JOSEPH STIGLITZ - Pour une mondialisation réussie
COMMENTAIRES
Joseph Stiglitz est pour une autre mondialisation. Pour le moment on est loin du compte :"les Etats-Unis et leurs disciples sont en train de devenir des pays riches aux populations pauvres"
Pour l'instant, l'evolution va dans le mauvais sens et la réalité le montre.
Les dirigeants actuels, comme pour la crise de 29 n'ont pas encore pris la mesure du problème et mettent en place une mondialisation difficilement viable..
Reste à savoir si on peut et comment on peut passer democratiquement d'une mondialisation perdante pour la majorité à une mondialisation reussie.
JOSEPH STIGLITZ - Pour une mondialisation réussie
http://www.lesechos.fr/journal20060918/lec1_idees/4471446.htmJ'ai déjà abordé à maintes reprises les problèmes de la mondialisation : un régime commercial international injuste qui fait obstacle au développement ; un système financier international instable qui débouche sur des crises à répétition, à l'issue desquelles les pays pauvres se retrouvent dans une situation d'endettement insurmontable ; et un dispositif international de propriété intellectuelle qui empêche l'accès à des médicaments abordables capables de sauver des vies alors que le sida ravage le monde en développement.
J'ai aussi parlé des anomalies de la mondialisation : alors que l'argent devrait circuler des pays riches vers les pays pauvres, au cours des dernières années c'est l'inverse qui s'est produit. Les riches sont mieux préparés face aux fluctuations des taux d'intérêt et de change, et les pauvres font les frais de cette volatilité.
J'ai tant critiqué, j'ai fait tant de bruit, que beaucoup ont conclu, à tort, que j'appartenais au mouvement antimondialisation. Je suis pourtant persuadé que ce phénomène a un potentiel énorme, si toutefois il est géré correctement.
Il y a soixante-dix ans, pendant la Grande Dépression, John Maynard Keynes énonçait sa théorie du chômage, selon laquelle des mesures gouvernementales pouvaient contribuer à rétablir le plein-emploi. Malgré les calomnies des conservateurs, Keynes oeuvra davantage en faveur du système capitaliste que tous les financiers réunis. Si on avait écouté ces derniers, la Grande Dépression aurait fait encore plus de dégâts, et les revendications pour une alternative au capitalisme auraient été renforcées.
De même aujourd'hui, faute de reconnaissance et de résolution des problèmes de la mondialisation, celle-ci est difficilement viable. Elle a connu des revers et pourrait en connaître encore.
Les partisans de la mondialisation ont raison de soutenir qu'elle est capable d'améliorer le niveau de vie de tous. Mais ce n'est pas ce qu'elle a fait jusqu'à présent. On ne peut plus ignorer les interrogations des jeunes Français, qui se demandent en quoi la mondialisation leur est favorable si elle est avant tout synonyme de baisse des salaires et de précarité. On ne peut pas non plus répondre à ces interrogations par l'espoir qu'un jour ou l'autre tout le monde récoltera des bénéfices. Comme disait Keynes, à long terme nous serons tous morts.
L'accentuation des inégalités dans les pays industriels avancés est une conséquence prévue depuis longtemps mais rarement mentionnée de la mondialisation. La pleine intégration économique implique une égalisation de la rémunération du travail non qualifié partout dans le monde, et, bien que nous soyons encore très loin d'atteindre cet « objectif », la pression vers le bas est manifeste.
Les évolutions technologiques ont contribué à la quasi-stagnation des salaires réels pour les travailleurs peu qualifiés aux Etats-Unis et ailleurs depuis une trentaine d'années, et les citoyens n'y peuvent pas grand-chose. En revanche, ils peuvent influencer le cours de la mondialisation.
Selon les théories économiques, tout le monde ne ressort pas vainqueur de la mondialisation, mais les bénéfices nets sont positifs, et les gagnants peuvent donc dédommager les perdants sans perdre leur avantage. Mais les conservateurs soutiennent que, pour rester compétitif à l'échelle mondiale, il faut réduire les impôts et la protection sociale. C'est ce qui a été fait aux Etats-Unis, où les impôts sont devenus moins progressifs, et où des avantages fiscaux ont été accordés aux vainqueurs, c'est-à-dire à ceux qui bénéficient à la fois de la mondialisation et de l'évolution techno- logique. Résultat, les Etats-Unis et leurs disciples sont en train de devenir des pays riches aux populations pauvres.
Les pays scandinaves ont cependant montré une autre voie. Certes, le gouvernement, comme le secteur privé, doit rechercher une efficacité maximale. Mais des investissements dans le secteur de l'éducation et de la recherche, assortis d'une bonne protection sociale, peuvent stimuler une économie plus productive et plus compétitive, avec plus de sécurité et un niveau de vie plus élevé pour tous. Une bonne protection sociale et un marché proche du plein-emploi créent un climat qui incite tous les acteurs - travailleurs, investisseurs et entrepreneurs - à prendre les risques nécessaires pour l'investissement et la création d'entreprise.
Le problème est que la mondialisation de l'économie a devancé celle de la politique et des mentalités. Nous sommes devenus plus interdépendants, d'où la nécessité d'agir ensemble, mais nous manquons de cadres institutionnels pour le faire de manière efficace et démocratique.
Les organisations internationales comme le FMI, la Banque mondiale et l'Organisation mondiale du commerce sont plus indispensables que jamais, et pourtant la confiance qu'elles inspirent est au plus bas. La seule superpuissance mondiale - les Etats-Unis - méprise les institutions supranationales et s'efforce de les affaiblir. L'échec imminent du cycle de négociations commerciales « du développement » et les atermoiements du Conseil de sécurité des Nations unies au sujet du cessez-le-feu au Liban ne sont que les manifestations les plus récentes du dédain des Etats-Unis pour les initiatives multilatérales.
C'est en comprenant mieux les maux de la mondialisation que nous pourrons trouver des remèdes pour traiter les symptômes et s'attaquer aux causes profondes. Il existe un large éventail de politiques susceptibles de profiter aux habitants des pays développés et en développement, et qui donneraient donc à la mondialisation la légitimité populaire qui lui fait aujourd'hui défaut.
En d'autres termes, la mondialisation peut changer. Il est même évident qu'elle va changer. Reste à savoir si le changement sera la conséquence inéluctable d'une crise ou le fruit mûrement réfléchi d'un débat démocratique. Une crise risquerait de provoquer des réactions hostiles ou une réorientation désordonnée débouchant à terme sur de nouvelles difficultés. En revanche, en prenant dès aujourd'hui le processus en main, nous pouvons façonner une mondialisation différente, capable de réaliser enfin son potentiel et de tenir sa promesse : un meilleur niveau de vie pour tous.
JOSEPH E. STIGLITZ, prix Nobel d'économie 2001, est professeur à l'université Columbia (New York).
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