Revue de presse - Savoie

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Afghanistan : les talibans sont de retour

Lefigaro.fr
Publié le 03 juillet 2006

Le régime puritain du mollah Omar avait été balayé, presque sans combattre, par les bombardements américains de 2001. S'inspirant des méthodes d'al-Qaida et de l'insurrection irakienne, se nourrissant de la frustration des provinces du sud de l'Afghanistan, où règnent insécurité et corruption, les talibans sont de retour. L'aviation américaine et les troupes britanniques, canadiennes et hollandaises engagées contre eux font face à un ennemi déterminé et tenace, alors que les autorités afghanes dépassées perdent chaque jour du terrain.

 
L'ancienne résidence du mollah Omar est redevenue une zone interdite. Entouré de barbelés et de projecteurs au pied du Fil Koh, piton rocheux en forme d'éléphant qui se dresse au nord de Kandahar, le palais du chef suprême des talibans sert à présent de base aux forces spéciales américaines. Mais cinq ans après la fuite du mollah borgne, les commandos lancés à sa poursuite, dans la plus grande chasse à l'homme de l'histoire contemporaine, sont en passe de devenir eux-mêmes des assiégés, retranchés entre les fresques épico-kitsch et la fontaine de rocaille de l'ancien maître des lieux.
 
Car les talibans, dispersés par les B-52 de l'US Air Force pendant l'automne 2001, sont de retour dans les provinces du sud de l'Afghanistan. Auparavant repoussés des montagnes lunaires de l'Oruzgan et de Zabol, ou de l'autre côté de la frontière pakistanaise, dans les camps de réfugiés afghans de Quetta, les insurgés ont repris pied aux portes de Kandahar. Et les hélicoptères et bombardiers américains qui les traquaient dans les montagnes, pilonnent désormais les faubourgs de leur ancienne capitale.
 
Une corruption endémique qui fait le lit des talibans
 
Le soir, le nouveau gouverneur de Kandahar, Assadullah Khaled, peut encore se rendre dans son luxueux 4X4 blindé jusqu'au sanctuaire de Baba Wali, au nord de la ville. Illuminé comme un petit Las Vegas au-dessus de la vallée d'Arghandab, ce pèlerinage est l'une des destinations favorites des habitants de Kandahar. On vient le soir pique-niquer en famille dans les jardins en pente, entourés par les arroseurs à tourniquet qui crépitent dans la chaleur de la nuit.
 
Mais même pour faire ces quelques kilomètres, le gouverneur est accompagné d'une puissante escorte armée. Et sa résidence du centre de Kandahar est entourée d'un épais rempart de bastion walls, tout comme le siège de la police, et les bureaux des agences de la Mission des Nations unies en Afghanistan (Unama). De Bagdad à Kaboul, ces merlons pliants remplis de terre du génie américain sont devenus, près de cinq ans après les attentats du 11 Septembre et la campagne fulgurante contre al-Qaida et ses hôtes talibans, le symbole de l'enlisement de Washington au coeur du monde musulman. Car de l'autre côté de ces enceintes, à quelques centaines de mètres du palais du gouverneur, les policiers afghans dépassés disputent à grand-peine le contrôle de quartiers entiers de la ville aux talibans.
 
«Regardez !», dit Ramatullah Misteri en démontant son pistolet de service Makarov sur le tapis crasseux qui recouvre le sol de son petit poste de police. «Il n'y a pas de percuteur ! Que voulez-vous faire avec ça ?»
 
Ce jeune policier afghan est en charge du quartier de Mahalajat. «J'ai avec moi dix policiers, mais seulement six armes en état de marche. J'ai dû emprunter un RPG-7, et je reçois cinq litres d'essence par mois pour ma vieille jeep, dit-il. Avec ça, je dois faire face aux talibans qui s'aventurent chaque nuit dans le quartier.»
 
La façade du poste est criblée de balles. Le bâtiment de ciment, accroché au-dessus d'un ruisseau plein d'ordures et d'eaux stagnantes a été attaqué à trois reprises depuis le début de l'année. Ramatullah Misteri ne veut pas céder au découragement, mais admet la détérioration de la situation à Kandahar. «J'ai rejoint la police fin 2001, juste après la fuite des talibans», dit cet ancien mécanicien. «À l'époque, on pouvait patrouiller dans tout Kandahar. Il n'y avait ni engins explosifs improvisés, ni attentats, ni kidnappings. Maintenant, je tombe dans des embuscades à quelques centaines de mètres d'ici. Nos armes s'enrayent à chaque accrochage, et je dois décider si j'utilise ma solde mensuelle de 3 300 afghanis pour acheter de l'essence ou des munitions, ou faire vivre les quatorze membres de ma famille», dit-il en tirant sur sa cigarette Fortune. «J'ai écrit vingt fois au gouverneur, mais je n'ai jamais reçu aucune réponse.»
 
La pauvreté des moyens attribués à la police afghane favorise une corruption endémique qui fait le lit des talibans. «Depuis cinq ans, les gens des provinces du Sud ont l'impression que rien n'a été fait pour eux, dit un habitant de Kandahar. Alors les talibans reviennent. Ils organisent des tribunaux qui règlent les litiges selon la loi islamique. Ils tuent les Afghans qui travaillent pour la coalition et expliquent aux autres que les étrangers ne resteront pas éternellement en Afghanistan.»
 
Crainte des attentats suicides
 
Comme en 1994, alors que les factions de seigneurs de la guerre et les commandants de moudjahidins multipliaient les exactions et rançonnaient la population, les talibans profitent de l'insécurité pour réinstaurer un ordre brutal.
 
Les camionneurs afghans, qui sillonnent les routes de ce pays immense, sont les témoins de la dégradation de la sécurité dans les provinces du sud afghan. «Nous n'en sommes pas encore à la situation de 1992-1993, dit Abdul Karim, le président de l'association des camionneurs de Kandahar, mais je me demande si nous n'allons pas y arriver.» À l'ombre d'un hangar, assis en tailleur en buvant du Zam-Zam Cola, une vingtaine de chauffeurs approuvent de la tête en caressant leur grosse barbe. «Sur les routes principales, nous sommes harcelés par les policiers qui nous extorquent un bakchich, dit Abdul Karim. Sur les pistes plus reculées, ce sont les talibans qui nous arrêtent. Ils vérifient la marchandise. Si la cargaison est destinée au gouvernement, ils brûlent le camion.»
 
Dans les bureaux climatisés des agences de l'ONU transformées en camps retranchés par crainte des attentats suicides, on veut rester optimiste.
 
«La situation est plus compliquée qu'un simple retour des talibans», dit un responsable de la Mission des Nations unies en Afghanistan. «La faiblesse et la corruption des autorités afghanes favorisent différents groupes, allant des talibans à des bandits plus classiques, sans oublier, bien sûr, les barons de la drogue, qui représentent un poids financier colossal et ont intérêt à ce que l'instabilité perdure. Il est difficile de lutter avec les seuls moyens militaires contre ces phénomènes. C'est au gouvernement afghan de reprendre le contrôle de ces provinces.»
 
Mais la faiblesse des moyens militaires et policiers de l'Etat afghan rend encore indispensable l'appui des troupes américaines et de l'Otan, dont l'état-major doit prendre à la fin du mois de juillet le commandement des cinq provinces du Sud. Les unités britanniques déployées dans l'Helmand et les Canadiens qui opèrent à Kandahar tentent avec l'appui des Américains de casser l'insurrection. Mais l'opération Assault Mountain, lancée depuis la mi-mai, a donné lieu à des accrochages sans cesse plus meurtriers. Face à une guérilla tenace, toujours plus de moyens, avions et hélicoptères, sont engagés. Les communiqués qui font le décompte des cadavres ennemis rappellent de façon troublante les bilans de l'état-major américain au Vietnam. Mais les victoires ont beau succéder aux victoires, les rebelles sont toujours là, et rien n'indique un fléchissement de leur nombre, ni de leur détermination.
 
L'aéroport de Kandahar, à la sortie sud de la ville, est devenu une immense base de l'armée américaine. Un avion de chasse soviétique Mig-21 orne le portail d'entrée, vestige d'une époque où d'autres troupes étrangères campaient déjà dans des enceintes fortifiées, au milieu d'un pays qui échappait chaque jour un peu plus à leur contrôle. «À la différence des Russes, les forces de la coalition ne sont pas considérées par la majorité des Afghans comme des envahisseurs. Plutôt que leur retrait, la population leur réclame plus de présence, plus de sécurité», rappelle cependant Abdul Qadar Nourzaï, le président de la commission afghane des Droits de l'homme à Kandahar. «C'est pour cela que je reste optimiste. Mais le gouvernement et les forces étrangères doivent se dépêcher d'agir en faveur des habitants des provinces du Sud.»
 
Occupés presque uniquement à la traque de mollah Omar, de Ben Laden et des vestiges d'al-Qaida, les Américains ne se sont guère souciés, depuis 2001, de la population. Leurs troupes sont à peine visibles. Retranchés dans des bases isolées, reliées entre elles par des convois qui foncent sans s'arrêter sur les routes, ou par des hélicoptères dont les ombres courent dans les déserts bruns et sur les flancs des montagnes afghanes, les Américains ont abandonné le contrôle du terrain aux rebelles.
 
Ces derniers n'hésitent plus à perpétrer leurs attentats au centre de Kandahar, jetant des voitures suicides contre les convois de la coalition ou les autorités locales, ou menaçant tous les «collaborateurs» des forces étrangères.
 
Depuis trois mois, plus personne ne vient en ville
 
À la fin de la journée, une fois passée la chaleur étouffante de l'après-midi, les boutiques du bazar de Kandahar ont moins de clients que d'habitude. Accroupi sur un tapis entre des piles de shawar kamiz, la tenue traditionnelle afghane, de petits chapeaux cloutés de strass typiques de Kandahar et de longs turbans de soie qu'affectionnent les Pachtounes, Hadji Abdul Ghafar craint pour ses affaires.
 
«Depuis trois mois, plus personne ne vient en ville à cause de l'insécurité», dit-il en lissant sa barbe blanche. «Mon chiffre d'affaires s'est effondré. Je ne vais bientôt plus pouvoir payer le loyer de ma boutique. Au moins, à l'époque des talibans, les affaires marchaient. Je leur vendais des turbans.»
 
Un peu plus loin, un marchand de musique attend les clients entre ses murs de cassettes multicolores. Les talibans, qui interdisaient la musique et les images à l'époque où ils étaient au pouvoir, n'inquiètent pas M. Habibullah. Il sort d'une pile des cassettes de chants talibans, aux boîtiers décorés de tanks et de lance-roquettes. «Ô, les envahisseurs aux yeux bleus un jour seront défaits, chante une voix lancinante. Quand nous reviendrons au pouvoir, nous n'oublierons pas nos martyrs.» Mais le marchand de musique ne croit pas au retour d'un régime taliban. «Du moins aussi longtemps que les bombardiers américains seront là...»


03/07/2006
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