Revue de presse - Savoie

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L'Odyssée du dollar faible, par Daniel Cohen

COMMENTAIRES

On peut retenir de cet article que les USA fonctionnent comme un usurier qui prête à taux élevé (6.8%) et emprunte à taux bas (3.5%).
Les fonds de pension américains sont donc vitaux pour les USA, c'est ce qui leur permet d'équilibrer leurs comptes (balance des payments), alors que leur déficit commercial est énorme (7% soit 4 fois plus que la France à 1.5%).

Les délocalisations sont un moyen d'augmenter la rentabilité d'une entreprise rentable. Si l'entreprise n'a pas besoin d'être délocalisée pour vivre, la ponction faite par les fonds de pension le rend obligatoire.

Exemple: des entreprises de decolletage de la vallée de l'Arve, rentables, ont été rachetées par des fonds de pension et sont délocalisées pour augmenter la rentabilité.

L'Odyssée du dollar faible, par Daniel Cohen

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-856361,0.html

L'Amérique s'embourbe au Vietnam. Le 15 août 1971, Richard Nixon déclare l'inconvertibilité du dollar en or. Les années 1970 sont des années de dollar faible. Dix ans plus tard, l'Amérique de Reagan réarme, l'URSS s'effondre : ce sont des années de dollar fort. Et, à présent que l'Amérique connaît en Irak son deuxième Vietnam, les mêmes causes semblent produire les mêmes effets. Le dollar est faible et frôle ses niveaux historiquement les plus bas.


Le lien entre la valeur de la monnaie d'un pays et celle de ses armées n'a pourtant rien de politique. Quand une guerre commence, elle creuse les déficits, lesquels doivent se financer en attirant l'épargne étrangère. Le pays en guerre doit augmenter ses taux d'intérêt, ce qui apprécie la valeur de sa monnaie. Quand la guerre se termine, il faut rembourser les dettes, dégager des excédents. A mesure que le pays restaure l'équilibre de ses comptes, les taux d'intérêt baissent, la monnaie se déprécie. La monnaie forte, c'est L'Iliade, la monnaie faible, L'Odyssée (pour emprunter une métaphore d'Alexandre Adler).

Cette séquence emprunt puis remboursement est bien à l'oeuvre aujourd'hui, mais en des termes nouveaux qui la rendent plus complexe. Deux nouvelles lames de fond expliquent en effet, au-delà des déficits publics, la dégradation de la balance des paiements américaine.

La première est l'appétit inextinguible du consommateur américain pour les produits importés, notamment en provenance de la Chine. C'est la "walmartisation" de la société américaine, sa désindustrialisation, qui a augmenté de 50 % le taux d'importation américain en moins de dix ans. L'autre tendance est la soif des investisseurs étrangers pour les titres financiers américains, qui permet aux Etats-Unis de se financer sans difficultés apparentes. Pour le dire rapidement : la Chine vend aux Américains des produits industriels bon marché, qu'elle leur permet aussi d'acheter à crédit.

Certains auteurs parlent de nouveau "Bretton Woods" pour caractériser ce système, en référence à la conférence du même nom, qui s'était tenue en juillet 1944. Keynes, qui représentait alors le Trésor britannique, avait rêvé d'un mécanisme où les pays déficitaires puissent bénéficier, après-guerre, de lignes de crédit automatiques. Celles-ci auraient été financées par la création d'une monnaie supranationale, qu'il voulait appeler le "bancor", émise par une véritable banque centrale mondiale.

L'administration américaine de l'époque avait argué que l'on ne pouvait accepter un système où les pays déficitaires bénéficient d'un chèque en blanc. Qui serait garant que le débiteur rembourse ses dettes ? Keynes rétorquait que la charge en revenait aux pays créanciers eux-mêmes : ils n'avaient qu'à dépenser davantage pour restaurer l'équilibre des paiements internationaux. Par une formidable ironie du sort, c'est à peu de chose près ce que les Etats-Unis disent aujourd'hui aux Chinois : notre déficit est votre excédent, la charge de le résorber vous en revient, en consommant davantage et en réévaluant le yuan.

Les Chinois, à ce jour, n'entendent pas "céder". Ils ne veulent pas sacrifier le ressort principal de leur croissance, les exportations, à la recherche de l'équilibre financier des Etats-Unis. Poussent-ils, cyniquement ou inconsciemment, les Américains à la ruine ? Pas vraiment, du moins pas encore. Les Etats-Unis ont une dette considérable, qui s'élève à 100 % de leur PIB. Mais ils détiennent aussi des créances sur le reste du monde qui en représentent environ 80 %. Or, malgré ce déséquilibre, les revenus reçus au titre de leurs créances sur le reste du monde restent supérieurs au poids des charges financières payées à l'étranger. Comment est-ce possible ?

Selon un calcul réalisé par Pierre-Olivier Gourinchas et Hélène Rey, les Etats-Unis ont payé un rendement moyen de 3,5 % à leurs créanciers alors qu'ils percevaient un rendement de 6,8 % sur leurs investissements ("From World Banker to World Venture Capitalist", disponible sur www.cepremap.ens.fr). L'essentiel de la dette américaine est en effet obligataire, alors que l'essentiel des actifs américains est constitué d'actions ou d'investissements directs.

DÉFICIT AMÉRICAIN

Pour reprendre la formule de Gourinchas et Rey, l'Amérique est devenue, au cours des vingt dernières années, un immense hedge fund, un capital-risqueur : elle émet de la dette bon marché et achète des titres risqués à rendement supérieur... Dans les termes de la théorie du commerce international, on dirait que l'Amérique dispose d'un avantage comparatif, son propre système financier, grâce auquel elle peut bénéficier d'un transfert de richesse s'élevant à 20 points de PIB.

Cette manne est pourtant en passe d'être épuisée. Que se passera-t-il alors ? La solution est dans le titre de cet article : le dollar faible. Les dettes américaines sont libellées en dollars, tandis que leurs actifs sont, à 70 %, en monnaie étrangère. Une dévaluation du dollar de 35 % peut donc annuler d'un coup l'endettement net américain. Elle permettrait aussi à l'Amérique de réduire son déficit extérieur, lequel avoisine 7 % du PIB. Selon les estimations économétriques disponibles, une baisse de 10 % du dollar réduit de 1 % le déficit américain. Une dépréciation de 35 % résorberait de moitié environ le déficit actuel, ce qui pourrait suffire dans un premier temps.

Vis-à-vis de l'euro, le dollar a déjà fait les deux tiers du chemin environ. Le problème est que la dévaluation de la monnaie américaine doit être obtenue à l'égard des principaux partenaires commerciaux des Etats-Unis. Or, en moyenne pondérée par le poids des échanges, la dépréciation de la monnaie américaine reste aujourd'hui négligeable. Si l'Asie - Japon inclus - restait accrochée au dollar, l'euro devrait encaisser seul le choc d'un dollar faible, ce qui amplifierait la dépréciation prévue. Pis, si le décrochage du dollar par rapport à l'euro devenait inquiétant, les créanciers des Etats-Unis (notamment les pays exportateurs de pétrole) seraient tentés de liquider leurs avoirs en dollars. Le hedge fund américain pourrait être violemment secoué, et l'euro atteindre des niveaux stratosphériques.

On n'en est pas encore là, mais une chose semble acquise. Le dollar a déjà connu moult cycles baissiers et haussiers, qui ont duré sept ans chacun en moyenne. Le nouveau cycle, quelle que soit l'ampleur finale de la baisse, devrait durer davantage. L'ampleur du déficit, le poids de la dette, l'imbrication nouvelle avec l'Asie maintiendront le dollar sous pression. L'odyssée américaine sera longue.

Daniel Cohen pour "Le Monde"



19/01/2007
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