Revue de presse - Savoie

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TVA sociale : le malentendu persiste sur un outil efficace

UN AVIS SUR LA TVA SOCIALE

TVA sociale : le malentendu persiste sur un outil efficace
les echos du 6/6/6

Depuis plus de dix ans, la proposition d'une TVA sociale revient périodiquement au premier plan en France. Mais à chaque fois, elle est rapidement écartée, sans que les raisons en soient convaincantes. Deux explications au moins : d'une part, les avantages de la TVA sociale sont mal valorisés, parce qu'on sous-estime les délocalisations ou l'on s'y résigne. D'autre part, l'on surestime les obstacles, plus psychologiques que réels.

Il y a trente ans, les industriels du textile pensaient qu'ils pouvaient survivre en se concentrant sur les produits techniques et en laissant les produits de base aux industriels turcs. Ils ont investi, puis ont rapidement déposé le bilan. Les industriels pakistanais ont récupéré à bon marché leur matériel neuf, ont menacé les emplois turcs, et sont à leur tour menacés par les Chinois. Le textile français, lui, n'a pas survécu. Cette histoire peut se répéter pour tout. Rien n'est à l'abri, seules les illusions ont la vie dure ! La cause de ces délocalisations, un prix de revient prohibitif, ne peut avoir qu'un remède : une baisse de ce prix. Il y a peu d'éléments sur lesquels on puisse réellement jouer sans délocaliser, sauf les cotisations patronales qui n'ont de cotisations que le nom et n'ont de justification qu'historique ou dogmatique. Supprimer les cotisations patronales en les remplacant par de la TVA, c'est directement minorer les prix de revient et donc favoriser les exportations, mieux se défendre contre les importations, préserver et créer des emplois, améliorer l'équilibre financier de la protection sociale, diminuer la pression fiscale sur les entreprises : en deux mots, sortir du cercle vicieux dans lequel nous nous débattons depuis des années.

Pourtant, on entend encore certains responsables, lorsqu'on leur parle TVA sociale, répondre cotisation assise sur la valeur ajoutée, ce qui n'a rien à voir et ne présente aucun des avantages ci-dessus. Pourquoi ce blocage ? Premier obstacle : la TVA a mauvaise presse. On lui reproche d'être injuste, même si les études récentes ont démontré que c'était un impôt légèrement progressif, et non pas dégressif, dès lors que les premiers postes de dépense des ménages modestes sont exonérés (loyers) ou à taux réduit (alimentation). Mais en fait, tout cela n'a pas grande importance car les cotisations patronales sont aujourd'hui supportées par les mêmes que ceux qui demain paieraient la TVA sociale : les consommateurs. La seule différence est qu'elle serait payée aussi sur les produits importés, ce qui renchérirait le coût du caviar comme des tee-shirts chinois : vaut-il mieux garantir à un RMIste des tee-shirts à bon marché, ou la perspective de retrouver un travail ? Mis à part le renchérissement des produits importés, que l'on doit considérer comme un effet bénéfique lorsque l'on cherche à lutter contre les délocalisations, il semble que l'autre effet serait de privilégier les entreprises à fort taux de main-d'oeuvre : elles bénéficieront d'une plus grande réduction de leur prix de revient, alors que leur prix de vente augmentera dans la même proportion que les autres.

La TVA sociale n'est donc ni injuste ni pénalisante pour la consommation, mais l'opinion demeure, comme l'hologramme d'un raisonnement erroné. A quoi bon démontrer que les caractéristiques d'une TVA sociale sont neutres par rapport aux cotisations patronales, dans un pays où le subliminal pèse tant ? A quoi sert un homme politique s'il subit la loi de l'opinion, s'il se sent incapable d'expliquer et de convaincre ?

Un autre obstacle se situe au niveau européen. Dans un contexte où la seule harmonisation fiscale est justement la TVA, les réticences sont fortes face à une remise en cause de l'acquis. Mais l'harmonisation a porté surtout sur les règles d'assiette. Une augmentation du taux normal est possible dans le cadre du régime dit « transitoire ». Comme tout le monde semble s'accorder sur le fait que le régime transitoire est très satisfaisant, tandis que passer au régime dit « définitif » serait très complexe, l'obstacle est essentiellement virtuel, et il devrait, ici aussi, suffire d'une volonté politique affirmée pour le franchir. Le taux de TVA est de 25 % au Danemark, pays qui finance sa protection sociale par la TVA. Au fond, la vraie question est celle de l'harmonisation des politiques sociales des Etats de l'Union européenne. Ceux qui en rêvent parfois n'osent pas en parler, parce que les systèmes sont trop différents les uns des autres. L'instauration de la TVA sociale dans tous les pays de l'Union pourrait pourtant, en supprimant les effets de distorsion sur la circulation des biens à l'intérieur de l'Europe, créer les conditions d'une telle harmonisation dans l'avenir.

Troisième obstacle : le commerce mondial. Il fait peu de doute que les Etats-Unis y verraient de nouvelles restrictions à leur liberté d'action. A l'Organisation mondiale du commerce, une telle proposition donnerait lieu à des discussions homériques. Cela dit, la neutralité de la TVA est un argument fort, et l'idée que la protection sociale doit rester une affaire intérieure au lieu d'impacter les termes des échanges mondiaux devrait trouver un auditoire attentif dans les pays en développement. En effet, est-il normal, voire même moralement justifié, de faire payer notre santé par les pays en développement au travers des biens manufacturés qu'ils nous achètent ? Mieux qu'une taxe sur les billets d'avion, voilà qui pourrait faire avancer les choses. Une telle approche, si elle devait se généraliser, pourrait être le germe d'une mondialisation maîtrisée, permettant l'émergence de marchés intérieurs régionaux, du type Marché commun, et à terme le décollage progressif d'économies qui n'ont pas les reins assez solides dans les cahots de la « world economy ».

Dernier obstacle, notre immobilisme politique et syndical, crispé sur les positions acquises. Entendre aujourd'hui invoquer le paritarisme dans la gestion des organismes sociaux pour justifier le statu quo laisse rêveur. Ce corporatisme n'a pas sa place ici - le sujet est trop important. Et si l'on est convaincu du bien-fondé du paritarisme, il n'y a aucun besoin de le justifier par une « cotisation » patronale. Là aussi, la question est celle du rôle des hommes politiques.

En conclusion, il s'agit d'une réforme simple mais profonde, dont les conséquences positives sont très significatives. L'erreur est de croire que c'est une réforme du financement de la protection sociale : c'est d'abord et avant tout une arme antidélocalisation, un booster d'exportations, un générateur d'emplois. Ce n'est que de façon indirecte qu'elle aurait une influence bénéfique sur l'équilibre des comptes. Ce n'est pas et ne doit pas être son objectif premier.

FRÉDÉRIC LAUREAU est avocat, associé Ernst & Young.





06/06/2006
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