La matrice de Munich, par Pascal Ory
COMMENTAIRES
l'histoire peut être lue de plusieurs façons. L'exemple des allemands des sudètes en 1938 et 1945 est un cas très intéressant pour illustrer le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.pour aujourd'hui:
- la situation idéale dans l'histoire n'existe pas et les zones de conflits continueront à exister et à se renouveler, inutile d'en ajouter.
- les interventions extérieures ne sont pas efficaces, rarement acceptées par ceux qu'on vient "aider",
- même les démocraties occidentales ont une vision à géométrie très variable (et surtout très intéressée) des "valeurs" dites universelles - qu'on décredibilise chaque fois qu'on les tord un peu trop (Ossetie différent du Kosovo ? Cachemire ?)
Finissons-en avec le devoir d'ingérence, il nous mène à la défaite militaire et politique. Commençons donc par être des bons modèles chez nous, ça sera déjà bien, sans prétendre résoudre de force (!) les problèmes du monde qu'au final on aggrave assez souvent
La matrice de Munich, par Pascal Ory
http://www.lemonde.fr/opinions/article/2008/09/25/la-matrice-de-munich-par-pascal-ory_1099460_3232.html#xtor=EPR-32280156L'opinion publique occidentale - y compris les médias et les politiques qui, tout à la fois, l'expriment et la forment - n'a pas vraiment perçu l'enjeu essentiel de cette année 2008 sur le plan géopolitique, aperçu le fil rouge - rouge sang, au besoin - qui unit entre elles des crises en apparence aussi différentes que le Tibet, la Géorgie ou, passée jusqu'à présent presque inaperçue, celle du Cachemire, avec sa traîne d'attentats variés.
Pourtant, si lesdits Occidentaux prêtaient un peu plus d'attention au fil en question, je ne dis pas qu'ils trouveraient une solution miracle - il n'y a pas de miracle en géopolitique : il n'y a que des rapports de forces -, mais qu'ils s'économiseraient certains déboires et quelques ahurissements, un peu comiques.
C'est pourtant simple : le moteur commun à tous ces phénomènes et à quantité d'autres à travers le monde s'appelle le droit-des-peuples-à-disposer-d'eux-mêmes et voilà que, selon les conjonctures, il joue en faveur d'un camp ou d'un autre, sans qu'il y ait là-dedans à chercher plus de logique et surtout plus de justice que ça. Le camp occidental (j'entends par là un être théorique, composite mais agissant, chevalier des valeurs démocratiques et libérales) se retrouve solidaire du combat des Tibétains dès lors qu'ils apparaissent pour ce qu'ils sont : une minorité disposant d'une identité culturelle profondément étrangère aux Hans et cependant soumise à leur joug.
Mais il se trouve bien embarrassé quand la Russie instrumentalise la même identité, le même droit en faveur des Abkhazes ou des Ossètes du Sud (en attendant mieux ailleurs, et sans compter ce que les Géorgiens peuvent faire à leur tour avec, par exemple, les Ingouches pour gêner les Russes, etc.). Quant au Cachemire, question autrement plus grave que la précédente, il importe de rappeler ici aux journalistes qui ne manqueront pas d'y être envoyés un jour qu'il s'agit d'un territoire dont la population dans sa majorité ne souhaite aucunement demeurer sous la domination indienne, fût-elle celle de "la plus grande démocratie du monde".
Car c'est bien là que réside la difficulté pour les Occidentaux, évidemment démocrates, forcément libéraux : la Russie de Vladimir Poutine n'est pas un modèle du genre et le régime intérieur pakistanais n'a pas non plus, sous ce regard, les atouts et les atours du régime indien. En d'autres termes, que faire quand le droit-des-peuples-à-disposer-d'eux-mêmes joue contre les grands principes ?
Reportons-nous soixante-dix ans en arrière, au temps pénible des accords de Munich (29-30 septembre 1938). Au final, Munich reste dans son présent une trahison de la parole donnée : le camp occidental (voir plus haut sa définition) a abandonné les Tchèques ; il reste dans son futur une illusion tragique : Munich n'a pas évité la guerre.
Mais on oublie aujourd'hui, car cela nous gêne aux entournures, que dans son passé il s'agissait de faire droit à deux revendications nationales, portées massivement par les deux communautés concernées : les Slovaques - qui à l'heure actuelle ont leur Etat - et, pour commencer, les Allemands des Sudètes. Qu'est-ce qu'un démocrate libéral peut bien répondre à un suffrage universel qui désire ardemment devenir nazi ? Qu'un peuple abusé n'a pas de droit ?
C'est sans doute en vertu de cet argument, mortellement contradictoire à leurs principes, qu'en 1992 les démocrates libéraux des deux rives de la Méditerranée ont applaudi à l'interruption du processus électoral en Algérie, dès lors qu'il risquait de donner la victoire aux islamistes. Un tel raisonnement a plutôt renforcé le terrorisme qu'il ne l'a affaibli et demeure la moins mauvaise justification d'Al-Qaida.
Il y a, assurément, une réponse idéale à cette contradiction : rendre populaire la démocratie libérale et, dans le cas qui nous occupe, tenter de noyer la revendication identitaire dans la prospérité économique et la justice sociale. Force est de reconnaître que ce cas de figure est peu fréquent, tout comme la reconnaissance officielle du droit identitaire telle que l'appliquent quelques rares pays prospères-et-justes, de la Norvège des Saami à l'Autriche des Slovènes.
Mais, en règle générale, l'Histoire montre plutôt ceci : a) les minorités sont exploitées par les majorités et ne se libèrent que si elles renversent le rapport de forces ; b) pour peu qu'on les laisse "disposer d'eux-mêmes", les "peuples" sont, au moins dans un premier temps, prêts à sacrifier leur liberté sur l'autel de l'identité ; c) la solution la plus fréquente à un problème de la nature de ceux que j'ai cités en commençant est, depuis la nuit des temps, l'épuration ethnique.
Elle prend dans la plupart des cas la forme simple et brutale du départ forcé - c'est celle qui a été appliquée en 1945 par les Tchèques contre les Allemands des Sudètes -, parfois elle prend celle, plus indirecte, de la submersion de l'identité par une identité plus nombreuse - c'est ce qu'ont entrepris avec succès les Chinois au Tibet, qui est chaque jour moins tibétain. Il reste cependant de par le monde assez de frustrations identitaires pour entretenir à la surface de la planète et pendant plusieurs générations un nombre certain de foyers de guerre.
Tout cela n'est ni juste ni équitable, dira-t-on. Mais où a-t-on jamais vu que l'Histoire était juste et équitable ? Nous avons un tel besoin de croire que nous nous laissons aller à penser que ladite Histoire pourrait se modeler à nos désirs. Sur le plan individuel, c'est parfois possible, sur le plan collectif, jamais.
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