le desequilibre du modèle economique français
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Voici un article interesssant d'un editorialiste tenant de l'economie capitaliste qui en dénonce les excèsIl s'agit bien d'un pillage organisé par les grands groupes, au détriment des employés et des PME. Toute la bien pensance economique nous rabat les oreilles de la course à la productivité et de la compétitivité - pour une fois, on analyse les inconvenients de cette course folle.
Le sens passif du mot « rupture »
/www.lesechos.fr/journal20061215/lec1_idees/4512858.htmSans doute dans aucun autre grand pays industrialisé, les entreprises ne font autant appel qu'en France aux méthodes modernes de gestion de leurs fonds propres, de leurs stocks, de leurs créances-clients, de leurs dettes-fournisseurs et, bien sûr, de leur personnel. Ces méthodes sont présentées comme autant de contraintes imposées par le double impératif de compétitivité et de rendement. A priori, et sous réserve de s'entendre sur la signification des termes utilisés et brandis comme des programmes (à force en particulier de se prévaloir des deux objectifs qui viennent d'être cités, on en oublie l'extraordinaire ambiguïté !), on ne devrait que se féliciter des progrès accomplis dans ces différents domaines. Du point de vue de chaque unité de production (industrielle, commerciale ou autre) prise isolément, il s'agit d'abord - et ce « d'abord » est effectivement la condition de tout le reste - de tirer le meilleur parti possible des ressources, humaines et matérielles, dont elle dispose. Ce qu'on peut résumer par l'expression de « productivité ». Or la France, on le sait, est plutôt bien placée sur ce chapitre. Cela a naturellement quelque chose à voir avec le management de ses entreprises. Un thème également relevé à l'envi. Où donc se niche le problème ? Car de toute évidence il y a bien un problème du côté de la compétitivité et aussi de la rentabilité françaises si on tient compte de celle, souvent très faible, des PME.
La thèse qu'on défendra ici est qu'il ne sert à rien d'incriminer séparément le « modèle » social national. Celui-ci est assez largement la conséquence du modèle économique. On ne peut dissocier l'un de l'autre, en France en particulier - mais, dans une certaine mesure, la remarque vaut pour d'autres pays européens, Allemagne en tête.
Sauf le respect qu'on doit aux entrepreneurs, tout ce qu'ils qualifient - ou ce que d'autres qualifient à leur place et pour leur service - de « contraintes » peut aussi passer pour des facilités. Dans une note consacrée à « une étude internationale réalisée dans six pays européens auprès de directeurs d'achats de grandes entreprises représentatives de différents secteurs d'activité afin de cerner leurs priorités », diffusée sur le Web par Capgemini Consulting, il est fait grand cas du contrat « comme un outil d'optimisation et de management de la relation fournisseurs pour faire effet de levier sur le business (sic) »... On ne peut dire plus ouvertement - sinon plus élégamment ! - que le contrat recherché n'est pas tout à fait la convention « synallagmatique » dont parlent les juristes pour souligner le caractère réciproque d'une relation contractuelle au sens propre du mot ! Le contrat à effet de levier trahit sa nature unilatérale. Il s'agit, précise Capgemini, d'« optimiser la valeur tirée des contrats avec les fournisseurs ». Ce qui fait du marché concurrentiel le modèle le plus accompli d'un système économique, c'est au contraire qu'il a pour effet de satisfaire et l'acheteur et le vendeur. Or toute « optimisation » par le directeur d'achats de la grande entreprise « grand X » ne peut se faire qu'au détriment, fût-il caché, du « petit y » fournisseur. La transaction (contrat) n'est plus alors exactement un échange au sens économique du terme. CQFD.
On pourrait multiplier les exemples montrant que, pris à la lettre, les plus vénérables préceptes de la gestion vite qualifiée de moderne apparaissent primo comme des manières de pratiquer le malthusianisme du capital, secundo comme des moyens, qui valent ce qu'ils valent, pour en prendre à son aise avec l'intérêt des autres parties prenantes. Parmi elles se trouvent le client et le salarié. On connaît le prestige dont jouit la gestion serrée des stocks : le « just in time » dérivé de l'exemple donné par le TPS (Toyota Production System). Mais, justement, Toyota, en passe de devenir le premier constructeur mondial, se garde bien de systématiser le principe qu'on lui attribue. A vouloir réduire au minimum les stocks pour porter au maximum le profit, on finit par faire attendre le client et... le perdre.
Les yo-yo du taux de croissance et des embauches à la française pourraient bien n'être que le reflet de gestions à flux tendus jusqu'au point de rupture. Les bons résultats de l'emploi enregistrés cette année avec de considérables variations trimestrielles sont d'abord et avant tout imputables à un nouvel essor du travail temporaire. Nos patrons n'engagent qu'à la petite semaine pour coller au plus près de la conjoncture. Moyennant quoi, il arrive que leurs concurrents, allemands pour commencer, raflent à leur barbe les commandes qui viennent à se présenter inopinément - volatilité des marchés oblige. Le soupçon est en train de prendre corps que c'est la raison pour laquelle l'élan de la reprise se manifeste chez nous par saccades.
Tout se passe comme si la société française dans son ensemble, et le patronat en particulier, s'accommodait d'un partage des rôles apparemment logique (le dernier prix Nobel a assis sa réputation sur une telle vision des choses !) mais en réalité destructeur de l'ordre économico-social qu'il entend préserver : qu'on laisse ceux qui « savent travailler » travailler et donner le meilleur d'eux-mêmes, à la solidarité (alias le contribuable) de pourvoir aux besoins des laissés-pour-compte. Une telle représentation trouve en France une terre d'élection. Le discrédit qui pèse sur les non-diplômés - les non-qualifiés - y est pour beaucoup. Cependant, nous approchons du point de rupture : le poids budgétaire de la « solidarité » est tel qu'il crée un milieu hostile à l'activité économique. Voilà l'écueil que le système américain évite. En cela, il est supérieur au nôtre du double point de vue économique et social.
Dans une conférence récente, l'ancien directeur général du FMI Jacques de Larosière disait : « Ce n'est pas la productivité par heure travaillée qui est en cause. L'Europe a en ce domaine de bons résultats. C'est le nombre d'heures travaillées [par tête d'habitant en âge de travailler] : par rapport à un indice 100 pour l'Union européenne, les Etats-Unis se situent à 144. Ce qui veut dire que le modèle économico-social européen a privilégié la productivité horaire et l'investissement de productivité par rapport à la mise au travail de personnes moins qualifiées. » Chaque jour, la société française et son gouvernement s'enfoncent un peu plus dans ce choix.
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