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Le néolibéralisme marque le pas. Sauf en France ?

Source: http://www.marianne2007.info/index.php?action=article&numero=254&preaction=nl&id=2934975&idnl=16282&

Le néolibéralisme marque le pas. Sauf en France ?

Par Victor Muller, chef d'entreprise, Villejuif (Val-de-Marne).
La France peut décider de s'inscrire dans le credo libéral anglo-saxon des trente dernières années avec toutes ses dérives conservatrices. Mais, pour créer le climat favorable à un nouveau consensus politique à l'échelle de la planète, il faut à la France un Président et une majorité qui portent une sensibilité à l'opposé de cette idéologie. 2007 et 2008 vont être des années charnières.


En 2007, la France ne doit pas aller à contre-courant. L'antre anglo-saxon du néolibéralisme semble marquer le pas. Aux Etats-Unis, les démocrates ont obtenu la majorité à la Chambre des représentants et au Sénat, reprenant le plein contrôle du Congrès pour la première fois depuis 1994. George W. Bush sort très affaibli de ces élections. En Angleterre, Tony Blair et son modèle libéral social volent en éclats. Le Premier ministre du New Labour a été contraint d'annoncer le 7 septembre dernier son départ.

Depuis 1979, avec Margaret Thatcher, et 1981, avec Ronald Reagan, l'idéologie néolibérale du Prix Nobel d'Economie Friedrich Hayek écrase le monde. L'opposition radicale de cet économiste autrichien naturalisé britannique aux intellectuels socialistes et constructivistes triomphe en cette fin de siècle. Ses thèses relatives à la socialisation de l'économie et l'intervention de l'Etat sur le marché, qui débouchent obligatoirement à terme sur la suppression des libertés individuelles, s'imposent alors. Selon lui, l'autonomie des personnes et l'imprévisibilité de leurs actes ne permettent pas d'établir de « projet de société » et de définir de normes d'action au nom de la notion de « justice sociale ». Hayek s'oppose à toute forme de politique d'ajustement par l'Etat et prône – contrairement à Keynes - une totale liberté de marché.

La devise « N'attendre de l'Etat que deux choses : liberté, sécurité » de Frédéric Bastiat devient l'idéal politique de la fin du XXe siècle. La chute du mur de Berlin, la suprématie de la superpuissance américaine devenue unique gendarme du monde va accentuer le phénomène. Il n'existe plus d'alternative au modèle politique anglo-saxon. Les recettes économiques désormais préconisées à l'échelle de la planète par le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale qui proviennent de l'Ecole de Chicago et des disciples d'Hayek s'appliquent sans discernement. L'Europe se construit autour d'une ambition : l'organisation d'un grand marché où la libre concurrence est souveraine. L'Organisation Mondiale du Commerce se présente comme la seule organisation internationale digne d'intérêt car s'occupant des règles régissant le commerce entre les pays. L'unique objectif est la réduction de tous les obstacles au libre-échange de marchandises et de services sur l'ensemble de la planète.

Enfin, le PIB est le seul instrument de mesure retenu par les néolibéraux. Mais il ne reflète que très partiellement la réalité. Il a deux principales faiblesses. Premièrement, ce qui échappe à la comptabilité nationale échappe au PIB. Par exemple, le PIB ne tient pas compte de l'autoconsommation, c'est-à-dire les richesses produites et consommées par la même personne, du travail au noir - dont la contribution à l'économie peut être très importante dans certains pays - et de la valeur estimée des patrimoines publics et privés. Ainsi, il ne prend pas en compte les ressources naturelles ou minières du pays. Dans le cas d'une production polluante, suivie d'un processus de dépollution, il comptabilise deux productions pour, en réalité, un résultat global nul. Le PIB encourage d'une certaine façon la pollution. Il ne calcule pas les valeurs environnementales et sociales, qui sont des critères de responsabilité sociétale des entreprises. La liste des incohérences est encore longue. Un exemple important : les créances douteuses (crédits accordés par les banques mais dont on sait que l'emprunteur ne pourra le rembourser) passent à la trappe du PIB. Ces créances douteuses, lorsqu'elles deviennent importantes, sont une véritable gangrène de l'économie - notamment dans les pays en voie de développement où l'euphorie de la croissance a tendance à faire oublier aux banques les règles élémentaires du contrôle des risques. Ainsi la Chine, championne de la croissance, est aussi championne des créances douteuses (officiellement 15% de l'encours total du crédit des banques mais 30% serait une proportion vraisemblablement plus juste).

Avec un tel indicateur, on arrive alors à des surprises. Le VIIe arrondissement de Paris, largement résidentiel, a un PIB (et aussi un PIB/habitant) très inférieur à celui de Créteil, zone d'activités. Pourtant l'habitant du VIIe est certainement plus riche que le Cristolien. L'attribution des fonds structurels européens, basée sur les PIB régionaux, voit donc certaines régions résidentielles à faible PIB/habitant mais peu sinistrées (chômage faible, résidents travaillant dans une région limitrophe) emporter les fonds sur des régions industrielles à plus fort PIB mais à la richesse effective plus faible (chômage important, emplois précaires…).

Un constat s'impose. Les indicateurs du bien-être n'existent pas encore. La libre circulation des biens et des services ne va pas de pair avec la libre circulation des personnes. Les soi-disant bienfaits du libre-échange étouffent toutes les atrocités et les drames humains dus à la fermeture de frontières. La compétition fiscale organisée entre les pays déstructure tous les systèmes existants de régulation sociale et laissent des millions de personnes sur le carreau. Le partage des richesses créées ne se fait pas de façon équitable. Nous assistons tous les jours à la privatisation des bénéfices par un petit nombre de privilégiés et à la socialisation des dettes pour le plus grand nombre. L'Organisation Mondiale de la Santé, le Programme des Nations Unies pour le Développement alertent nos dirigeants par des rapports sur l'accroissement des inégalités dans le monde. Mais les réponses politiques néo-conservatrices au désordre économique et social créé par le néolibéralisme sont, à dessein, basées sur le tout répressif. Elles sont toujours unilatérales au nom d'une idéologie qui refuse l'altérité et la complexité des situations décrites. Elles entretiennent un climat d'obsession sécuritaire dangereux qui empêche toute tentative de solution pérenne. Pire, elles conduisent à des situations inextricables qui, poussées à leur paroxysme, débouchent sur des comportements violents et des guerres. Aujourd'hui, toutes les formes de replis identitaires belliqueux sont en mouvement dans le monde.

Pour créer le climat favorable à un nouveau consensus politique à l'échelle de la planète, il faut à la France un Président et une majorité qui portent une sensibilité à l'opposé de cette idéologie. 2007 et 2008 vont être des années charnières. La France peut décider de s'inscrire dans le credo libéral anglo-saxon des trente dernières années avec toutes ses dérives conservatrices. Un rôle de l'Etat « réduit à l'essentiel » pour reprendre la formule de Bastiat. La liberté d'entreprendre et de travailler avec un programme de baisse des impôts, d'assouplissement du contrat de travail, de réforme des retraites et de la sécurité sociale autour de régimes généraux universels ouvrant des droits collectifs minimalistes et l'accès à des services individuels sur des systèmes complémentaires privés, d'optimisation des services publics avec des réductions d'effectifs et de budgets drastiques et des territoires laissées à la seule initiative privée. Une sécurité basée sur une politique du tout répressif. Une police toujours plus équipée et un traitement carcéral en constante augmentation qui pénalise et criminalise uniformément la délinquance, la pauvreté, la folie etc. Une politique étrangère qui privilégie la force sur la diplomatie. En France, la rupture que prône Nicolas Sarkozy s'inspire de ces idées et de ces méthodes.

Un souffle nouveau peut éclairer différemment le monde dans les années à venir. Plus solidaire, plus juste, plus soucieux du sort de la planète, avec le dialogue comme méthode et l'intérêt général comme objectif. Les départs de Bush et de Blair permettront de tourner définitivement la page des années Thatcher et Reagan. Une lueur d'espoir apparaît enfin à l'horizon. La France ne peut pas rester au bord du chemin ou partir à contresens.

Vendredi 17 Novembre 2006
Victor Muller



17/11/2006
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