans ses forces vices. Le métier d'entrepreneur, qui est un métier d'innovation et de prise de risques, cède la place à celui de rentier, beaucoup plus facile. Les entreprises choisissent toujours la solution de facilité : faire de l'argent en profitant de subventions ou de situations rentières, est parfois plus simple. Pas toujours.

Camille : Peut-on encore opposer capital et travail, lorsqu'on sait que 10 % des salariés du privé sont actionnaires de leur entreprise ?

Bernard Maris : Oui. Car sur les 10 %, une majorité a peu d'actions. Et 90 % n'en a pas. Par contre, il est illusoire d'opposer capital et travail en termes de retraite, par exemple. Pour payer la retraite, il faut toujours du travail. Vous me direz : "Mais les fonds de pension, qui possèdent les entreprises du CAC 40, et saignent le pauvre travailleur français ?" Je réponds : précisément, sans le travail, ces fonds de pension ne seraient rien. Ce sont toujours de actifs qui paient pour des inactifs. Le fond de pension doit être vu comme un immeuble. Un immeuble sans locataire ne rapporte rien. Un fond de pension sans travail ne rapporte rien.

"SEUL LE TRAVAIL CRÉE DE LA RICHESSE"

Granada : Le système proposé par le gouvernement pour permettre aux salariés de participer aux bénéfices de leur entreprise sera-t-il, à votre avis, efficace ?

Bernard Maris : La participation est une redistribution des profits. Très bien. C'est un partage des résultats en faveur des salariés.
C'est exactement un mois supplémentaire. Idem l'intéressement. En revanche, les stock options ou l'épargne-retraite sont des concepts différents. Il s'agit d'un partage non pas immédiat, mais différé, qui fait le pari que le capital accumulé par le salarié fera travailler des salariés futurs. C'est encore le problème de l'immeuble. Pour qu'un immeuble rapporte, il faut que des salariés bien payés l'habitent. On retombe toujours sur le vieux principe : seul le travail crée de la richesse et en ne rémunérant pas le travail, on finit par tarir la source de la richesse. C'est pour cette raison que les entreprises font des bénéfices en faisant travailler des travailleurs étrangers. Pour l'instant, les citoyens du Nord en profitent par le biais des baisses de prix qui sont autant de hausses de pouvoir d'achat. Mais à terme il est clair que seul le travail du Nord peut faire la richesse du Nord. L'hypothèse pas tout à fait surréaliste est que la France devienne un musée et ses habitants des gardiens de musée (payés pour faire visiter).


Guillaume_1 : Mais le concept de l'épargne qui fait les investissements de demain et les salaires d'après-demain n'est-il pas dépassé dans une économie ouverte ?

Bernard Maris : Oui. Mais les délocalisations ont des retours positifs sur l'économie, même ouverte, par les baisses de prix et la spécialisation bénéfique, vers la qualité, qu'elles imposent pour ces économies.

Aurélie1980 : Pourquoi un chômage de 10 % en France et moins de 5 % en Grande-Bretagne ?

Bernard Maris : Première raison : la livre bouge paisiblement, ce qui permet une souplesse de l'économie que n'a pas l'économie française. Deuxièmement : les Anglais sont plus branchés que nous sur les Américains et profitent plus de la croissance américaine (1 point de plus en moyenne ces 10 dernières années, et ça fait dans les 2 points de chômage). Trois : le système d'indemnisation est beaucoup plus sévère en Angleterre, ce qui n'incite pas les chômeurs à se déclarer. En fait, si on supprime les allocations chômage, il n'y aura plus de chômeurs. Les chômeurs deviendront des pauvres. Par exemple, en Angleterre, le nombre d'enfants vivant au-dessous du seuil de pauvreté est le double de celui de la France. Quand on regarde la localisation de ces enfants, on s'aperçoit qu'ils appartiennent à des ménages sans travail : il est clair que ni le père ni la mère ne se sont déclarés comme chômeurs.
Quatrièmement : l'intérim, le temps partiel, les petits boulots, les travaux précaires sont plus développés en Angleterre qu'en France.
Enfin, un bon indice de la situation sociale est la mortalité infantile, beaucoup plus forte en Grande-Bretagne, et signe de pauvreté. Quant à l'espérance de vie, elle augmente en France et stagne en Angleterre.

Alex : Aujourd'hui, le salaire d'un patron est 200 fois supérieur à un salaire de base (il y a 30 ans, ce rapport était de 20). Est-ce normal ?

Bernard Maris : Non. Même aux Etats-Unis, certains patrons s'inquiètent des trop grandes disparités de salaires, qui sont à peu près les mêmes que celles qui existaient avant la crise de 1929. Aux Etats-Unis, les 1 % les plus riches captent 17 % du PIB. Les Américains travaillent beaucoup plus longtemps que nous. Ils ont une dépense de santé du double par habitant que la nôtre et leur espérance de vie régresse. Ils n'ont pas de retraite. Conclusion : la fabuleuse croissance américaine (3, 5 % ces 10 dernières années, en moyenne) ne fait que gonfler une bulle de richesse et ne profite plus à la classe moyenne américaine, qui disparaît.
Les Etats-Unis étaient un pays plus égalitaire que le France en 1950. Pour la première fois dans leur histoire, une génération d'Américains sait que ses enfants vivront moins longtemps qu'elle.

UNE "POLITIQUE EUROPÉENNE TOTALEMENT CONTRE-PRODUCTIVE"

Granada : Est-il vrai que depuis que le gouvernement Raffarin est en place le pouvoir d'achat des Français est en baisse ? Si oui, est-ce de sa faute ?

Bernard Maris : Le pouvoir d'achat des Français stagne. Est-ce que c'est sa faute ? A 50 %, oui. La politique de baisse des impôts, de baisse des charges des entreprises, a aggravé le poids de la dette et a eu des effets déflationnistes. Mais à 50 % , c'est la politique de désinflation compétitive de l'Europe qui est responsable : monnaie forte, pressions sur le coût du travail, et surtout jeu non coopératif des nations qui cherchent à être compétitives les unes par rapport aux autres, en faisant pression sur le travail.
C'est un peu comme si Bush, dans sa politique, jouait systématiquement le Dakota contre le Nebraska ou les Etats de l'Est contre les Etats du Sud. Cela n'aurait aucun sens. La politique européenne est totalement contre-productive.
Exemple : les Français, entre 1990 et 1997, ont payé d'un million de chômeurs par an le diktat imposé par l'Allemagne pour arrimer le franc au mark. Résultat : les Allemands ont aujourd'hui 12 % de chômeurs et continuent à jouer perso en baissant unilatéralement les impôts de leurs entreprises. Cette politique anti-coopérative tire l'Europe vers le bas.

Billycrawford : Le politique peut-il vraiment influer sur l'économie ?

Bernard Maris : Et comment ! Mais l'économie n'a aucune influence sur la politique. Le gouvernement Jospin a connu la plus forte création d'emplois de l'après-guerre, une bonne hausse du pouvoir d'achat, un chômage ramené à 7,5 %, un commerce extérieur excédentaire, etc. Avec tout ça, Jospin aurait dû être plébiscité... Le problème du chômage, c'est que si vous enlevez les immigrés de la première et de la deuxième génération et les gens non qualifiés, il y a zéro chômeur.

Merci à vous tous et pensez qu'il faut des locataires pour payer les loyers !



16/02/2006
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