Revue de presse - Savoie

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Toujours l'angoisse du gouffre financier américain

COMMENTAIRES

Voilà un article d'economiste qui va un peu à l'encontre du "brave gens dormez tranquille" habituel au sujet de l'économie américaine et de l'équilibre financier mondial.
La réalité est que le modèle anglo-saxon a basculé dans un déficit structurel depuis longtemps. Le deficit est commercial et maintenant financier, l'endettement privé est au plus haut, et tout ça ne retombera pas sans faire des vagues à la hauteur du problème.

Le basculement du capitalisme d'entrepreneurs vers le capitalisme financier engagé durant l'ère Reagan / Thatcher commence à se voir sous la forme du déclin des pays qui suivent ce modèle.

Dans la nouvelle économie "virtuelle" ou de services soit disant miraculeuse, il faut bien que des gens fassent des choses réelles - c'est à dire aussi industrielles.

Toujours l'angoisse du gouffre financier américain

http://www.lesechos.fr/journal20070329/lec1_idees/4557148.htm

Aaachetez mon papier ! Il est beau, il est beau mon papier ! Pas cher ! Dépêchez-vous, y en n'aura pas pour tout le monde ! Depuis quinze ans maintenant, l'Amérique vend son papier, c'est-à-dire des actifs financiers, au reste du monde pour combler un déficit courant colossal (857 milliards de dollars l'an dernier, soit 6,5 % du PIB). Une « finance nouveau siècle » qui semblait solide jusqu'à un petit grain de sable qui porte le même nom : « New Century Financial ». Dans les tout prochains jours, cette banque américaine spécialisée dans le crédit immobilier aux foyers peu solvables devrait annoncer sa faillite. C'est la preuve que le marché du logement aux Etats-Unis entraîne ses créanciers dans sa spirale baissière. Or l'immobilier américain joue un rôle central dans l'immense pompe à « phynances » qui fait affluer les capitaux du monde entier vers l'Amérique. Les investisseurs veulent en effet acheter des obligations que le Trésor américain n'arrive pas à produire en quantité suffisante, malgré un déficit public méritoire. Du coup, ils achètent ce qu'il y a en abondance sur le marché : les crédits immobiliers aux ménages dûment repackagés en obligations par les miracles de la technique financière moderne. Il n'est plus si beau, mon papier...

Faut-il le rappeler encore une fois... La finance mondiale actuelle est abracadabrantesque. Chaque heure, le pays le plus riche du monde emprunte 100 millions de dollars à des pays infiniment plus pauvres que lui. Les réserves de changes de la Chine ont dépassé les 1.000 milliards de dollars l'an dernier. Jamais dans l'histoire de la planète, les dérèglements n'avaient été aussi vertigineux. Un seul point de comparaison : en 1987, quand l'inquiétude sur les comptes des Etats-Unis avait fait dévisser Wall Street de 23 % en un seul jour, le trou de la balance courante américain n'était que de 160 milliards. Cinq fois moins qu'aujourd'hui !

Comment la finance mondiale retombera-t-elle sur ses pattes ? La question obsède les experts. Dans des dizaines de colloques, de séminaires, de tables rondes organisées sur des thèmes parfois fort éloignés, le débat revient invariablement sur ce sujet. Il est vrai que des milliers de milliards sont en jeu... Face au mystère, les économistes ont fait preuve d'une imagination débordante pour tenter de trouver des explications, dans des centaines de documents de recherche. Mais, à chaque fois, la suite des événements les a balayées.

Dans les années 1990, les experts ont commencé par expliquer que les investisseurs préféraient acheter des actions d'entreprises américaines, car ces dernières sont plus performantes et sur un marché plus ouvert (« Il est beau mon papier... »). Mais le krach Internet de l'an 2000 a mis fin à cette rhétorique. Les investisseurs privés ont brutalement baissé leurs achats. Leur retrait a été compensé par des institutions publiques comme les banques centrales asiatiques, qui achètent surtout des obligations. Et quand des étrangers ont voulu acheter des actions de compagnies pétrolières (Unocal) ou de ports, Washington a refusé.

Puis vint « l'excès d'épargne » (« savings glut »). Selon cette thèse défendue notamment par Ben Bernanke, devenu depuis président de la Réserve fédérale américaine, le monde entier déborde d'argent et l'Amérique rend service au reste de la planète en offrant un havre à cette épargne excessive. Mais, comme l'explique l'économiste Nouriel Roubini (1), l'épargne mondiale n'a pas monté ces dernières années. En revanche, l'investissement mondial, lui, a baissé. Autrement dit, l'Amérique pompe des capitaux qui auraient sans doute pu être investis ailleurs. D'autres travaux montrent une autre facette : les circuits financiers en Asie ne sont pas assez costauds pour absorber l'énorme masse de capitaux dégagés par les surplus commerciaux de la région ces dernières années.

Les économistes ont aussi exploré d'autres pistes. L'économie américaine est devenue plus régulière qu'auparavant, avec une moindre ampleur du cycle expansion-récession. La politique économique a par exemple très vite effacé la mini-récession de 2001. Les investisseurs apprécieraient un pays devenu plus prévisible. Mais la croissance devient aussi moins volatile dans beaucoup d'autres pays développés. Autre explication : la « matière noire ». Malgré une dette extérieure en forte progression, les Etats-Unis perçoivent davantage de revenus financiers qu'ils n'en versent. Il y aurait donc de la « matière noire », des actifs américains cachés à l'étranger qui compenseraient la dette. Las ! depuis un an, le solde des revenus financiers est lui aussi déficitaire...

Ultime explication, frappée au coin du pragmatisme : le déséquilibre actuel serait en fait un équilibre. Les Chinois prêtent de l'argent aux Américains pour qu'ils achètent leurs produits. Après les accords monétaires de Bretton Woods de 1946 organisant des taux de change fixes mais ajustables, nous aurions un Bretton Woods II (2), avec un lien fixe mais ajustable entre le dollar, le yuan et d'autres monnaies asiatiques. Cette situation pourrait perdurer deux décennies, le temps que des centaines de millions de paysans chinois basculent dans l'industrie et les services. Mais d'autres travaux ont réduit cet horizon à dix ans, puis à quatre ans. Et ce système est en réalité marginal. Selon Andrew Rose (3), de l'université de Berkeley, le système monétaire international qui s'impose aujourd'hui est le ciblage d'inflation, où les banques centrales ne s'occupent plus du taux de change. Rose explique que c'est « Bretton Woods à l'envers », avec des taux de change flottants, des capitaux libres de circuler et des taux d'intérêt focalisés sur la maîtrise de l'inflation dans chaque pays. Le lien fixe dollar-yuan fait figure d'exception.

Le déséquilibre financier massif est bien un détraquement, et non un nouvel équilibre. L'alternative est simple. Soit il y aura « un effort international pour persuader chaque pays de donner sa juste part à une politique d'ensemble permettant l'ajustement sans interrompre la croissance mondiale », comme le réclame une équipe d'économistes emmenée par Jean Pisani-Ferry, de l'institut Bruegel (4). Soit la fin de l'histoire s'accompagnera d'un cortège de faillites douloureuses et de remboursements pénibles. L'histoire est déjà écrite, depuis longtemps même, puisqu'il s'agit de l'Apocalypse : « Le premier ange sonna de la trompette. Et il y eut de la grêle et du feu mêlés de sang, qui furent jetés sur la Terre ; et le Tiers de la terre fut brûlé... »

JEAN-MARC VITTORI est éditorialiste aux « Echos ». jmvittori@lesechos.fr
(1) « Global Imbalances :a Contemporary «Rashomon» Saga », Nouriel Roubini, novembre 2006, disponible sur www.centrecournot.org.(2) « An Essay on the Revived Bretton Woods System », Michael Dolley, David Folkerts-Landau, Peter Garber, NBER Working paper 9971, septembre 2003.(3) « A Stable Internatinal Monetary System Emerges : Inflation Targetting Is Bretton Woods, Reversed », Andrew Rose, NBER Working Paper 12.711, novembre 2006.(4) « Global Imbalances : Time for Action », Jean Pisani-Ferry et alii, Bruegelpolicybrief 2007/02, disponible sur www.bruegel.org



29/03/2007
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