Au-delà des décombres
Au-delà
des décombres
L'écologie doit être l'anneau manquant entre le
Parti socialiste et le centre.
Par Alain LIPIETZ
http://www.liberation.fr/rebonds/254310.FR.php
QUOTIDIEN : jeudi 17 mai 2007
Alain Lipietz député européen.
L'alternance n'a pas joué. Les Français ont majoritairement
préféré une politique sociale et sécuritaire dans la continuité aggravée de
celle menée depuis cinq ans. Et les premiers jours du Président annoncent la
couleur : discours «modernisateur» ringardisant l'opposition, et corruption
passive (plusieurs siècles de Smic acceptés en cadeaux privés du grand patronat
en quelques heures !).
On dit Thatcher + Berlusconi. Il faudrait ajouter Giscard (la
modernisation de 1974) et Menem (l'ex-président argentin, pour le mélange de
populisme, d'ultralibéralisme et de liens festifs affichés avec le business).
Les fautes tactiques du PS sont les raisons les plus repérables
de
Cette incapacité tactique reflète le désarroi de sa direction et
la crise d'une gauche sortie en lambeau des débats sur la laïcité et sur le
référendum européen. Un consensus s'est écroulé, qui remontait parfois à
l'affaire Dreyfus.
Avoir voté non, «contre Chirac et le Medef», au référendum de
2005 : compréhensible. Avoir cru qu'un non déboucherait sur un meilleur traité
: erreur admissible. Mais que des dirigeants de gauche n'aient pas osé
expliquer que, face à un capital européanisé, il fallait européaniser la
politique et accepter un pas en avant vers une constitution fédérale, c'est
ignorer la définition du libéralisme qu'ils prétendent combattre. Le non de
2005, reconduction de l'Europe ultralibérale existante, annonçait la
«non-alternance» de 2007. Quand des musulmanes refusent le voile qu'on les
oblige à porter : bravo. Que des militantes approuvent l'exclusion de jeunes
filles qui le portent en signe de révolte ou d'identité, c'est n'avoir rien
compris aux enjeux libérateurs de 1905.
Le camp progressiste est en crise profonde. L'impression de
bricolage qu'a parfois donnée la campagne de Royal traduisait non l'impréparation
d'une femme, mais la tentative d'y répondre en allant piocher ailleurs que dans
les carrières épuisées de la vieille gauche, sous le silence étourdissant des
intellectuels.
En face, Sarkozy offrait un bloc idéologique cohérent,
Thatcher-Reagan-Bush avec les moyens de Berlusconi. Et ce bloc a clairement une
base sociale, la «société en sablier». Un quart de siècle de libéralisme a si
bien remodelé la société qu'il y a aujourd'hui deux France. Sarkozy a su
incarner l'une, tout en séduisant une partie de l'autre. Il y a la France des
gagnants ou de ceux qui peuvent encore espérer gagner, jeunes décrochant enfin
un emploi, entrepreneurs, rentiers, papy-boomeurs (mais pas les mamy-boomeuses
!) aux retraites et à l'épargne confortables, qui se sont vu offrir des gages
par Sarkozy. Et il y a l'autre France, qui s'est retrouvée derrière Royal, mais
dont une partie a voté Sarkozy, qui a su capter les mythes sécuritaires et
identitaires lepénistes, baume pour son désespoir.
Terrible est la disparition de la conscience de soi ouvrière,
cette conscience de pouvoir un jour construire un monde nouveau. La gauche n'a
pas compris que le modèle scandinave dont elle se gargarise suppose une
implication négociée des travailleurs dans le processus de production. «Réhabiliter la
valeur travail», ce n'est pas faire travailler les gens plus tôt et plus
longtemps. C'est rendre à chacun la fierté d'une activité qualifiée,
participant aux choix techniques, gratifiante, avec un statut stable.
Plus largement, la gauche n'a pas su inventer une voie pour le
XXIe siècle répondant aux défis des crises écologiques et de la mondialisation,
dont les réponses sont essentiellement européennes. La pollution n'a pas de
frontière : on ne peut agir contre le changement climatique et les molécules
tueuses qu'en domptant le marché par une politique européenne. Les marchandises
et les capitaux circulent librement à travers l'Europe : il faut des droits
sociaux européens. Elle n'a pas su non plus, au niveau local, inventer une
version plus chaleureuse, de la protection sociale : sécurité contre la
solitude et les peurs de
Europe, tiers secteur, implication des travailleurs, furent avec
l'écologie (évacuée d'un pacte en début de campagne) les grands absents de
cette campagne. Ils pourraient devenir les piliers d'une gauche nouvelle.
La galerie des «traîtres» illustre ce qui ne peut plus durer
dans la gauche à venir. Besson : les complicités imprudentes avec les
technocrates du grand capital. Tapie : les tendresses pour l'entreprenariat un
peu canaille. Allègre : l'arrogance scientiste. Glucksmann et le versant
autoritaire de
Tout n'est pas perdu. La droitisation de la droite a déclenché
son antidote : une scission du centre. L'électorat de Bayrou a donné la
majorité à Royal dans les centres-ville et dans tout l'Ouest. Ailleurs, avec le
FN, il a assuré le triomphe de Sarkozy. Cette brèche entre la droite et une
partie du centre a permis à l'Italie de sortir du règne de Berlusconi. Les
électeurs de Bayrou qui n'ont pas osé voter Royal auraient pu inverser le
résultat. Ils peuvent encore le faire au vote décisif, le deuxième tour des
législatives.
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