Revue de presse - Savoie

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«Sans médicaments, je meurs»

COMMENTAIRES

Voici concrètement ce qu'est la vie dans un pays très riche avec moins d'impot que la France et une protection sociale privée.
Ici c'est la Suisse, ça pourrait etre les USA où 16% de la population n'a aucune couverture médicale. Ce sont des pays modèles pour les ultra-libéraux.

Quand Sarkozy et le Medef comparent le taux de prélèvement obligatoire de 45% en France avec la moyenne européenne, ils oublient de dire que dans la plupart des pays avec un prélèvement inférieur au notre, les assurances médicales sont privées - et toute la population n'est pas couverte.

A noter que la libéralisation de la santé fait parti de l'agenda de l'OMC - sous la dénomination "AGCS" accord général pour le commerce des services, comme l'éducation - et c'est la commission européenne qui a la délégation de négocier pour l'Europe dont la France.

«Sans médicaments, je meurs»

Véronique a été mise au ban de son assurance, parce qu'elle ne payait plus ses primes. Depuis, elle finance elle-même son traitement. Et n'a plus d'argent pour se remettre à flot.

Sylvie Arsever - Mercredi 7 février 2007
http://www.letemps.ch/template/
opinions.asp?page=6&contenuPage=&article=199835&quickbar=

«La honte». Le mot revient plusieurs fois dans la bouche de Véronique* lorsqu'elle évoque sa situation actuelle. Pour la première fois, elle a dû demander de l'aide. Elle ne parvient plus à payer sa caisse maladie et n'a donc plus droit aux médicaments indispensables pour traiter la maladie chronique dont elle souffre. Elle me reçoit dans la cuisine riante de l'appartement où elle avait prévu de passer une retraite heureuse.

«J'ai travaillé toute ma vie. Il y a cinq ans, j'ai pris une retraite anticipée. J'étais secrétaire dans un service social. Il y a eu une restructuration. J'aurais pu rester. Mais on me faisait clairement comprendre que si je n'étais pas contente, la porte était là. A la fin, j'en étais positivement malade. Je suis partie avec une retraite et une AVS un peu diminuée. Je vis avec 2969 par mois - 1741 francs d'AVS et 1228 de 2e pilier.

Cela me suffit pour tourner. Mais au moment où j'ai pris ma retraite, mon fils s'est mis à avoir des problèmes... Je préfère ne pas donner de détails, je ne veux pas dire du mal de lui. Une crise d'adolescence. Il y a eu beaucoup de violence, des soucis psychologiques. Et des dettes que j'ai payées: il fallait éviter qu'il... Pendant ces années, j'ai aussi dû l'entretenir. Aujourd'hui, je fais le signe de la croix: il a trouvé un travail, il a l'air de s'en sortir.

Si ça marche, je devrais pouvoir ressortir la tête de l'eau. Mais pour le moment, je suis dans la panade.

Il y a trois ans, je n'avais plus assez d'argent, je n'ai pas versé mes primes d'assurance. C'était ça ou le loyer, et je ne voulais pas me retrouver à la rue. En 2004, j'ai eu une grosse catastrophe: j'ai dû être opérée du genou. Heureusement, ma caisse a encore tout juste pris l'opération en charge. Ensuite, elle a suspendu les remboursements. J'ai dû payer les médicaments et les visites médicales de ma poche: il y en avait pour 800 francs.

Le type de l'Office des poursuites a été très gentil. Lorsqu'il est venu me saisir, je lui ai dit: «Vous n'allez pas me prendre tout ça, il n'y a rien de valeur et vous voyez, c'est toute ma vie.» Il n'a même pas regardé longtemps. Il a dit: «Je vois bien qu'il n'y a rien.»

Mes bijoux, cela faisait longtemps que je les avais vendus. Au début, ça m'a fait mal. Et puis je me suis dit «après tout...» C'étaient des bijoux que j'avais reçus de mon mari. Ça m'a permis de payer pas mal de choses.

Le service de l'assurance maladie m'a aidée et a pris mes arriérés en charge. A ce moment-là, une fois que l'arriéré était réglé, les anciennes factures étaient payées. Mais au début de l'année dernière, ça a changé. Aujourd'hui, l'assurance refuse de rembourser quoi que ce soit tant que je ne recommence pas à verser mes primes. Alors, pour quelqu'un qui souffre d'une maladie chronique, c'est très difficile de se remettre à jour.

Je souffre d'un dysfonctionnement de la glande thyroïde. Je dois prendre des médicaments et subir des contrôles réguliers. Si j'arrête, ce n'est pas difficile: je m'éteins lentement et je meurs.

L'assurance a averti ma pharmacie qu'elle ne remboursait plus rien. Un jour, je suis venue avec mon ordonnance et la pharmacienne a refusé de me donner les médicaments. J'étais anéantie. Je l'ai insultée. J'ai dit: «Vous allez me donner ces médicaments, ils me les faut.» Tout le monde m'entendait. C'était la honte!

Elle a fini par me donner une attestation pour obtenir les médicaments gratuitement. Mais quand j'y suis retournée pour l'attestation suivante, elle m'a dit qu'elle n'avait pas que ça à faire. Je me suis de nouveau fâchée. Je lui ai dit que pour moi, c'étaient les médicaments ou des chaussures. J'ai tout déballé. Elle aurait pu faire ça discrètement, dans un coin. Au lieu de ça, non, il a fallu que, de nouveau, tout le monde entende.

Avec l'attestation, on peut aller à la pharmacie du 31-Décembre. Là, ils sont très gentils. Ils recueillent les stocks de médicaments inemployés et s'ils trouvent celui dont vous avez besoin, ils vous le remettent gratuitement.

Mais pour certains médicaments, je dois aller à la policlinique. Là, on nous fait comprendre... Mon médecin me fait des ordonnances valables trois mois. On m'a dit: «Si vous croyez qu'on va vous donner comme ça des médicaments pour 3 mois.» Alors, je devais y retourner tous les mois.

J'y suis allée trois fois. Et puis j'avais trop la honte. Je préfère encore payer de ma poche. Ma nouvelle pharmacienne me fait crédit, je paie quand je reçois ma pension.

Je n'ai rien dit à mon médecin. Récemment, j'ai pris mon courage à deux mains et j'ai demandé à la secrétaire de me donner plusieurs bulletins de versement pour que je puisse payer par traites. Elle n'a rien dit, elle m'a donné les bulletins.

Moi, je voudrais bien me mettre en règle. Mais si je dois payer mon traitement de ma poche, je ne peux pas payer les primes en plus.

Sinon, maintenant que ça va mieux avec mon fils, je crois que j'y arriverais. D'ailleurs, je compte bien y arriver un jour. Et ce jour-là, je vous jure que je prends toutes mes factures et je les leur envoie. D'un coup. Vous ne pouvez pas savoir comme je me réjouis de ce jour-là.

Je fais tout ce que je peux pour économiser. Comme je suis à la retraite, j'ai du temps: je fais les magasins et j'achète tout en action. J'ai trouvé un revendeur de fruits et légumes qui fait tout à moitié prix. Vous vous rendez compte: des pommes, des mandarines, des endives pour deux francs le kilo! Je mange plein de légumes pour 14 francs par semaine.

Bien sûr, il y a mon fils. Je dois bien l'habiller un minimum: un blouson, des chaussures, un jeans...

Mon appartement me coûte 1250 francs. On m'a dit: «Vous n'avez qu'à déménager.» Mais je n'ai pas trop de place, une chambre pour mon fils, une pour moi, un salon, une cuisine. Et où voulez-vous que je trouve un appartement pour deux à Genève, pour moins de 1250 francs?

Ça fait deux ans que je ne suis plus partie nulle part. Toute ma famille vit en Italie. Je ne les ai plus vus. Même pas pour les Fêtes. Sur place, je serais invitée. Mais le billet est trop cher. Et je ne veux rien leur demander: tout le monde a besoin de ses sous.

J'ai une amie à Bâle aussi. Mais je ne vais pas la voir. Le billet coûte 134 francs, vous vous rendez compte! Autour de moi, personne ne connaît mon problème. Quand vous êtes dans ma situation, les gens vous regardent différemment. Il y a des gens qui sont habitués à demander, ça ne leur fait rien. Mais moi, j'ai honte.

Enfin, je ne sais pas si c'est vraiment de la honte: après tout, je n'ai rien fait dont je devrais avoir honte. C'est peut-être de l'orgueil... Je n'arrive pas à trouver le mot juste. Les mots, c'est bizarre, des fois ils viennent tout seul et puis des fois, ils vous échappent.

J'ai travaillé toute ma vie dans un métier où j'ai beaucoup fait pour aider les autres. Mais là, me retrouver dans cette situation à mon âge... Je me dis que j'ai forcément dû faire quelque chose de pas juste.

Je ne manque pas de courage. Je sais me battre. Mais j'en ai marre. Je trouve que maintenant, à mon âge, les choses devraient être simples.

Je trouve aussi que quand on aide les gens, on devrait faire ça gentiment. Au lieu de ça, on vous fait bien sentir qu'on vous fait une faveur.

Finalement, je crois que c'est bien de l'orgueil. De l'orgueil bien placé.»

*Prénom fictif.



06/02/2007
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