Politique étrangère : La France n’en impose plus
http://www.alternatives-internationales.fr/article.php3?id_article=297
Lecture idéalisée de son passé, surestimation de son influence, conviction d’être dépositaire de l’universalisme : l’Hexagone pèche souvent par arrogance. Et parle beaucoup sans être guère entendu. Car la France est devenue un pays ordinaire, qui ne peut rien sans l’Europe.
La France est-elle un pays ordinaire sur la scène internationale ? Aux étrangers, la question paraîtra souvent incongrue. Et la réponse évidente : bien sûr, la France est un Etat comme un autre. Plus riche que beaucoup, mieux armé aussi, au verbe souvent plus haut, à défaut d’être toujours écouté, mais voilà tout. A l’inverse, pour bien des diplomates français, pour de nombreux responsables politiques, pour certains citoyens aussi convaincus que son modèle laïc et républicain est sans égal sur la planète, l’idée que la France ne soit qu’une nation au milieu des autres n’est pas évidente.
Certes, ils reconnaissent, en sombrant parfois dans un déclinisme morbide ou dans un ralliement sans nuances aux dominants Etats-Unis, que le pays n’est plus que ce qu’il était au regard des critères classiques de la puissance. A commencer par le territoire et la population puisque la France a perdu au milieu du XXe siècle la quasi-totalité de son empire colonial. Et qu’elle n’a gardé de son passé de conquêtes que deux atouts relatifs, la francophonie dont les contours épousent, pour l’essentiel, les limites de ses anciennes possessions et la deuxième zone économique exclusive sur les mers du monde, après celle des Etats-Unis, grâce à ses possessions ultramarines. Sur le plan économique justement, la France occupe désormais le sixième rang mondial derrière le Royaume-Uni et la Chine pour le Produit intérieur brut (PIB), avec un montant six fois moindre que celui du numéro 1 américain. Au rang des critères classiques de puissance toujours, elle est certes en troisième position derrière les Etats-Unis et le Royaume-Uni pour ses dépenses militaires. Mais avec un volume dix fois inférieur à celui de Washington, et sensiblement équivalent à celui de Londres.
A défaut de pouvoir boxer dans la même catégorie que les Etats-Unis, la France a-t-elle encore un statut, une image de grande puissance sur la scène internationale ? Certes, elle détient un siège de membre permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, grâce d’ailleurs à Winston Churchill qui l’arracha à Franklin Delanoe Roosevelt, lequel n’en voulait pas. Mais aujourd’hui, un tel privilège est de plus en plus contesté par des puissances émergentes du Nord (Allemagne, Japon) et du Sud (Brésil, Inde, Afrique du Sud...) qui demandent une révision des pouvoirs au sein des Nations unies inchangés depuis 1945. Deuxième argument de la France pour défendre son statut de grande puissance : la détention d’une bombe atomique gravée en 1968 dans le marbre du Traité de non-prolifération nucléaire. Ce privilège partagé encore avec les quatre autres membres permanents du Conseil de sécurité, est aussi menacé. Car si la France estime qu’elle a le droit de « sanctuariser » son territoire pour protéger sa population, d’autres s’y sentent désormais autorisés dans un monde plus imprévisible que celui des deux blocs de la guerre froide où fut signé le TNP. La Corée du Nord s’est retirée du TNP et a effectué un test nucléaire fin 2006. Et l’Iran, toujours signataire du Traité, maintient sur ses objectifs réels une ambiguïté d’autant plus préoccupante que, comme l’a affirmé (officieusement) Jacques Chirac, la détention de la bombe par Téhéran risquerait de provoquer une course au nucléaire militaire au Moyen-Orient.
Troisième argument avancé par les défenseurs d’une « France toujours grande puissance » : son pré carré africain. Longtemps, sous la gauche comme sous la droite, Paris a pu, avec des forces militaires peu nombreuses, mettre au pouvoir (Idriss Déby au Tchad en 1990), maintenir (Mobutu en 1976 lors de l’opération sur Kolwezi) ou faire tomber (Jean Bedel Bokassa en Centrafrique en 1979) les potentats francophones au sud du Sahara. Aujourd’hui, la France a encore les moyens, comme elle l’a fait au Tchad et en Centrafrique à la fin de l’an dernier, de repousser par quelques coups de semonce des rebelles qui menacent un régime ami de Paris. Mais en Afrique aussi, la démocratie fait du chemin, fût-il chaotique. Et les descendants des anciens colonisés, s’ils ont besoin de l’aide française au développement, ne sont plus prêts pour autant à abdiquer leur patriotisme dans le but de plaire à l’ancienne métropole. D’autant que chasse aux matières premières aidant, les Etats-Unis et la Chine courtisent certaines de ses anciennes colonies. Son statut contesté, que reste-il à la France pour qu’elle se sente au-dessus de la mêlée ? La perception exceptionnelle du monde qu’elle se prête. Car à défaut d’être l’hyper-puissance matérielle, la France estime avoir les idées. Voire être dépositaire de l’universalisme. Ainsi, dans son récent ouvrage, Continuer l’Histoire (Fayard, 2007), l’ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine décrit l’amertume d’une France qui estime s’être fait dérober par Washington le statut qu’elle juge avoir été longtemps le sien, « celui de pays donnant le ton à l’univers ». A l’univers ? Bigre ! On serait curieux de savoir quand Paris a « donné le ton » à la Chine, à l’Inde, à l’Amérique latine.... Ou plus près, à la Russie, à la Grande-Bretagne ou à l’Allemagne. On parlait sans doute le français à la cour du tsar, mais par snobisme, comme le rappelle le linguiste Louis-Jean Calvet, et non pour faire des enseignements de Voltaire ou de Rousseau l’alpha et l’oméga de la politique russe (1). Nombre de ses responsables politiques et intellectuels veulent pourtant voir, comme Charles de Gaulle, « un contrat entre la grandeur de la France et la liberté dans le monde » (2). Ou estiment, avec Jacques Chirac, que la langue française a vocation « à traduire en termes universels les aspirations de son temps » (3). De fait, depuis 1789, la France se proclame « patrie des droits de l’homme ». Une prétention qui passe volontiers sous silence les pères intellectuels de ces droits qui n’étaient pas français (Grotius, Locke, Spinoza...) et les événements fondateurs, anglo-saxons surtout, qui précédèrent 1789 (le Bill of Rights anglais de 1689, la déclaration d’indépendance des Etats-Unis de 1776). Et quand bien même elle les eût inventés, la France a-t-elle été le meilleur défenseur des opprimés dans le monde ? Rien n’est moins sûr. A preuve, l’épisode colonial où, tout en s’appropriant leurs matières premières, les conquérants entendaient soumettre des peuples « inférieurs » pour leur enseigner à la trique les Lumières. Sans percevoir la contradiction inhérente au projet. A preuve, plus récemment, les compromissions intéressées (alliances géopolitiques, contrats industriels et commerciaux...) de Paris avec nombre de régimes autoritaires, de Pékin à Moscou en passant par l’Irak de Saddam Hussein.
A coup sûr au XXe siècle, la France peut se prévaloir d’avoir joué un rôle central dans la naissance d’une belle idée sur la scène internationale : l’Europe dont le premier but était d’assurer la paix entre les anciens ennemis européens des deux guerres mondiales. Une mission jusqu’ici accomplie, grâce (entre autres) aux intuitions du partenariat franco-allemand initié par le tandem de Gaulle-Adenauer, puis prolongé par certains de leurs successeurs. Las, un demi-siècle après le Traité de Rome, Paris n’a toujours pas tiré toutes les conséquences de l’évolution du continent (retour en puissance de l’Allemagne, élargissements successifs de l’Union...) qui relativisent son propre poids. Ni de la nature d’un projet qui, parce qu’il est collectif, n’a pas pour vocation de l’aider à retrouver son rang perdu. Ou de lui servir de bouclier dans ses différends, parfois justifiés, avec les Etats-Unis. Tant qu’elle n’aura pas admis qu’elle est un pays ordinaire, la France aura du mal à débattre sans un reste de morgue avec le monde Un handicap résultant d’une lecture hagiographique de son passé et d’une surestimation de sa puissance entretenue par le verbe gaullien, mais aussi d’un déficit démocratique de ses institutions. Rares sont les Etats occidentaux où le Parlement joue un si faible rôle dans l’élaboration de la politique étrangère. Où le débat public sur l’action du pays dans le monde est à ce point confiné aux cercles des experts et des diplomates.
Yann Mens
(1) L’Express, 22 novembre 2004 (2) Cité par Pascal Boniface : Lettre ouverte à notre futur(e) président(e) de la République sur le rôle de la France dans le monde, Armand Colin, 2007, p. 106. (3) Cité par Olivier Hubac : France, la fin d’une influence, La martinière, 2007, p. 41.
A découvrir aussi
- Afghanistan : les talibans sont de retour
- Le Pakistan, l'islam et la bombe
- La droite revient au pouvoir au chili… par les urnes
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 81 autres membres