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Ces basses manoeuvres qui minent l'ONU, par Paul Kennedy

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Avec un tel comportement, ne soyons pas offusqués quand certains pays ne considèrent pas l'ONU honnete ou l'impartiale - mais bien un outil aux mains des occidentaux
vaut-il mieux etre cynique et se dire qu'il en a toujours été ainsi et que ça pourrait etre pire ,

Ces basses manoeuvres qui minent l'ONU, par Paul Kennedy

Nul n'ignore, ces jours-ci, le rôle déterminant du Conseil de sécurité des Nations unies dans les affaires internationales. Le Liban, l'Iran, le Darfour et la Corée du Nord figurent à l'ordre du jour du Conseil, et le monde entier retient son souffle, y compris le choeur des grincheux qui trouvent que l'ONU n'est bonne à rien. Parvenir à des décisions et superviser leur application est une tâche ardue et délicate : mais si le Conseil de sécurité ne s'en chargeait pas, quelle autre organisation serait en mesure de le faire ?

La plupart du temps, l'attention se cristallise sur les cinq membres permanents, qui disposent du droit de veto (la Chine, les Etats-Unis, la France, le Royaume-Uni et la Russie). En revanche, on accorde très peu d'attention aux dix autres membres non permanents du conseil, qui sont élus pour une période de deux ans, et renouvelés par moitié chaque année. Ils jouent pourtant un rôle considérable. Pour être adoptée, une résolution du Conseil de sécurité nécessite l'approbation d'au moins neuf membres, ainsi que l'accord (c'est-à-dire l'absence de veto) des cinq permanents, ou P5. Ainsi, pendant deux ans, un membre non permanent du Conseil de sécurité exerce une responsabilité bien supérieure à celle des 192 membres de l'assemblée générale.

Cinq nouveaux membres non permanents doivent être élus mi-octobre : c'est l'occasion de se demander si le système fonctionne aussi bien qu'il le devrait. Débat qu'aucun des P5 n'est enclin à engager, puisqu'il ne fait qu'attirer l'attention sur leurs propres privilèges. Néanmoins, les observateurs extérieurs sont en droit de s'interroger, tant il devient clair que les objectifs de la Charte de l'ONU sont aujourd'hui bafoués.

Deux exemples devraient suffire à le montrer. Penchons-nous sur la campagne inouïe montée à l'échelle mondiale par Hugo Chavez, président du Venezuela, pour appuyer la candidature de son pays à un siège au Conseil de sécurité : en tournée dans les pays étrangers, il multiplie subventions, prêts et accords en tous genres. A certains égards, c'est plutôt amusant. Chavez est clairement décidé à défier ce qu'il considère comme une domination américaine sur les affaires mondiales, et il perçoit le Conseil de sécurité comme une tribune où exprimer ses positions antiaméricaines. Et la Maison Blanche et le département d'Etat semblent tétanisés devant la guerre de propagande mondiale lancée par le Venezuela.

A un autre niveau, cependant, la campagne de Chavez est extrêmement préoccupante. Qu'il le sache ou non, elle se fait au mépris du principal critère à remplir pour prétendre au statut de membre non permanent. L'article 23 de la Charte de l'ONU stipule en effet que tout pays peut être élu au Conseil de sécurité, mais en tenant compte en premier lieu de sa contribution "au maintien de la paix et de la sécurité internationale et aux autres fins de l'organisation, et aussi d'une répartition géographique équitable".

En d'autres termes, puisque chaque membre du Conseil de sécurité sera amené à voter sur des questions de guerre et de paix, tous devraient être disposés à contribuer au maintien de la paix. Les privilèges donnent des responsabilités. Or comment les prétentions du Venezuela résistent-elles à cette épreuve "d'entrée de jeu" ? Il suffit de comparer les contributions du Venezuela aux opérations de maintien de la paix de l'ONU sur la dernière décennie avec celles de certaines nations importantes comme l'Australie, le Brésil, le Pakistan et la Pologne.

Selon le Global Policy Forum, la quantité de troupes mises au service de l'ONU est variable mais, en moyenne, le total mensuel s'établissait entre 1996 et 2006 à 597 hommes pour l'Australie, 496 pour le Brésil, 4 002 pour le Pakistan et 924 pour la Pologne. En revanche, le total du Venezuela est de 3 en moyenne ! Et il n'a fourni aucun contingent ces quatre dernières années.

La conclusion est évidente. Chavez devrait suspendre sa campagne jusqu'à ce que son pays puisse afficher une contribution significative au maintien de la paix et de la sécurité internationales. Le fera-t-il ? C'est peu probable. Peut-on s'attendre à ce qu'un des membres permanents du Conseil de sécurité, comme les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne, oppose son veto à la candidature de Chavez ? Non, les P5 sont trop compromis, et ils pensent peut-être que les rodomontades à la Chavez auront pour effet d'affaiblir l'image internationale du Venezuela. Cependant, les Etats sérieux qui ont contribué aux opérations de maintien et de rétablissement de la paix de l'ONU passées et présentes - l'Australie, l'Inde, le Pakistan, l'Egypte, le Brésil, le Mexique, l'Italie et ainsi de suite - sont en droit de se demander pourquoi ils devraient soutenir un pays qui refuse manifestement de payer son ticket.

Les conservateurs américains, curieusement, n'ont pas relevé ce problème. Mais avant de pousser de hauts cris, ils devraient réfléchir à un autre fait préoccupant, révélé par le Financial Times le 31 août. Il s'agit du compte rendu d'une étude extrêmement détaillée de deux économistes d'Harvard, Ilyana Kuziemko et Eric Werker, intitulé : "Combien vaut un siège au Conseil de sécurité ? Aide étrangère et corruption aux Nations unies." On y découvre que quand un pays pauvre a la chance d'obtenir un siège de deux ans au Conseil de sécurité, c'est comme s'il gagnait à la loterie : l'aide au développement qu'il reçoit des Etats-Unis augmente d'un coup, de 59 % en moyenne. Mais dès que son mandat touche à son terme, le niveau de l'aide revient à son point de départ. Les auteurs examinent différentes hypothèses pour expliquer ces variations, mais ils concluent que "les éléments jouent bien plus en faveur de l'hypothèse de la corruption que... des autres hypothèses". Aïe !

Il en a sans doute toujours été ainsi. Les sept électeurs du Saint Empire romain étaient assidûment courtisés quand apparaissait un nouveau prétendant au titre d'empereur. Avant le milieu du XIXe siècle, les sièges parlementaires en Grande-Bretagne étaient régulièrement achetés par les candidats riches qui n'avaient qu'à payer des électeurs alors peu nombreux. Sachant que l'ancien gouverneur de mon Etat d'origine, le Connecticut, vient de purger une peine de prison pour avoir reçu des "aides" suspectes de la part d'entreprises du bâtiment, qui sera surpris d'apprendre que Chavez, par la signature d'accords spéciaux, ou les Etats-Unis, par une forte augmentation de l'aide bilatérale, cherchent à se concilier un pays pauvre en voie de développement ? Il est cependant regrettable que ces façons de faire se répandent parmi les Etats souverains de l'ONU.

Beaucoup dénonceront à cor et à cri un "nouveau scandale de l'ONU". Mais le lecteur impartial notera que ces diverses tentatives visant à influencer les processus électoraux ne sont pas le fait du secrétaire général, de ses collaborateurs, ou de la "bureaucratie onusienne". Elles sont l'oeuvre des gouvernements des Etats membres, petits et grands, riches et pauvres.

Conformément aux intentions de la Charte des Nations unies de 1945, l'efficacité ou l'inefficacité de l'Organisation mondiale dépend de la volonté des gouvernements nationaux. Si nous cherchons à subvertir ses objectifs et sa vocation, nous nous retrouverons avec une organisation affaiblie. Et cela au moment même où nous avons besoin d'un Conseil de sécurité de l'ONU fort, respecté et au-dessus de tout soupçon.

Traduit de l'anglais par Christine Vivier
© Tribune Media Services Inc.

Paul Kennedy, historien, est directeur des études sur la sécurité internationale à l'université Yale
Le monde 29/9/06


20/10/2006
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