Revue de presse - Savoie

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Arrêter les travaux du Lyon-Turin coûterait autant que les continuer, qu’en est-il ?

Des informations circulent en France et en Italie concernant le coût d’arrêt des travaux du Lyon-Turin, affirmant que l’arrêt coûterait aussi cher que la poursuite. Cette affirmation conduit à la conclusion qu'étant tellement engagé, il serait déraisonnable de ne pas faire le tunnel transfrontalier puisqu’on n’économiserait pas d’argent. Pour trouver la verité examinons donc les textes officiels.

Il convient dès le début d’apporter une précision importante : les travaux définitifs ne sont pas lancés au sens des traités, il ne s’agirait donc pas d’un arrêt, mais d’un non lancement à la suite des études et reconnaissances qui ont été faites et se terminent par le chantier en cours à St Martin de la Porte. Il convient donc d’examiner, documents à l’appui, ce qu’il reste à payer si on lançait les travaux définitifs, et à comparer cette somme avec ce qu’il en coûterait de ne pas les lancer. 

Concernant les travaux d’études et de reconnaissances déjà réalisés ou engagés, le total est de l’ordre de 1,6 milliards. Chaque pays a dépensé ou engagé 25% de ce montant, soit de l’ordre de 400 millions d’euros pour la France et pour l’Italie et l’UE a pris en charge 50 % soit environ 800 millions.
Ce montant est à comparer avec le milliard d’euros dépensé pour rénover la ligne existante, pour la mettre au gabarit GB1, améliorer la sécurité en refaisant 19 tunnels et ponts dont le tunnel transfrontalier à double voie existant au Mont-Cenis. Le tunnel historique avait été ouvert en 1871, il a été profondément transformé et ouvert au nouveau gabarit en 2012.

Concernant le montant de l’engagement de la France si les travaux du tunnel transfrontalier bi-tube de 57km étaient lancés, ce sujet a été abordé dans un article précédent « Le tunnel de 57km du Lyon-Turin coûterait 2,2 milliards à la France, qu’en est-il ? ». L’article démontre qu’en application des traités, le financement auquel la France doit faire face en lançant les travaux définitifs du tunnel transfrontalier est de l’ordre de 7 à 8 milliards d’euros au minimum.

https://blogs.mediapart.fr/mauduit-francois/blog/200619/le-tunnel-de-57km-du-lyon-turin-couterait-22-milliards-la-france-qu-en-est-il

Revenons au sujet de l’article: combien coûterait l’arrêt des travaux, ou plus exactement le non lancement des travaux définitifs ?

1- Quelles sont les clauses de pénalité prévues dans les traités franco-italien ?
On ne trouve pas de clause de pénalité dans les accords franco-italien du 29 janvier 2001 et du 30 janvier 2012. Les deux accords prévoient un tribunal arbitral, à l’article 12 de l’accord du 29 janvier 2001 et l’article 27 de l’accord du 30 janvier 2012
Article 27 Règlement des litiges, tribunal arbitral
27.1. Un tribunal arbitral est constitué pour régler:
a)Les différends entre les Parties ou entre le Promoteur public et l’une des Parties, relatifs à l’interprétation et à l’application du présent Accord, qui n’ont pas pu être résolus par la voie de la négociation dans un délai de trois mois à compter de la naissance du différend
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000029425907&categorieLien=cid

2- Examinons donc les positions des parties en cas de saisie du tribunal arbitral
La France n’est pas en position de demander une indemnité à l’Italie alors qu’elle ne respecte pas le traité dans son article 4 où figure 33 km de tunnel à sa charge sur son territoire.
La Loi LOM qui vient d’être voté a des déclarations d’intention concernant le Lyon-Turin, mais pas de financement prévu dans le plan pluri-annuel d’investissement. En effet, le Conseil d’Orientation des Infrastructures (COI) auquel se réfère la loi d’orientation des mobilités et la Ministre chargée des transports Elisabeth Borne recommande de reporter l’examen des accès au tunnel transfrontalier Lyon-Turin après 2038.

Le Conseil d’Orientation des Infrastructures (COI) auquel se réfère la loi d’orientation des mobilités indique dans son rapport page 79 de son rapport concernant les accès du Lyon-Turin « les caractéristiques socio-économiques apparaissent à ce stade clairement défavorables »
https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/2018.02.01_rapport_coi.pdf

Les accès au Lyon-Turin n'apparaissent dans aucun des 3 scénarios du COI qui servent à la loi LOM pour la simple raison que la programmation des investissements s'arrête en 2032 et que l'examen des accès a été reporté à après 2038. En respectant la déclaration de la Ministre et le texte du projet de loi, il n'y a pas d'investissement prévu et donc, la France ne respecte pas l’article 4 du traité du 30 janvier 2012.

 Note : A contrario, le COI a opté, comme toutes les administrations depuis 1998, pour l'utilisation de la ligne existante entre Dijon et St-Jean de Maurienne, qu'il recommande de moderniser pour un montant estimé à 700M€, ce qui confirme également qu’il n’est pas prévu de faire les accès inscrits dans le traité à un horizon raisonnable.

L’Italie n’est pas non plus en position de demander une indemnité à la France alors que le projet a pris 10 ans de retard de son fait.

Entre la France et l’Italie, on peut donc raisonnablement dire qu’aucun des deux pays n’est en position de demander des pénalités à l’autre.
Note: par contre, sans la partie des accès français avec les 33km de tunnel bi-tube faisant parti des traités entre les 2 pays, l’Italie pourrait demander une renégociation pour remettre en cause le montage financier du tunnel transfrontalier, mais ce n’est pas le sujet des pénalités examinées dans cet article.

3- Quelles sont les conditions prévues par l’UE lors de l’accord de subventions pour des travaux et les conditions pour en demander le remboursement ?

Financement et Remboursement de subventions accordées par l’UE
« La Commission peut demander le remboursement intégral ou partiel du concours financier accordé si, dans les deux ans qui suivent la date d'achèvement de l'action fixée dans les condi­tions régissant l'octroi du concours, la mise en œuvre de l'action bénéficiant de ce concours financier n'a pas été achevée ».
Article 12 du RÈGLEMENT (UE) No 1316 / 2013
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32013R1316&from=EN

Les travaux financés par l’UE concernant les études et reconnaissance du tunnel transfrontalier Lyon-Turin ayant été réalisés selon les conditions de l’octroi, la commission ne peut pas en exiger le remboursement.

Il n’y a donc pas de conséquence financière du coté de l’UE non plus.

4- Lancement des travaux – rôle des différents partis, UE, France et Italie
L’Union Européenne ne peut exiger un lancement des travaux par les États :
L’article 17 du RÈGLEMENT (UE) No 1316 / 2013 du Parlement Européen et du Conseil du 11 décembre 2013 précise :
« La décision de mettre en œuvre ces projets relève de la compétence des États membres et dépend des capacités de financement public ainsi que de leur viabilité socio-économique, conformément à l'article 7 du règlement (UE) no 1315 / 2013. »

https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:32013R1316&from=EN
Jean-Claude Junker l’a confirmé en 2018, rappelant que la décision incombait aux deux états et n’était pas du ressort de la commission.

5- Les montants en jeu

Selon l’accord ratifié du 30 Janvier 2012, article 16, la part de financement de la France sur le tunnel transfrontalier est de 42,1%, celle de l’Italie de 57,9 % hors financement européen. Chaque pays finance les infrastructures situés sur son territoire, avec l’aide éventuelle de l’UE.

https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000029425907&categorieLien=id

Les chiffrages de financement de l'UE documentés dans le mandat 2014-2019 font état de la possibilité de financer à hauteur de 40% le seul tunnel transfrontalier jusqu’à hauteur du coût certifié de 8,6 milliards, soit 3,44 milliards d'euros.

 L'ensemble des financements des projets européens pour le mandat 2020-2025 sont liés aux conditions de financement du Brexit et de la sortie de l'UE. Le budget 2020-2025 sera présenté par la nouvelle commission Von der Leyen qui n'est pas encore nommée. A ce stade, aucune autre hypothèse de financement de l’UE n’est documentée dans un document officiel.

Le financement auquel la France devrait faire face en lançant les travaux définitifs du tunnel transfrontalier est de l’ordre de 7 à 8 milliards d’euros au minimum.

Conclusion
Aucune des trois parties ne peut demander de remboursement ou des pénalités si les travaux ne sont pas lancés ;
Seules la France et l’Italie peuvent ensemble lancer les travaux ;
Les études et reconnaissances faites, le lancement peut intervenir dans 20, 30 ou 50 ans, il n’y a pas de date de lancement dans le traité et la géologie n’aura pas bougé ; ne pas lancer les travaux n’hypothèque pas l’avenir ;
Le coût de non lancement est la fermeture et la mise en sécurité des galeries de reconnaissance.

Ne pas lancer les travaux du tunnel transfrontalier a un coût négligeable de fermeture du chantier, libère un engagement de 7 à 8 milliards d’argent public pour la France, n’hypothèque pas l’avenir et il n’y a aucune pénalité pour aucune des parties



23/10/2019
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